Panique à l’Élysée

L’«affaire» Jérôme Cahuzac ébranle une gauche française déjà mal en point

4a4f6c8b1f96d2e6692a7cc27353affe

Il y a eu un Mai 1968. Y aura-t-il un Mai 2013 ?

L’ex-ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, inculpé pour blanchiment de fraude fiscale, a reconnu cette semaine avoir menti aux plus hautes autorités de l’État, déclenchant ainsi une tempête politique.
Paris — Le scandale qui ébranle la France n’est ni le premier ni le dernier. Mais, parce qu’il s’agit cette fois de la gauche, qui plus est d’une gauche qui avait proclamé qu’elle serait irréprochable face aux nombreuses «affaires» qui couvaient à droite, le scandale prend les proportions d’une crise d’État.
La reconnaissance cette semaine par le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, qu’il possédait un compte à l’étranger provoque en France une situation de crise comme il s’en produit rarement dans un quinquennat. Et comme si la situation n’était pas suffisamment grave, on apprenait aussi que l’ancien trésorier de la campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier, avait des investissements dans un paradis fiscal. Même si rien ne laisse penser que ces derniers sont illégaux, ces révélations ne font qu’ajouter à une ambiance délétère qui pourrait rapidement devenir intenable. C’est tout à coup la présidence elle-même qui semble ébranlée, relançant les rumeurs de remaniement du gouvernement.
Le constat fait par le socialiste Olivier Faure, proche du premier ministre Jean-Marc Ayrault, est peut-être exagéré, mais il donne une idée de la façon dont cette crise est ressentie par certains élus. « La République vacille, dit-il. Un ministre a proféré un mensonge inadmissible. Il a commis un délit et un parjure. Maintenant, il faut y répondre, mais pas par une pirouette. »
Comment imaginer portrait plus accablant en temps de crise ? Un ministre du Budget, responsable de combattre l’évasion fiscale et de poursuivre les fautifs, qui s’accuse d’avoir dissimulé 600 000 euros depuis 20 ans dans un compte secret à Singapour. Après quatre mois de dénégation formelle devant les médias, l’Assemblée nationale et le président, Jérôme Cahuzac a reconnu les soupçons qui planaient sur lui depuis que le site Médiapart avait divulgué toute la vérité.
L’habitude des affaires
Dans de nombreux pays, de telles révélations auraient immédiatement entraîné la démission du ministre, mais pas en France. Peut-être parce que le pays a l’habitude des « affaires » et que certaines ont été fabriquées et se sont soldées par des non-lieux, la tradition veut qu’un ministre ne démissionne pas tant qu’il n’est pas formellement mis en examen ou qu’une enquête n’est pas ouverte. Et encore, ce sont les anciens premiers ministres Édouard Balladur et Lionel Jospin qui avaient innové en formulant ces règles que leurs successeurs n’ont pas toujours respectées. Sachant qu’il avait probablement une petite chance de s’en tirer, Jérôme Cahuzac a donc menti pendant quatre mois, jusqu’à ce que, le 19 mars, il démissionne après que le parquet eut ouvert une enquête pour « blanchiment de fraude fiscale ». Il aura fallu moins de deux semaines à l’ancien ministre pour passer aux aveux et comprendre que sa situation était sans issue.
Les ministres éclaboussés
Peu importent les précédents, selon le journaliste et président de Médiapart Edwy Plenel, le président François Hollande « n’a pas d’excuse ». Il aurait dû congédier immédiatement Jérôme Cahuzac et le sommer d’aller se défendre. « Les informations étaient sur la table de manière très documentée dès le début décembre, dit-il. Ce qui n’est pas normal en démocratie, c’est qu’un journal doit se battre pendant quatre mois pour légitimer ses informations. »
Jérôme Cahuzac n’est pas le seul à être éclaboussé par ce scandale. Les soupçons se portent aujourd’hui sur le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, ministre de tutelle de Jérôme Cahuzac. On le soupçonne d’avoir commandé et coulé à la presse le rapport demandé par son ministère à la Suisse et qui semblait innocenter Cahuzac. « Je n’ai cherché ni à entraver la justice ni à blanchir un “copain” », dit-il. Pourtant, selon le quotidien Le Monde, en 2008, deux fonctionnaires auraient averti le ministère de l’Économie qu’ils soupçonnaient le futur ministre de détenir un compte à l’étranger. Pourquoi aussi n’avoir demandé d’informations à la Suisse que sur la banque UBS ? L’enquête de Médiapart mentionnait aussi la banque Reyl, où Cahuzac a finalement détenu un compte. Le ministre reconnaît avoir « péché par excès de confiance ».
Son collègue de l’Intérieur, Manuel Valls, la personnalité la plus populaire du gouvernement, nie aussi toute ingérence. Il dément avoir demandé une enquête parallèle et avoir été informé avant tout le monde des conclusions des juges d’instruction. Cela est pourtant une vieille tradition chez les ministres de l’Intérieur. « Qu’attend-on d’un ministre de l’Intérieur ? a-t-il demandé sur les ondes de France 2. De respecter la loi, de respecter la séparation des pouvoirs. Contrairement à ce que dit l’un de mes prédécesseurs [Claude Guéant], je ne commettrai pas d’abus de pouvoir. »
Coupable de négligence, la gauche serait-elle aussi victime de son intégrité ? On sait que le précédent gouvernement n’avait rien ménagé pour mettre des bâtons dans les roues de la justice lorsque le ministre du Budget et trésorier de l’UMP, Éric Woerth, avait été accusé de conflit d’intérêts dans l’affaire Bettencourt. Sur une autre affaire, le premier ministre François Fillon n’avait pas hésité à accuser Médiapart d’être une « officine financée par de riches amis »… de François Hollande !
Edwy Plenel rappelle que jamais l’opposition n’a réclamé la démission de Jérôme Cahuzac. Sur RTL, il a même donné « acte au président de la République et au premier ministre d’avoir respecté l’indépendance de la presse et de la justice » dans cette affaire. Voilà peut-être ce qui permet de comprendre pourquoi, selon un récent sondage BVA, seulement 53 % des Français se disent mécontents de la manière dont François Hollande et le gouvernement ont géré l’affaire.

