En politique, il faut définir son adversaire avant qu’il ne se définisse lui-même. Il faut imposer les termes du débat, délimiter l’espace dans lequel les partis s’affronteront, et le délimiter à son avantage. C’est ce que cherche à faire le Parti libéral depuis l’élection de Jean-François Lisée comme chef du PQ. Philippe Couillard, on le sait, a voulu l’associer à l’extrême-droite européenne. Christine Saint-Pierre, qui ne s’est jamais interdit les excès rhétoriques en parlant des souverainistes, en a rajouté aujourd’hui. La cassette est prête : aux prochaines élections, les libéraux ne défendront pas seulement le Canada contre les vilains séparatistes québécois, mais la démocratie contre des populistes dangereux. En 2018, ils voudront passer pour les chevaliers de la vertu.
En démocratie, qui dit extrême-droite veut diaboliser son adversaire. Qui dit xénophobie, racisme ou populisme veut le diaboliser aussi. En ce moment, les libéraux ont décidé de diaboliser le PQ. Ils peignent leur adversaire en monstre pour se donner tous les droits contre lui. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où ils veulent en finir une fois pour toutes avec l’indépendance. Diaboliser son adversaire, c'est le présenter comme un infréquentable absolu, indigne de concourir pour le pouvoir, indigne de l'exercer, indigne même de participer à la délibération démocratique, puisqu'on l'accuse d'y investir des sentiments et des idées en contradiction avec les exigences élémentaires de la dignité humaine. Le PLQ ne traite pas le PQ en adversaire mais en ennemi. En quelque sorte, les libéraux nous refont le coup de l’été 2012, quand ils avaient cherché à instrumentaliser les élections en pleine crise étudiante pour se présenter comme les gardiens de l’État de droit contre l’insurrection appréhendée des carrés rouges. Au nom de cette mission sacrée, ils nous demandent d’oublier leur héritage gouvernemental calamiteux.
Les péquistes peuvent adopter deux stratégies devant cette charge. La première est très mauvaise, la seconde est très bonne.
Commençons avec la mauvaise. Elle consiste à céder à l’intimidation. Dans ce scénario, les péquistes prendraient peur et chercheraient à donner la preuve à leurs adversaires qu’ils sont bien moins méchants qu’ils ne le disent. Les libéraux fixeraient alors les conditions de la respectabilité et les péquistes rêveraient qu’on leur décerne un certificat de bonne conduite. Les libéraux diront : abandonnez l’identité, et vous serez respectables. Abandonnez aussi la langue, tant qu’à y être. Et pourquoi pas la souveraineté? N’est-ce pas ce que demandait, sous le signe de l’humour, Philippe Couillard à Sylvain Gaudreault dans son poème d’adieu au chef intérimaire du PQ? En gros, dans ce scénario, le PQ obtempérerait, recommencerait à s’excuser d’exister et n’aborderait qu’avec une discrétion honteuse la question identitaire, comme s’ils jouaient consciemment dans la part la plus sombre du cœur de l’homme. Le PQ se coucherait en espérant éviter les balles. En fait, il s’offrirait comme tapis à ses adversaires qui le piétineraient joyeusement. En cherchant l’apaisement, ils ne trouveraient rien d’autre que l’humiliation.
Suivons avec la bonne stratégie. Il s’agit de contre-attaquer tout aussi férocement et de ne plus prendre la pose piteuse de celui qui ne sait pas trop s’il a le droit de parler de ce dont il parle. Il ne s’agit évidemment pas d’aller dans l’excès en accusant les libéraux de trahison. Il s’agirait d’une polémique exagérée à l’américaine. Mais les péquistes seraient tout à fait en droit de leur reprocher d’abandonner l’identité québécoise, de présenter systématiquement leurs gros candidats dans des comtés où les francophones sont en minorité, de capituler systématiquement devant les accommodements ethnoreligieux en se soumettant au multiculturalisme et d’œuvrer finalement à la dissolution politique et culturelle de la majorité historique francophone en misant sur des seuils d’immigration absolument déraisonnables. Ils ne devraient surtout pas se gêner pour avancer un programme identitaire musclé en se fichant des insultes canardées par un PLQ de plus en plus hostile au Québec francophone.
