Penser le Québec

Petit essai de météorologie politique québécoise

De l’air ambiant à l’interprétation difficile des météores

Penser le Québec - Dominic Desroches

« Une petite rébellion de temps en temps,

c'est comme un orage qui purifie l'atmosphère »

Thomas Jefferson
Au Québec, nos fantômes se disent de plusieurs manières : par la politique, par la littérature, par l'art, par le sport, etc. Lors de quelques contributions récentes, nous avons tenté de montrer que les apparitions soudaines de spectres recèlent une signification politique certaine, que la fédération canadienne est complice d’un grand manoir et que la relecture d’Hamlet, fort d'une transposition contemporaine, nous permet de mieux saisir les difficultés que les Québécois éprouvent face à l’esprit de la langue. Ces contributions modestes à saveur historique, qui avaient pour but de décoder la peur québécoise afin de la conjurer, n’ont pas eu d’échos significatifs, ce qui était sans doute à prévoir. Car comme dit quelque part le perspicace Sigmund Freud, il est des discours qui, de par leur nature même, appellent des « résistances ». La spectropolitique en est un.
Tenir un discours sur la peur, cela fait doublement peur. Et dire que les Québécois ont peur d'avoir peur, comme le faisait le révolutionnaire Pierre Vallières, cela fait frémir. On comprend dès lors pourquoi l'on préfère parler du destin de l'ADQ, des politiques trompeuses des Libéraux et de la corruption sans fin. La peur, elle, n'a pas le droit d'être nommée,visée et discutée, même si elle apparaît dans nos actions les plus quotidiennes. Mais bon...
Or, étant convaincu que le mal est assez profond et que l’avenir du Québec passe par l’établissement d’une « spectropolitique » québécoise digne de ce nom (une étude des fantômes qui hantent le peuple québécois, l’affole, afin de le garder, par la peur et la diffusion de l’épouvante, à l’intérieur d’une pièce fermée, sans air et sans fenêtre sur le monde), nous proposerons aujourd’hui une nouvelle manière d’interpréter l’être des fantômes. En effet, nous resterons dans l'épouvante, mais l'épouvante climatique. Nous tenterons, dans les limites de notre temps et de nos forces, de comprendre le retour des spectres au moyen d’un essai de météorologie, c’est–à-dire une analyse de la météo politique appliquée. Nous savons que nous avons perdu nos lecteurs, que notre capital de sympathie est à sec, voilà pourquoi le texte, assez court suivant nos habitudes, pourra comporter certains termes techniques. Auprès des huit lecteurs et lectrices qui nous restent, incluant l'auteur et sa famille, de même que sa belle-famille, nous nous en excusons. Cela étant, commençons par la base de toute météorologie : l’étude de l’atmosphère.
L’atmosphère politique : de l’air ambiant à l’intoxication…
L’atmosphère est un concept météorologique. Il correspond à l’air que nous respirons - que nous respirons tous ensemble. Il a donc un caractère public. Il devient politique quand on peut le transposer dans le domaine du pouvoir des hommes, le vivre-ensemble. Ainsi, l’air de l’atmosphère est décisif : s’il est trop pur ou trop pollué, la population qui est y soumise perdra la vie. On pourrait d'ailleurs trouver dans la dernière phrase la meilleure stratégie déployée durant les deux derniers conflits mondiaux. Or l'atmosphère politique contient en elle-même l’azote qu’il faut pour protéger la population qui veut vivre, c’est-à-dire qu’elle peut filtrer ce qui attaque la vie en commun et qui intoxique les travailleurs. Elle a un discours public, une possibilité de parler et de respirer.
L’atmosphère est stratifiée et sa température dépend de son altitude. Au niveau du sol il fait chaud, quand on s’élève il fait plus froid. Cette atmosphère est composée de vapeur d’eau et d’air ; la vapeur d’eau sert aux précipitations et l’air à notre respiration. Cette atmosphère présuppose toujours la possibilité de la chute des corps. Quand il y a précipitations, cela signifie qu’il y a eu formation d’un corps qui tombera vers le sol. La vitesse de la chute d’un corps formé dans l’atmosphère dépend, et c’est une loi fondamentale qui vaut aussi et éminemment en politique, de la résistance. Dans l’atmosphère politique, il peut y avoir aussi de la pluie, de la neige, de la grêle, des orages, des tornades, etc, cela dépend des changements de température, des courants et des perturbations. Ici, avant de poursuivre ce « petit cours d’autodéfense politique », il convient de retenir que la nature aime envoyer des messages sous forme de précipitations et que, de tout temps, les hommes ont cherché à interpréter les messages venus d’en haut. Relisons nos classiques grecs entre deux cours d'anglais... Cela vaut encore aujourd’hui puisque la politique se fait en bas.
De la formation des spectres au-dessus de nos « têtes »
Ici, certains lecteurs diront que l’auteur est fou et que, visiblement, la dose du médicament qu’il prend est trop forte pour lui. Peut-être penseront-ils qu’il est mûr pour la Nef ? Avant d’entrer dans le vaisseau sans timonier, avant de suivre son peuple trompé par son élite, l’auteur se laisse encore trois pages pour montrer que les spectres se forment au-dessus de nos « têtes », qu’ils ont des messages à livrer et qu’ils viennent hanter de l’extérieur vers l’intérieur.
Or, qu’est-ce qu’un nuage ? Réponse : c’est un spectre blanc – il peut-être parfois gris - qui flotte au-dessus de ceux qui travaillent, c’est-à-dire le peuple. En politique, un spectre est un nuage qui, venant de loin, se promène au-dessus de nos têtes. Choqué et noir, il peut nous annoncer un malheur. Les Anciens d'ailleurs étaient prévoyants puisqu’ils cherchaient l’avenir dans le ciel et le temps qu’il fait. Ils avaient compris, eux, que les spectres se forment à partir des changements du temps politique ; de vapeur d’eau, de poussière et de résidus flottant, ils se constituent et, à certains moments cycliques de la vie générale, ils se mettent à voyager et nous menacer d’en haut. Si les nuages sont hauts, ils sont froids et portent la glace, s’ils sont bas, c’est-à-dire s’ils se forment au niveau de la route du peuple, ils nous amènent le « brouillard » politique.
En météorologie, on dit que la coalescence des gouttelettes, associée à l’effet Bergeron, explique le type de précipitation. La formation de grésil, et tout le monde sait cela dans nos collèges bientôt bilingues- collèges qui valorisent le travail en dehors de la maison - résulte de l’harmonisation entre la coalescence des gouttelettes et l’effet Bergeron dans les nuages cumuliformes à fort développement vertical. Il y aura donc chute des grêlons lorsque ces particules de glace échapperont au courant ascendant. Il me semble que la chose est claire.
Les nuages nous envoient des messages à interpréter pour l’avenir

