"L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie" - Hervé Kempf

Politique - La fin de l'oligarchie?

«Il y a une lutte des classes, tout à fait. Mais c'est ma classe, la classe des riches, qui mène la guerre et nous la gagnons.» - Warren Buffet

Livres-revues-arts 2011




L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie
_ o Hervé Kempf
_ o Éditions du Seuil
_ o Paris, 2011, 183 pages
Quand on ferme le dernier livre d'Hervé Kempf, journaliste à l'environnement au quotidien Le Monde, L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie, on a l'impression d'avoir parcouru en filigranes le dossier des gaz de schiste!
L'oligarchie, voilà un concept que les politologues boudent depuis trop longtemps, explique Kempf dans ce livre-choc disponible depuis cette semaine. Les politologues, dit-il, se limitent plutôt aujourd'hui à l'opposition entre dictatures et démocratie, ce qui sert merveilleusement une oligarchie drapée dans une démocratie vidée de son sens à bien des égards.
«Ce vide conceptuel, écrit Kempf, est un piège redoutable. Car qui oserait prétendre que nous sommes en dictature? Mais si l'on ne sait pas penser la politique autrement que comme une alternative entre dictature et démocratie, si par ailleurs on reconnaît que l'on n'est pas en dictature, la conclusion logique est d'admettre... que nous sommes en démocratie. Et pourtant, elle ne va pas bien, cette démocratie. Il y a évidemment quelque chose qui cloche et que l'on ne sait pas définir. C'est ce piège que jouent les oligarques» pour asseoir leur «pouvoir invisible» sur la société et trafiquer littéralement la démocratie en la résumant à un simulacre formel, à un spectacle électoral soigneusement régi par des professionnels dont ils tirent les ficelles.
Dans cette perversion de la démocratie, que tous perçoivent intuitivement sans la nommer, avance Kempf, «la politique réelle est définie en privé dans la négociation entre les gouvernements élus et les élites qui représentent de manière écrasante les intérêts des milieux d'affaires».
Le milliardaire Warren Buffet, au troisième rang des hommes les plus riches de la planète, déclarait en 2006 à un journaliste: «Il y a une lutte des classes, tout à fait. Mais c'est ma classe, la classe des riches, qui mène la guerre et nous la gagnons.»
Ses semblables, poursuit Kempf, se sont donné des institutions comme la Trilatérale et le groupe Bilderberg, dont les médias, censés être les chiens de garde de la démocratie, valorisent plutôt les assises annuelles, comme le sommet annuel de Davos.
À l'époque des Grecs, rappelle cet auteur qui en est à son huitième livre, l'oligarchie était encore un véritable choix politique avec la royauté et la démocratie. L'oligarchie se voulait alors un regroupement de sages au service de la communauté. Mais aujourd'hui, dit-il, c'est le pouvoir de l'argent qui sert de passeport pour entrer dans le cercle des grands milliardaires, les nouveaux oligarques.
Selon Kempf, les membres de cette nouvelle caste dirigeante ont troqué leur culture nationale au profit de celle de la mondialisation, un système de valeur auquel les États démocratiques achèvent de se soumettre, abdiquant la recherche de l'intérêt général au profit de la règle du profit. Sa prépondérance est désormais codifiée dans des ententes économiques comme l'ALENA ou celle que négocient présentement l'Europe et le Canada, qui permettrait de privatiser jusqu'aux services publics.
À la Maison-Blanche comme à l'Élysée, poursuit Hervé Kempf, le jeu des portes tournantes permet aux politiques, fonctionnaires ou élus, qui servent la grande oligarchie, d'y obtenir la part que leur fonction met à leur portée. Les chefs de cabinet, d'anciens ministres et même d'anciens premiers ministres deviennent les lobbyistes, les représentants ou les gestionnaires des grandes entreprises qu'ils ont un jour encadrées ou fait semblant d'encadrer.
Hervé Kempf pose en fin de compte une question embarrassante: pourquoi les peuples tolèrent-ils ces pouvoirs occultes qui ont transformé la démocratie en simulacre?
Sa réponse est cruelle: «Si les gens ne se rebellent pas, écrit-il, c'est aussi parce qu'ils ne le veulent pas.» Le système survit, résiste, dit-il, «parce qu'il a réussi à créer l'adhésion des gens à ce qui est», notamment grâce au modèle de richesse que la plupart poursuivent, basé sur la consommation, un portrait qu'il a tracé dans Ces riches qui détruisent la planète (Seuil 2007).
Le véritable frein à ce mouvement, prédit Kempf, pourrait bien venir de l'épuisement des ressources planétaires et de l'augmentation des prix dans tous les domaines, un phénomène causé par cette surconsommation à la base de la puissance économique des nouveaux oligarques. L'élastique des écosystèmes aura alors atteint sa limite.
Hervé Kempf ne propose aucune solution quant à la manière de remettre nos sociétés sur les rails, optant pour laisser le public débattre désormais des conditions du retour à la démocratie.


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