Il y a 50 ans, cette semaine, l'Assemblée générale des Nations unies adoptait une proposition de Lester B. Pearson, alors ministre canadien des Affaires étrangères, créant une force d'interposition afin d'aider au règlement de la crise de Suez. Les Casques bleus étaient nés et allaient révolutionner la manière de gérer les conflits. Ils allaient aussi façonner la politique étrangère du Canada en positionnant notre pays comme champion du maintien de la paix. Un demi-siècle plus tard, les soldats canadiens sont maintenant engagés dans un conflit meurtrier en Afghanistan. Pearson est-il définitivement mort?
L'héritage pearsonnien
La proposition de Pearson lui valut un an plus tard de recevoir le prix Nobel de la paix. Le jury norvégien reconnaissait ainsi la valeur du travail accompli par le politicien canadien lors des événements de 1956 et lui attribua le prix sur la base que le règlement "de la crise du canal de Suez fut une victoire pour l'ONU et pour l'homme qui a contribué plus que quiconque à sauver le monde à cette époque". Modeste, Pearson répondit qu'il n'avait fait que son travail de diplomate. L'Histoire en a décidé autrement. Elle l'a statufié, et c'est à partir de ce moment que Pearson est devenu une icône de la politique étrangère canadienne. Cette politique est depuis baptisée "pearsonnienne", c'est-à-dire qu'elle met l'accent sur le multilatéralisme dans les affaires internationales afin de mieux défendre les intérêts nationaux et les valeurs canadiennes dans le monde.
Tous les partis politiques canadiens, de gauche comme de droite, se sont depuis positionnés par rapport à ce qui est devenu un dogme. Le Parti libéral, en particulier, en a fait un objet de culte, et même les indépendantistes québécois se réclament de l'héritage pearsonnien. Un seul donne l'impression de résister, le nouveau Parti conservateur de Stephen Harper. Or, cette impression serait fausse, et il faudrait l'imputer à une mauvaise compréhension des politiques du parti, ou encore aux problèmes de communication dont ce gouvernement a la recette.
De manière caricaturale, la politique étrangère canadienne se divise en deux écoles: il y a les internationalistes-utopistes qui se réclament de Pearson et de l'âge d'or de la diplomatie où le Canada était un joueur de premier plan sur la scène internationale; et les internationalistes-réalistes pour qui la politique étrangère du pays doit d'abord et avant tout être fondée sur notre relation avec les États-Unis et quelques courbettes au reste du monde. Les premiers dominent les débats intellectuels et la formulation des politiques. Les seconds ont parfois eu la main haute, mais ne cessent de se plaindre de la naïveté des premiers et de l'effet délétère de leurs idées sur la population canadienne. D'où notre opposition à la guerre en Irak, d'où le pacifisme qui serait en train de dévaster le Québec au détriment des intérêts nationaux canadiens
Le monde selon Harper
Le gouvernement Harper allait changer les choses. Et les décisions prises depuis son accession au pouvoir le laissent croire. Le premier ministre s'est tourné vers les États-Unis et a réglé deux questions importantes: le bois d'oeuvre et le renouvellement de l'accord du NORAD. Il a réaffirmé notre engagement en Afghanistan jusqu'en 2009, pris fait et cause pour Israël dans le conflit avec le Liban, et mis de côté l'accord de Kyoto. Tout cela a donné une très mauvaise impression aux Canadiens, et les Conservateurs en paient le prix aujourd'hui, particulièrement auprès des Québécois. Et dire que Stephen Harper n'avait même pas cru bon d'inclure la politique étrangère dans ses cinq priorités gouvernementales. Elle vient de le rattraper et pourrait lui coûter le pouvoir aux prochaines élections.
Toutefois, en y regardant de plus près, le gouvernement Harper est-il vraiment en train de bouleverser notre monde pearsonnien? Certains spécialistes réunis à Ottawa lundi par la Canadian Defence and Foreign Affairs Institute de Calgary en doutent. Certes, disent-ils, le langage utilisé est parfois brutal et insensible. La fameuse déclaration de Harper sur le caractère "mesuré" de la réplique israélienne aux attaques du Hezbollah a laissé des marques. La visite du premier ministre à Washington où le président l'a accueilli en disant au monde qu'avec "un gars comme Stephen", tout peut s'arranger, est mal passée et a donné l'impression que le Canada rejoignait le camp des unilatéralistes américains. Pourtant, ces événements sont comme l'arbre qui cache la forêt. Adam Chapnick, du Collège des forces armées et un des jeunes chercheurs en politique étrangère les plus brillants de sa génération, a rappelé aux participants que le Canada n'avait pas le choix d'être multilatéraliste. "Travailler uniquement avec les États-Unis n'est pas suffisant afin de maintenir un certain ordre dans le monde, a-t-il dit. La tentation est grande de croire le contraire. Pourtant, notre instinct et la défense de nos intérêts nous font rapidement revenir au multilatéralisme. La question n'est pas d'être libéral ou conservateur, c'est tout simplement notre mode de vie."
Les conservateurs ont, semble-t-il, déjà entendu le message. Devant les participants, le ministre des Affaires étrangères, Peter MacKay, a profité d'un discours entièrement consacré à l'Afghanistan pour rappeler les vertus pearsonniennes de notre engagement dans ce pays : travailler avec nos alliés, défendre la liberté et la démocratie, soutenir la reconstruction de l'Afghanistan, défendre nos intérêts et nos valeurs. La manière est différente de celle de Pearson, mais la fin est sans doute semblable. En tout cas, le débat est lancé et il serait bon qu'il se poursuive.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal
j.coulon@cerium.ca
Pearson est-il mort?
Quelles que soient les apparences, le Canada n'a pas le choix d'être multilatéraliste
Politique étrangère et Militarisation du Canada
Jocelyn Coulon59 articles
L’auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l’Université de Montréal.
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