Dans les années 80, la décision du gouvernement de Brian Mulroney d'accorder le contrat d'entretien des CF-18 à Canadair de Montréal plutôt qu'à la compagnie Bristol Aerospace de Winnipeg avait eu un rôle déterminant dans le départ de Stephen Harper des rangs du Parti progressiste-conservateur.
Le Reform Party était né des germes de la colère suscitée dans l'Ouest canadien par cette décision qui équivalait à passer outre au plus bas soumissionnaire pour donner des assises plus solides à l'industrie aérospatiale québécoise. La controverse n'avait pas non plus été étrangère à la hargne manitobaine à l'égard des accommodements constitutionnels offerts au Québec.
Maintenant qu'il est premier ministre, l'histoire ne dit pas si Stephen Harper accepte mieux l'idée que le gouvernement fédéral puisse avoir des considérations industrielles stratégiques qui vont au-delà des lois les plus simplistes du marché. Il a déjà changé d'avis sur tellement d'autres sujets.
Mais si tel était le cas, sa pensée n'a pas évolué suffisamment pour l'amener à aller à contre-courant du sentiment dominant dans le reste du Canada. Vingt ans plus tard, si l'histoire des CF-18 doit se répéter, ce sera à l'inverse, avec le gouvernement conservateur dans le mauvais rôle au Québec.
L'annonce de l'achat par Ottawa de quatre avions de transport militaire C-17 de Boeing a consacré la défaite du vaste lobby qui militait pour que la part québécoise des retombées du contrat soit équivalente à sa place dominante dans l'industrie aérospatiale canadienne.
En conférence de presse vendredi, les deux ministres fédéraux du Québec associés à l'annonce ont fait des pirouettes pour ne pas dire tout haut ce qui circulait déjà tout bas. Alors que la part québécoise de l'industrie se chiffre à un peu moins de 60 % du total canadien, c'est à peine la moitié, dans le meilleur des cas, des retombées indirectes du contrat de Boeing qui aboutirait au Québec.
En chemin pour la conférence de presse, ce qui aurait pu être une annonce porteuse pour les conservateurs au Québec s'était transformé en «patate chaude».
En panne de chevaux de bataille, le Bloc québécois n'a pas attendu vendredi pour enfourcher celui-là. La formation de Gilles Duceppe est sur les barricades de l'affaire Boeing depuis la rentrée parlementaire. En quelques jours, ses députés ont épuisé le dictionnaire des épithètes désobligeantes. Ils ont traité les ministres fédéraux du Québec de traîtres; ils les ont accusés d'à-plat-ventrisme. La dernière fois que le Bloc québécois a vilipendé un ou des ministres québécois avec autant de hargne, la cible s'appelait... Stéphane Dion et l'enjeu était la loi sur la clarté. On connaît la suite.
Dans les faits, les ministres fédéraux québécois ont perdu la bataille des retombées des C-17 notamment parce qu'ils ne font pas le poids au sein du gouvernement. On voit mal comment dix députés d'opposition de plus seraient arrivés à un résultat plus probant.
Les libéraux pour leur part n'auraient même pas passé une telle commande. Ils estiment que le contrat a été manipulé pour avantager Boeing, que l'achat des C-17 est superflu et finalement que les retombées du contrat seront insignifiantes quant aux gains industriels stratégiques.
Que la bataille reprendra de plus belle aujourd'hui aux Communes ne fait pas de doute. Mais la vraie question n'est pas de savoir si les partis d'opposition vont continuer de souffler sur les braises du contrat, mais plutôt de voir si les flammèches vont se propager à l'extérieur du parlement.
Il est loin d'être évident que l'industrie aérospatiale québécoise ait envie de monter aux barricades contre un gouvernement qui ne fait que commencer à faire du magasinage militaire. Sans son appui, l'opposition va manquer de munitions.
L'autre joueur déterminant dans la tournure de cette discussion, c'est le premier ministre Jean Charest. Il y a quelques semaines, le ministre Raymond Bachand affirmait que le Québec devrait avoir des retombées à la hauteur de sa part de l'industrie.
Mais à la veille d'une campagne électorale, le premier ministre n'a pas un grand intérêt à rejoindre ses adversaires souverainistes sur le sentier d'une guerre perdue d'avance contre un gouvernement fédéral allié qui est en position de lui rendre encore des services.
Jean Charest était au cabinet à l'époque de la controverse sur les CF-18. À titre d'ancien chef conservateur fédéral, il n'est pas sans connaître l'environnement politique dans lequel évolue Stephen Harper. Surtout, il a conscience de ce qu'une certaine presse anglophone accuse de plus en plus le gouvernement conservateur de favoriser le Québec pour servir ses intérêts électoraux.
Le premier ministre du Québec s'attend à être un des gagnants du prochain budget fédéral, lequel est appelé à jouer un rôle central dans sa campagne électorale. Va-t-il ménager ses munitions sur Boeing pour se rabattre sur une entente plus avantageuse sur le déséquilibre fiscal, et en particulier sur la péréquation? Le contraire serait surprenant.
L'ironie, c'est que le Québec reçoit des paiements de péréquation parce que son économie est moins forte que la moyenne des autres provinces. Or, une industrie aérospatiale vigoureuse est à la clé de n'importe quelle stratégie pour faire accéder le Québec au club des provinces riches.
Depuis que les conservateurs sont arrivés au pouvoir, c'est la première fois qu'un dossier met autant en évidence les contradictions entre le désir de Stephen Harper de ménager sa base et ses rêves d'expansion au Québec. Ce ne sera pas la dernière fois. Il y a des jours où Brian Mulroney doit rire dans sa barbe!
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star
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