S’en ficher: c’est le meilleur conseil qu’on peut leur donner. Les Québécois ne sont pas fous : sauf ceux qui sont prêts à croire n’importe quoi par antinationalisme primaire, ils savent très bien que le PQ n’a rien d’un parti d’extrême-droite. Une telle accusation, on la balaye du revers de la main et on accuse ceux qui la lancent d’hystériser le débat public en s’adonnant à la propagande la plus grossière. Et lorsqu’on s’en fiche et qu’on se donne le droit d’avancer son programme sans craindre les sales étiquettes que peut nous coller l’adversaire, on se sent beaucoup plus libre. On s’est libéré du désir de plaire à ceux qui veulent nous anéantir. On peut commencer à faire de la vraie politique.
C’est la grande fraude idéologique de la politique contemporaine: marquer au fer rouge de l’intolérance le désir qu’ont les peuples de demeurer eux-mêmes, d’assumer leur identité culturelle et leur droit à la continuité historique. On présente comme du racisme ou de la xénophobie le simple désir de demeurer maître chez soi et de demeurer soi-même – en fait, on xénophobise certaines aspirations humaines aussi légitimes que profondes, comme si la démocratie, pour vraiment s’accomplir, devait purger chaque société de son héritage historique et la dissoudre pour que ne demeure à la fin que des individus déliés et des minorités étrangères les unes aux autres. Derrière le refus de l’identitaire, il y a tout simplement le désir d’en finir avec les peuples, comme s’ils représentaient une forme historique périmée, appelée à s’effacer pour que naisse le citoyen du monde, nomade, mobile, flexible et déraciné.
La question identitaire permet de ressaisir ce qui fait qu’un peuple est un peuple : à travers elle, on touche à la langue, à la culture, à la mémoire, aux mœurs. On touche à l’expérience historique d’une collectivité et aux grands repères qui, à travers le temps, permettent de la reconnaître. Autrefois, dans une certaine mesure, elle allait de soi. La nation n’était pas considérée comme une construction artificielle permettant de persécuter les minorités, mais comme une réalité historique qui conjuguait permanence et évolution. Mais aujourd’hui qu’on fait le procès de la légitimité même des nations, c’est à travers la question de l’identité qu’elles se défendent et affirment leur droit de vivre. La question identitaire n’a absolument rien de déshonorante : à travers elle, les Québécois pose la question de leur existence même, de leur «différence vitale», comme on dit aujourd’hui. C’est à travers elle qu’ils pourront un jour reprendre le combat pour leur indépendance et renouer avec la part passionnelle de la politique, qui reconnecte les citoyens à la cité.
Les péquistes devront comprendre une chose : les fédéralistes ne les détestent pas pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont. Ils ne tolèrent tout simplement plus que des nationalistes québécois rappellent que le peuple québécois existe et qu’y appartenir n’est pas qu’une manière comme une autre d’être canadien. Ils ne tolèrent plus l’existence du souverainisme, sauf lorsqu’il prend la forme aseptisée du souverainisme solidaire qui sur les questions identitaires, a une vision du monde assez semblable à celle du Parti libéral. Les péquistes sont détestés parce qu’ils incarnent, qu’ils le veuillent ou non, la force politique qui incarne les intérêts vitaux de la majorité francophone, en plus de faire de celle-ci, même lorsqu’ils ne s’en rendent pas compte, le cœur historique de la nation. Dans la perspective du fédéralisme multiculturaliste, assumer le rôle vital de la majorité historique francophone dans la définition de la nation, c’est sortir du périmètre de la démocratie. Les péquistes ne parviendront pas à convaincre leurs adversaires du contraire.
Les libéraux savent que la question identitaire est désavantageuse pour eux : ils le savent tellement qu’ils veulent empêcher leurs adversaires de se l’approprier et la marquer d’un interdit idéologique majeur. Alors ils l’entourent d’un champ de mine lexical. Racisme, xénophobie, populisme, repli sur soi, extrême-droite, peur de l’autre, nationalisme assiégé : ces mots sont là pour exploser au visage de qui voudra toucher à cette question essentielle. Ils savent bien que si la question identitaire s’impose, ils seront sur la défensive. Alors leurs porte-paroles officiels et officieux font pour que personne ne s’en approche. Ce serait leur victoire suprême s’ils parvenaient à en convaincre leurs adversaires.
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