Pauline Marois incarne le plus grand paradoxe québécois de 2009. Elle a réussi à conduire le Parti Québécois — le parti le plus turbulent du continent — dans un virage majeur avec plus de doigté et de succès que tous ses prédécesseurs.
Elle a aussi réussi à repositionner sa formation politique du bon côté de la quasi-totalité des enjeux qui préoccupent aujourd’hui les Québécois. Pourtant, elle n’arrive pas à en récolter tous les fruits en termes d’appui populaire. C’est son principal problème. Je m’explique:
Wonder Woman
Comme tous les chefs du PQ avant elle, Pauline Marois a dû traverser cette année deux réunions de militants qui sont à la fois le moment de l’expression des opinions et tiraillements qui traversent ce parti vivant, aux personnalités fortes, ce qui sied à une formation dont l’objectif premier est radical: créer un nouveau pays. C’est pourquoi j’ai toujours défendu l’idée que le jour où il n’y aurait plus de radicaux au PQ, c’est que le projet indépendantiste sera mort. Il se porte par conséquent aujourd’hui fort bien.
L’aile turbulente du parti pose d’ailleurs presque toujours les bonnes questions, mais n’apporte pas toujours les bonnes réponses. Voilà pourquoi ces rencontres sont souvent un moment de torture pour le chef, notamment lorsque deux questions essentielles sont abordées: la mécanique de la souveraineté et l’action linguistique.
Or Pauline Marois a traversé, au printemps, un test sur la souveraineté et, à l’automne, un second sur la langue. Au printemps, il s’agissait d’adopter le Plan Marois sur la souveraineté, prévoyant pour un futur gouvernement péquiste une action multiforme pour assumer une plus grande autorité sur les compétences québécoises, sur les compétences partagées, et ouvrant la voie à une revendication de pouvoirs supplémentaires. Le tout, inscrit dans une démarche visant, à terme, le plus vite possible mais sans échéancier préétabli, la souveraineté. Une sorte de quadrature du cercle, en rupture avec le programme de Bernard Landry qui proposait la tenue automatique d’un référendum en cas de victoire électorale.
Quel fut l’atterrissage de la proposition Marois chez les présidents de circonscriptions réunis pour en discuter ? Un niveau d’appui de 100% Vous avez bien lu. Une première au PQ.
A l’automne, elle a fait en sorte de transformer le Conseil National en grand colloque sur l’identité, la langue, l’immigration. Elle avait pris soin, dans les 18 mois précédents, de repositionner le parti sur la question de l’identité, de rompre, cette fois, avec l’approche post-moderne/post-identitaire d’André Boisclair. Son projet de loi sur l’identité (transparence totale: j’ai participé à sa conception), sa réaction de franc rejet aux conclusions de la commission Bouchard-Taylor, ses interventions sur les dérives d’accommodement à la SAAQ, son opposition à la loi 16, son intention affichée de renforcer les dispositions de la loi 101, notamment en matière de langue de travail, ont changé la donne. Ayant ainsi démontré son engagement sur la question, elle a demandé aux militants de discuter, deux jours durant, des mesures nouvelles, sans trancher tout de suite les questions difficiles comme celle de l’extension de la loi 101 au Cégep.
Contrairement à tous les débats péquistes précédents sur la langue, cette rencontre s’est conclue de façon nettement positive pour le parti et son chef, qui ont ainsi établi leur leadership sur la question identitaire au Québec. Certes, Mme Marois n’a fait que reporter le moment de trancher la question de la loi 101 au Cégep, et la décision ne sera jamais, là, approuvée unanimement. Ce fut cependant un tour de force de transformer une rencontre péquiste sur la langue en valeur ajoutée pour le chef, plutôt qu’en week-end où le parti, pour reprendre une expression chère à Jacques Parizeau, s’auto-pelure-de-bananise.
Translucide
À ces deux tests présentant un taux de difficulté maximal, Mme Marois a ajouté pendant l’année d’autres avancées. Son combat pour une commission d’enquête sur la construction n’a nullement été entaché par les liens historiques FTQ/PQ qui aurait pu la mettre en difficulté. Elle s’en est libérée (avec un peu d’aide de la FTQ, il faut dire, qui aime flirter avec le gouvernement Charest ces temps-ci et n’a pas appuyé le PQ à l’élection de 2008.)
Elle semble avoir complété la distanciation nécessaire entre elle et la réforme de l’éducation, qui fut lancée sous son règne et qu’elle tenait à défendre dans un premier temps. La distance prise avec le cours Ethique et culture religieuse, en fin de session, marque une saine rupture avec une approche maintenant déphasée.
La décision, de même, de réclamer l’abandon de la reconstruction, au coût minimal de 1,9 milliard, de la centrale nucléaire de Gentilly 2, marque une volonté de trancher dans le vif qui détonne avec des positions passées. Elle a aussi fini d’éponger la dette du PQ qui minait son action ces dernières années.
