L’ex-leader parlementaire du Bloc Québécois, Pierre Paquette, soutient, dans une intervention récente dans Le Devoir, que la démarche d’accession à la souveraineté proposée par Québec solidaire, c’est-à-dire la mise en place d’une assemblée constituante, est dangereuse. Et ceci dans la mesure où l’issue des débats n’est pas réglée d’avance. Cela trahit une fois de plus le trouble dans lequel sont plongés les acteurs traditionnels du mouvement souverainiste lorsqu’il s’agit de penser l’indépendance dans un cadre nouveau où le Parti Québécois n’est plus l’unique grand timonier de la traversée vers l’autogouvernement du Québec.
Hors du PQ, point de salut ?
La stratégie d’accession à la souveraineté du Parti Québécois repose historiquement sur une priorisation de la question nationale. Sous prétexte d’éviter les déchirements, les débats sur la question sociale, qui lui est pourtant consubstantielle, sont repoussés jusqu’au lendemain de l’indépendance. C’est pourquoi le PQ a toujours mal toléré la présence d’une gauche syndicale et sociale organisée en ses rangs, et c’est pourquoi madame Marois a expulsé le SPQ-Libre en 2010. C’est aussi pourquoi ce parti a toujours mal vu la constitution d’une gauche politique autonome (Québec solidaire), qui prétend non seulement sortir du manteau péquiste, mais qui refuse la séparation dualiste du national et du social.
La déconnexion du politique et du social
Cet aveuglement au social a provoqué depuis longtemps une déconnexion entre l’appareil du parti Québécois et les revendications exprimées par la société civile. Le parti en est ainsi venu à se faire extrêmement discret sur les questions de souveraineté pour plutôt s’attarder à se montrer bon gestionnaire de l’économie de marché. C’est pourquoi, malgré l’ampleur de la récente mobilisation étudiante et populaire, madame Marois, au même titre que MM. Charest et Legault, n’arrive pas à se présenter comme relais permettant la traduction politique des événements du printemps. Comme le disait Josée Boileau : « ils ratent vraiment le bateau en mouvement ». Qui n’a pas, au lendemain du débat et en l’absence difficilement justifiable de M. Aussant, remarqué combien le contenu féministe, écologiste et indépendantiste du discours de Françoise David contrastait avec la superficialité des invectives partisanes des autres chefs, dont Mme Marois ?
Faire confiance au peuple
Le débat des chefs a révélé la position étrange dans laquelle se trouve le parti Québécois. En effet, celui-ci peut difficilement continuer à se présenter comme seul porteur des espérances du peuple québécois s’il s’entête du même souffle à ne pas renoncer au pétrole et au gaz de schiste, s’il ne parle de la souveraineté que du bout des lèvres et s’il fait la sourde oreille aux mouvements populaires. Cette attitude rétive témoigne du caractère technocratique du parti de Mme Marois, lequel semble très craintif à l’idée de laisser s’exprimer véritablement le peuple, de lui faire confiance et de le mettre aux commandes de son destin, non pas uniquement en paroles, mais dans les faits. Le Parti Québécois semble plus préoccupé, comme le dirait Pierre Vadeboncoeur, à être cohérent avec lui-même, dans ce cas-ci avec son propre flétrissement, qu’avec le mouvement des choses.
En effet, le programme économique du Parti Québécois, son discours électoral, son mutisme sur la question de l’indépendance démontrent bien que ce parti ne se nourrit plus des dynamiques et des forces en marche dans la société québécoise, mais travaille plutôt « en silo », et très loin des gens d’en bas. Le PQ agit comme le parti-rédempteur qui veut conserver le monopole sur le gouvernail, mais qui refuse par ailleurs, comme le dirait Michel Chartrand, de «lâcher le peuple lousse».
C’est pourquoi le parti de Mme Marois refuse de s’engager sur la voie indiquée par la population lors de consultations, depuis les États Généraux du Canada-Français de 1969 et dans les commissions itinérantes sur la souveraineté de 1995 : la tenue d’une assemblée constituante. Il ne s’agirait plus alors de faire voter la population sur une question référendaire élaborée dans un cabinet, mais de remettre entre les mains du peuple lui-même la souveraineté lui permettant d’écrire sa constitution et d’instituer la société dans laquelle il veut vivre.
Alors, bien sûr, on ne peut pas, n’en déplaise à M. Paquette, forcer la main du peuple. C’est pourquoi Québec solidaire, s’il affirme qu’il fera lors d’un tel processus la promotion de l’indépendance, ne cherche pas a priori à exclure les fédéralistes du débat, en ayant confiance que le peuple préfèrera la liberté au maintien de la domination coloniale. Une telle démarche aurait aussi pour mérite de ne pas dissocier la forme que prendrait un nouvel État du Québec du contenu politique et social qui en constituerait le noyau éthique, rétablissant la dialectique entre la question nationale et la question sociale.
Québec solidaire ne se présente pas comme le seul porteur de la souveraineté, reconnaissant que seul le peuple détient un tel pouvoir. Il refuse de se saborder pour taire la question sociale et pour retourner sous la chape de plomb péquiste. Il ne cherche pas non plus à imposer ses idées aux mouvements sociaux, ni à la rue, estimant que le courant devrait bien plutôt circuler à l’inverse. Cela alarme sans doute bien des gens, dans le parti de Mme Marois, qui sentent le monopole du microphone leur filer entre les doigts. Il faudrait leur rappeler que ce n’est pas eux qui sont aujourd’hui en passe d’être abandonnés, mais que c’est bien plutôt le PQ qui s’est emmuré loin du peuple du Québec qui grouille encore, mais ils parlent aujourd’hui si peu, enfermés dans une comptabilité exsangue. Heureusement, ce peuple n’appartient à aucun monopole, il n’appartient en définitive à personne qu’à lui-même.
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Eric Martin, professeur de philosophie, Collège Édouard-Montpetit
Gordon Lefebvre, enseignant à la retraite
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