Ces mots, bref, nous disent ceci : les nuages nous lancent des messages. Quand il fait beau et que les spectres sont loin, il faut se réunir et respirer, quand il pleut, il faut se replier et attendre le retour du beau temps. Et c’est exactement ce que le Québec connaît dans l’heure : un ciel nuageux, menaçant, des perturbations politiques au quotidien qui n'échappent à personne et la formation constante de brouillard au sol, au moins depuis 2004. Les spectres, qui apparaissent dans la diachronie, viennent nous dire aujourd'hui que les temps sont difficiles et que nous sommes confinés à l’intérieur du grand manoir. Ils nous disent aussi qu’il est presque impossible de sortir de notre pièce, petite, qui prend l’air. Ils nous disent enfin que notre passé est écrit dans notre avenir et qu’il faut savoir d’où l'on vient si on veut en profiter. Les nuages savent d'où ils viennent et suivent les courants qui les portent. Certains politiciens savaient interpréter les messages de la nature ; comme disait quelque part Thomas Jefferson (celui qui voyageait en ballon, ce qui n'est pas de l'anecdote), par exemple, « une petite rébellion de temps en temps, c'est comme un orage qui purifie l'atmosphère ».

La classification des spectres selon l’altitude et l’âge

Concernant les types de spectres, la météorologie nous apprend qu’ils s’étudient selon l’altitude. Dans les régions tempérées, on relève trois niveaux : les nuages de 0 à 2 km, les nuages de 2 à 7 km et les nuages de 5 à 13 km d’altitude. Par exemple, les altostratus se présentent généralement à l’étage moyen alors que les cumulus hantent plus bas, plus près du sol.
Or de son côté, la « spectropolitique » dit que plus les spectres sont jeunes et haut, moins leur message est dangereux. Ils sont comme des anges à distance. En revanche, plus les spectres sont vieux et hantent bas, comme dans un brouillard, comme l'esprit frappeur du 24 Sussex, près du manoir, plus ils sont nocifs et subtils, plus ils sont présents dans leur mort. Les Québécois voient des cumulus à la régulière, tellement qu'ils sont devenus multiculturalistes. Et cela s’explique.

