Les raisons de réformer le système électoral du Québec sont très sérieuses. Le mode de scrutin uninominal que nous utilisons ne reflète pas fidèlement le soutien réel des partis politiques dans la population. En 2018, la CAQ a obtenu 59 % des députés avec seulement 37,4 % des votes populaires, alors que le PQ ou QS, avec 17 % et 16 % des votes, ont obtenu chacun 8 % des députés. C’est un défaut bien connu de ce mode de scrutin.
Un autre défaut, moins connu mais plus grave, apparaît si on adopte le point de vue des citoyens plutôt que celui des partis. Ce mode de scrutin crée des inégalités entre les électeurs selon le lieu où ils habitent et produit des assemblées où beaucoup de citoyens n’ont aucun représentant. En 2018, 54,5 % des électeurs ont voté pour des candidats qui ont été battus, et tous les députés ont été élus par 45,5 % des votes valides. Une partie des 37,4 % de votes obtenus par la CAQ est allée à des candidats qui ont été battus, et la majorité gouvernementale a été élue en fait par 28,9 % des électeurs.
C’est ce qu’une réforme devrait corriger. La CAQ et trois autres partis se sont engagés à mettre en place un « scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales ». La ministre Sonia LeBel a annoncé le projet de faire un système mixte avec 80 circonscriptions uninominales et 45 sièges compensatoires. Ce projet est l’objet de critiques qui ne sont pas toutes justifiées.
«Non élus, vraiment?»
Les 45 députés élus de manière compensatoire sont parfois qualifiés de « non-élus », ce qui révèle soit l’ignorance de celui qui le dit ou l’écrit, soit sa volonté d’induire le public en erreur. Dans un système mixte, tous les députés ne sont pas élus de la même façon, mais tous sont des élus ; certains le sont par le premier vote des électeurs dans les circonscriptions uninominales et d’autres le sont par le deuxième vote des électeurs, afin que la composition de l’assemblée soit plus proportionnelle que ce qui est possible avec un système seulement uninominal.
On agite aussi la perspective que notre régime parlementaire soit déstabilisé par « des groupes radicaux ou extrémistes » qui pourraient accéder à l’Assemblée nationale. Cette critique, qui est toujours faite à la représentation proportionnelle, n’est justifiée que quand celle-ci est extrême, c’est-à-dire appliquée dans des circonscriptions où sont élus un grand nombre de députés. Mais on peut aussi faire ce que Vincent Lemieux appelait une « représentation proportionnelle modérée », appliquée dans des circonscriptions où sont élus entre trois et cinq députés.
C’est une distinction très importante. Si on fait élire 125 députés dans une circonscription unique incluant tout le Québec, un parti pourra obtenir un élu avec moins de 1 % des votes. De façon un peu moins extrême, si l’île de Montréal forme une circonscription élisant 27 députés, un parti pourra obtenir un élu avec moins de 4 % des votes. Le danger pour la stabilité politique serait réel. Pour avoir un élu dans une circonscription à cinq sièges, un parti doit obtenir environ 16 % des votes et dans une circonscription à trois sièges, il doit atteindre environ 25 %. Le danger des groupes extrémistes disparaît alors à peu près complètement. C’est pourquoi une représentation proportionnelle doit être modérée.
Système mixte compensatoire
La même distinction s’applique dans le cas d’un système mixte compensatoire. Si la compensation est calculée dans l’ensemble du Québec, ou dans des régions élisant plusieurs dizaines de députés, le danger pour la stabilité politique sera presque aussi grand qu’avec une représentation proportionnelle extrême. Pour l’éviter, il faudrait calculer la compensation dans des régions moins peuplées que les trois régions administratives les plus peuplées du Québec.
Une représentation proportionnelle modérée serait beaucoup plus simple à mettre en place, à faire fonctionner et à comprendre par les électeurs. Sans rien changer aux limites des circonscriptions électorales actuelles, et en conservant de deux à cinq circonscriptions uninominales dans les régions éloignées, on pourrait regrouper toutes les autres en 41 ou 40 circonscriptions à trois sièges ou en 24 circonscriptions à cinq sièges.
L’argument principal en faveur des modes de scrutin mixtes est qu’ils permettent de conserver des circonscriptions uninominales, qui sont censées maintenir un lien direct entre les électeurs et les élus. Des circonscriptions élisant trois députés n’affaibliraient pas ce lien. Sur le même territoire il y aurait, comme aujourd’hui, trois députés. Il serait aussi facile qu’aujourd’hui de les joindre par téléphone ou par courriel. Dans les villes et les régions centrales du Québec, il serait à peine plus difficile d’aller les voir en automobile ou en transport en commun.
Et cela aurait un avantage très important. Aujourd’hui, quand un citoyen veut faire une démarche auprès de « son » député, dans plus de la moitié des cas celui-ci est quelqu’un pour qui il n’a pas voté, et c’est toujours soit un membre de la majorité gouvernementale, soit un membre de l’opposition, ce qui peut grandement changer les choses selon la nature de la démarche. Avec trois députés par circonscription, la plupart des électeurs auront au moins un député du parti pour lequel ils ont voté, et il n’arrivera presque jamais que les élus d’une circonscription appartiennent tous soit à la majorité soit à l’opposition. Nos concitoyens aimeront beaucoup ces nouvelles possibilités de choix si elles leur sont offertes.
Une proportionnelle modérée permettrait d’avoir un rapport plus équitable entre les quatre partis politiques principaux, sans favoriser l’émergence de partis extrémistes. Elle produirait une Assemblée nationale représentant beaucoup mieux l’ensemble de la population. En 2018, tous les députés ont été élus par 45,5 % des électeurs. Avec une proportionnelle dans des circonscriptions à trois sièges, ils auraient été élus par 70 % ou 80 % des électeurs, et avec des circonscriptions à cinq sièges, cette proportion serait proche de 90 %. Ce serait un progrès important pour contrer le désenchantement de beaucoup de nos concitoyens envers les élections et pour inciter nos gouvernants à tenir compte davantage des préoccupations de presque tous ceux qu’ils gouvernent.
Par rapport à n’importe quel système mixte, ce serait une réforme plus simple, plus facile à mettre en place, plus facile à comprendre par la population et plus difficile à critiquer avec des arguments plus ou moins mal fondés.