Vue de la façade du siège social de quotidien "Le Monde", dans le 13e arrondissement de Paris. AFP/JEAN-PIERRE MULLER
Pour la deuxième fois, Le Monde publie, à partir de dimanche 28 novembre, sur son site lemonde.fr, et à partir de lundi dans le quotidien, des informations tirées de documents officiels secrets américains, mis à sa disposition par le site WikiLeaks. WikiLeaks est une organisation informelle créée en 2006 par un apôtre de la transparence intégrale, l'Australien Julian Assange, dans le but de rendre publics sur Internet des documents officiels qui n'étaient pas destinés à le devenir.
En octobre, nous avons rejoint trois journaux, le New York Times, le quotidien britannique The Guardian et l'allemand Der Spiegel, déjà partenaires de WikiLeaks dans la diffusion d'une première vague de documents militaires américains sur l'Afghanistan, en juillet, pour pouvoir analyser par nous-mêmes une nouvelle masse de documents du Pentagone livrés à WikiLeaks, cette fois sur l'Irak, et offrir aux lecteurs francophones notre propre expertise.
Les documents dont nous commençons le compte-rendu aujourd'hui, toujours avec les trois organes de presse précédemment cités, plus, cette fois, l'espagnol El Pais, sont d'une autre nature, et d'une dimension sans précédent : il s'agit de quelque 250 000 télégrammes diplomatiques américains, c'est-à-dire de la correspondance échangée entre le département d'Etat à Washington et ses ambassades, pour l'essentiel entre 2004 et 2010.
METTRE CES DOCUMENTS À LA DISPOSITION DES LECTEURS
Les représentants du département d'Etat ont pris contact ces derniers jours avec de nombreux gouvernements étrangers pour les prévenir des révélations à attendre et les mettre en garde contre tout impact négatif. Pour l'administration américaine, la publication de ces documents par WikiLeaks est "illégale", elle met en danger "d'innombrables" vies, menace les efforts antiterroristes et nuit aux relations des Etats-Unis avec leurs alliés.
La plupart des pays démocratiques déclassifient leur correspondance diplomatique au bout d'un certain nombre d'années, en ouvrant leurs archives. Dans le cas de ces documents WikiLeaks, la déclassification est quasiment immédiate et se fait contre la volonté du pays concerné. Il est clair que la divulgation des télégrammes diplomatiques confidentiels d'une puissance comme les Etats-Unis, qui est au cœur de tous les sujets majeurs des relations internationales, l'étalage d'entretiens et de conversations tenus en toute confiance car ils ne devaient pas être connus du grand public avant trente ou quarante ans ne peut être anodine; c'est une dimension de l'action de WikiLeaks que nous avons évidemment mesurée.
Mais à partir du moment où cette masse de documents a été transmise, même illégalement, à WikiLeaks, et qu'elle risque donc de tomber à tout instant dans le domaine public, Le Monde a considéré qu'il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d'en faire une analyse journalistique, et de la mettre à la disposition de ses lecteurs.
Informer, cependant, n'interdit pas d'agir avec responsabilité. Transparence et discernement ne sont pas incompatibles – et c'est sans doute ce qui nous distingue de la stratégie de fond de WikiLeaks. Les cinq journaux partenaires ont travaillé sur les mêmes documents bruts et celui qui est en première ligne, le New York Times, a informé les autorités américaines des télégrammes qu'il comptait utiliser, leur proposant de lui soumettre les préoccupations qu'elles pourraient avoir en termes de sécurité.
En commun, les cinq journaux ont soigneusement édité les textes bruts utilisés afin d'en retirer tous les noms et indices dont la divulgation pourrait entraîner des risques pour des personnes physiques. Le Monde a aussi offert aux responsables américains de faire valoir leur point de vue dans ses colonnes : c'est à ce titre que nous publions une tribune de l'ambassadeur des Etats-Unis en France en pages Débats.
Enfin, ce n'est pas un hasard si ces nouvelles révélations émanent des Etats-Unis, le pays le plus avancé technologiquement et, d'une certaine manière, la société la plus transparente, plutôt que de Chine ou de Russie. Par sa nature ouverte, une puissance démocratique s'expose à plus d'intrusions qu'un pouvoir fermé ou opaque. C'est des Etats-Unis qu'est partie la révolution Internet, c'est là aussi que vit la tradition des "whistleblowers", ces "sonneurs d'alarme" de la société civile. Et WikiLeaks le sait mieux que personne.
Sylvie Kauffmann
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