Cette attitude sur le fond s’est accompagné d’un niveau de mordant bienvenu dans la forme. Dans ses interventions partisanes comme à l’Assemblée nationale, Pauline Marois a amélioré son talent oratoire et aiguisé ses questions. De plus, elle semble s’être définitivement départie cette année de son réflexe épisodique de jouer à la victime, une posture très mal reçue dans l’électorat masculin. On attend toujours une meilleure maîtrise de l’anglais, mais à chaque année suffit sa peine.
Au total l’équation devrait être simple: devant un gouvernement qui suscite insatisfaction et méfiance, les défis relevés par Pauline Marois devraient la propulser en tête des sondages. En fin d’année, le résultat n’est pas mauvais, mais pas aussi bon qu’il le devrait.
Léger Marketing mesure qu’elle est la seconde élue québécoise obtenant le plus de bonnes opinions:
Pierre Curzi 47%
Pauline Marois et Amir Khadir 42%
Jean Charest 40%
La résilience de Jean Charest est remarquable. L’écart devrait être nettement plus grand.
Au niveau des intentions de vote, la mauvaise performance de Charest et la bonne performance de Marois ont réussi à renverser la tendance du printemps et à mettre le PQ en tête:
PQ 41% (47% chez les francos)
PLQ 37% (29% chez les francos)
ADQ 8%, Québec solidaire et Parti Vert 7% chacun.
Le seul problème avec ce sondage, pour Mme Marois, est que nous sommes à trois ans des élections.
Ce qui est cependant incroyable, au vu des événements des derniers mois, est la réponse à la question de savoir qui serait le meilleur premier ministre:
Jean Charest 29% ; Pauline Marois 26%
Certes, l’écart se resserre, mais la réalité politique justifierait que l’ordre soit inversé et l’écart élargi. On objectera que les questions entourant sa résidence de l’Ile-Bizard et son image de grande bourgeoise brouillent son message. Je crois cependant qu’il y a quelque chose de plus profond à l’oeuvre.
En fait, le pire moment, et le plus significatif au niveau de sa translucidité, vécu par Pauline Marois cette année s’est produit le soir de novembre où Jacques Parizeau fut invité à Tout le monde en parle. Guy A. Lepage lui a demandé qui il voyait, au sein du PQ, pour reprendre le flambeau de la souveraineté. Je ne vois pas, a répondu Monsieur. Le nom de la chef actuelle du parti ne lui est pas venu à l’esprit. Il s’est repris, ensuite, dans son entrevue subséquente avec Mario Dumont. Mais il n’y a rien de plus parlant que la spontanéité. Et de plus cruel.
Une énigme
La politique, comme le billard, est un sport où les rebonds sont fréquents. Dans un passé récent, Jean Charest était aux abîmes de la popularité. Il en est ressorti. Il peut y retourner. Rien n’est donc figé, ni pour lui, ni pour Pauline Marois.
Cependant, le défi de Mme Marois dans la période qui s’ouvre sera de ne plus être un leader téflon-à-l’envers. Il s’agit d’un téflon où les succès dont elle est pourtant la grande responsable ne semblent pas lui coller à la peau.
C’est presque une marque de commerce, chez elle. Elle réussit des exploits, mais sans crises et sans pleurs, donc sans triomphe. Au bureau du premier ministre, sous Parizeau, je l’ai vu négocier une entente avec le front commun syndical, avant le référendum, sans heurts et sans vider la caisse, dans ce qui fut la négociation la plus paisible de l’histoire récente. Vous ne vous en souvenez pas ? Normal. Il n’y a pas eu de casse. Elle réussit ensuite, toujours avant le référendum, à négocier une convention collective virtuelle avec les syndicats québécois et fédéraux de fonctionnaires pour baliser l’intégration des fonctionnaires fédéraux au Québec en cas de souveraineté. Vous n’en avez jamais entendu parler ? Normal, aucune chemise ne fut déchirée.
Vous vous souvenez des fusions municipales ? Ah oui, bien sûr. Mais sous Lucien Bouchard au ministère de l’éducation qu’elle avait apaisé après la tornade Jean Garon, elle a réussi à fusionner et à réduire de moitié le nombre de commissions scolaires, une tâche qui aurait dû faire lever les boucliers de tous les barons de province. Pourtant, calme absolu. C’est la succession de ces dossiers délicats bien gérés et bien réglés qui m’a conduit assez tôt à voir en elle les qualités requises pour gérer avec détermination et calme une transition encore plus délicate: celle vers la souveraineté.
Ce n’est pas la compétence ni la finesse qui manque. Depuis peu, elle a acquis le mordant. Lui reste à acquérir ce qu’un Jean Charest ou Bernard Landry ont à profusion: l’autopromotion. Faire et faire reconnaître ce qu’on a fait. Pour convaincre qu’on peut faire mieux encore.
Rester, bref, Wonder Woman, mais ne plus être translucide.
Pauline Marois: Prix de la Wonder Woman translucide
Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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