Une culture de l’impunité
Faible consolation pour un gouvernement dont la popularité peut difficilement être plus basse. « Ce qui compte, c’est de comprendre pourquoi personne n’a prévenu le président du risque que représentait Jérôme Cahuzac », dit l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Les rumeurs de remaniement ministériel vont bon train. On évoque un Conseil des ministres restreint qui permettrait de resserrer l’action du gouvernement en ces temps difficiles. Une éventualité que le président ne voulait pas envisager avant les élections municipales de 2014.
Ces rumeurs ont été démenties par François Hollande, qui estime que « le gouvernement n’est pas en cause ». « Il faut tenir bon, disait au Figaro la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso. Ça va être le bruit de fond pendant quelques semaines, mais le plus important, c’est l’emploi. »
Reste à savoir comment un homme qui fraudait l’impôt depuis vingt ans a pu devenir ministre du Budget. Ce dernier avait pourtant le profil d’un élu qui faisait peu de cas des conflits d’intérêts, affirme la députée européenne Michèle Rivasi (écologiste). Elle rappelle que, sitôt après avoir été au cabinet du ministre de la Santé, Claude Évin, Cahuzac devint en 1993 conseiller auprès de l’industrie pharmaceutique. Cette même industrie financera ensuite les associations sportives de la ville dont il sera élu maire. On pointe aussi la proximité de Cahuzac avec les strauss-kahniens. L’ancien ministre a été conseillé par les mêmes spécialistes de la communication et il est aujourd’hui défendu par le même avocat que Dominique Strauss-Kahn.
Dans Le Point, l’écrivain Philippe Labro s’est aussi souvenu qu’au sein du Parti socialiste, Jérôme Cahuzac avait évolué dans le même courant politique que Dominique Strauss-Kahn. « Peut-être, dit-il, Jérôme Cahuzac appartient-il à cette famille politique, de droite comme de gauche, qui cultive l’impunité : la culture de l’impunité », dit-il. On en a eu une illustration hier, alors que l’ancien ministre, conspué par tous ses anciens collègues, a demandé à récupérer son siège de député comme les règles parlementaires lui en donnent le droit.
« Nous avons besoin de continuer la moralisation de la vie politique, a déclaré François Hollande en visite au Maroc. […] Je suis le chef de l’État d’une grande nation qui ne peut pas accepter d’être humiliée avec des affaires qui se succèdent depuis des années. Il convient d’y mettre un terme une bonne fois pour toutes. »
Reste à savoir comment et si le gouvernement possède toujours la crédibilité pour le faire.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->