En effet, qu’est-ce qui fait le plus peur et se fait le plus menaçant : un fantôme vieux ou un fantôme jeune ? Qu’est-ce qui fait le plus peur, un nuage gris, sale et plein de gaz, ou un nuage haut et blanc ? Ces questions n'empêchent pas notre classification d'avoir une prétention à l’universalité et valoir pour toutes les politiques du monde. Les Allemands ont leurs fantômes, comme les Français, comme les Palestiniens ou les Arméniens. La seule différence entre eux et les Québécois – et elle est de taille – c’est que ces peuples ont en général un État, sont souverains, et sont par conséquent mieux en mesure de relativiser le discours du passé et des revenants. Cela ne vaut pas dire qu'il fait beau partout en dehors du Québec, loin de là. Le Québec, de par sa situation « géospectrologique » et historique en Amérique, éprouve de graves problèmes avec sa mémoire. Il est jeune et encore sujet aux disparitions, en témoigne le débat récent sur l’esprit de la langue et le retour de l’anglais dans la cour d’école. Mais revenons tout de suite à nos spectres et leurs manifestations avant de perdre la tête… ou bien l’avoir dans les nuages !
Sur les météores (phénomènes extrêmes) et les messages les plus difficiles à décoder
Notre texte doit se terminer sur les météores dans le paysage politique. Si, pour quelque raison que ce soit, des lecteurs assidus ou occasionnels réclamaient une suite, nous nous proposerions alors de préciser le statut et le rôle des « perturbations » dans la vie politique québécoise. Mais puisque nous n’en sommes pas au rappel, tant s’en faut, terminons notre programme.
Qu’est-ce qui distingue le nuage du météore ? Réponse : les météores sont des phénomènes visibles dans l’atmosphère qui n’entrent pas dans la catégorie des spectres. Ils sont des apparitions certes, mais non comprises dans les précipitations classiques. Exceptionnels, les météores portent aussi des messages à la population, mais ceux-ci, vu leur nature éphémère et subtile, sont des plus difficiles à décoder ou interpréter. Voyons voir.
Allons-y d’un exemple simple : le tourbillon ou la tornade. Ce phénomène est rare et intéressant sur le plan politique, car il est formé par la force des vents, c'est-à-dire le courant. Politiquement, quand la foule est mobilisée et qu’elle veut quelque chose, rien ne reste sur son passage. Si elle peut profiter des courants, il se peut aussi qu’elle s’offre un petit tourbillon soudain qui change toute son histoire. Les spectres se rappellent toujours du passages des tornades car le ménage a été fait en dessous.. Au Québec, un lieu nordique et froid, les tourbillons et les tornades sont rares, tellement rares que nos citoyens migrateurs doivent se payer les USA pour en voir. Les mirages sur le sable aussi sont très rares. On a les mirages que l’on peut… En voilà assez, non. Dire que nous n'enseignons pas ce semestre...
Tout cela pour dire que la météorologie politique peut nous apprendre encore beaucoup et qu’il convient d’analyser sérieusement le temps qu’il fait si nous voulons tirer des leçons du Québec spectral. Car si certains parmi nous attendent encore l’arc-en-ciel politique, les prévisions météorologiques seront décevantes. Nous avons droit à des aurores boréales, des étoiles filantes, mais rien de vraiment encourageant.
La prédiction de l’avenir est difficile sous un ciel nuageux. Le temps du Québec est-il arrivé ? Dans la tempête, les gens choisissent de se cacher dans les coins de la pièce la plus sûre du manoir. Mais pourquoi notre ciel politique est-il gris, laissant filtrer seulement quelques météores ? On ne le sait point. Mais ce que l’on sait en revanche, c’est que les « perturbations des systèmes » ne manquent pas et que les spectres n’ont pas réussi à se faire comprendre chez nous. la preuve : nous sommes plus de 7 millions et nous avons encore peur de sortir dehors...
Dominic Desroches

Département de philosophie

Collège Ahuntsic

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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