Visitée par une centaine de policiers la semaine dernière dans le cadre d’une enquête criminelle de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), la Ville de Terrebonne pourrait devoir expliquer pourquoi elle a octroyé en 10 ans 241 contrats, dont la majorité sans appel d’offres, à la firme de communication qui a aidé à faire élire le maire Jean-Marc Robitaille.
Au total, l’entreprise Groupe CJB, devenue Octane, a reçu plus de 1,6 M$ de fonds publics de 2002 à 2012, pour une accumulation de services facturés à la carte.
La grande majorité des 241 factures résultaient de contrats sans appel d’offres. Trois contrats de plus de 25 000 $, nécessitant l’invitation d’au moins deux fournisseurs, ont été accordés à la firme durant cette période.
«Mise à jour du site internet», 1222,14 $. «Banque d’images vidéo», 11 820,54 $. «Réalisation de pochettes», 4127,10 $... la liste des paiements effectués à CJB et Octane est longue. Le Journal l’a obtenue grâce à une demande d’accès à l’information. Elle s’étend sur 7 pages en petits caractères.
Dès sa première élection à la mairie de Terrebonne, en 1997, le parti de Jean-Marc Robitaille a eu recours aux services de Groupe Cible, une boîte de communication fondée par Jean Battah.
Plus tard, Groupe Cible est devenue Communications CJB, puis Octane. Battah s’est associé entre-temps avec Louis Aucoin (tous deux n’y travaillent plus) et Pierre Guillot-Hurtubise. Ce sont ces deux dernières firmes qui ont obtenu les contrats de Terrebonne.
Élections clef en main?
Dans une enquête sur les élections clef en main menée au début des années 2000, le directeur général des élections du Québec (DGEQ) a d’ailleurs produit une fiche qui montre l’implication de cette firme dans la campagne de Robitaille, sans formuler de conclusion.
Les élections «clef en main» étaient organisées par des individus qui s’occupaient de trouver du financement et des services nécessaires pour remporter le scrutin, le tout en retour de contrats remis à ces fournisseurs, une fois le candidat élu.
Groupe Cible et la formation politique de Robitaille, qui s’appelait alors Parti de l’avenir des citoyens et citoyennes de Terrebonne, n’ont pas écopé de constats d’infraction ou fait l’objet d’accusations en justice à la suite de cette enquête.
Selon nos informations, les firmes de communication sont sous le radar de l’UPAC à Terrebonne, tout comme à Montréal, comme nous le révélions hier. Elles intéressent les enquêteurs au même titre que des entrepreneurs et des bureaux d’ingénieurs, d’avocats et de comptables.
«Par respect pour l’enquête en cours, la Ville ne formulera pas de commentaires actuellement», a affirmé hier le porte-parole de Terrebonne, Joël Goulet.
Chez Octane, l’associée Édith Rochette a fait une brève déclaration. «Nous offrons pleinement notre collaboration, comme par le passé, si les autorités concernées désirent quelque information que ce soit concernant des mandats antérieurs», a-t-elle écrit dans un courriel.
La fille de Trudel et la firme Octane
En 2010, Le Journal révélait que la Ville de Terrebonne avait embauché deux ans plus tôt Karinne Trudel, la fille de l’entrepreneur en construction controversé Normand Trudel. Elle était à ce moment-là salariée par la firme de communication Octane.
Normand Trudel est un proche du maire Robitaille. Il a été arrêté et accusé de fraude en 2012 à la suite d’une enquête sur l’octroi de contrats publics dans la ville voisine de Mascouche. Son procès n’a pas encore eu lieu, quatre ans plus tard.
Malgré les liens entre Octane et le parti du maire, la Ville avait justifié l’embauche, sans concours, de Mme Trudel par le fait qu’il s’agissait d’un poste de cadre. Elle prétendait ainsi qu’elle n’était pas obligée de procéder à un appel de candidatures.
Imposant dossier
Rappelons que mercredi dernier, une centaine d’enquêteurs de l’UPAC ont visé très haut dans l’organigramme de la Ville de Terrebonne.
Ils ont perquisitionné, entre autres, dans les résidences personnelles du maire Robitaille, de son chef de cabinet Daniel Bélec, du directeur général Luc Papillon et du président de la Régie d’aqueduc intermunicipale des Moulins (RAIM) Michel Morin. L’hôtel de ville a également été soumis à une perquisition.
L’opération policière de mercredi dernier ne signifie pas nécessairement que des accusations criminelles seront déposées.
Il s’agissait pour l’UPAC de bonifier un imposant dossier d’enquête en allant chercher des preuves supplémentaires.
Selon nos informations, le maire Robitaille a organisé une rencontre en privé avec les conseillers municipaux aujourd’hui, pour faire le point. Il n’a pas encore fait de déclaration publique depuis l’opération policière.
De nombreuses factures
La Ville de Terrebonne a payé 241 factures de moins de 25 000 $ à CJB et Octane de 2002 à 2012. Il y en a au total pour plus de 1,6 M$, soit une moyenne annuelle de 160 000 $. À titre d’exemple, nous vous présentons seulement les mandats octroyés pour l’année 2002.
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