Il n’aura fallu qu’un tout petit tweet du chef intérimaire du Parti québécois Pascal Bérubé pour que la (toute petite) tweetosphère politique du Québec s’enflamme. Un peu.
À l’instar de plusieurs internautes, je me suis dit «tu viens de te rendre compte de ça Pascal?» Nous sommes ici devant un fait accompli: Montréal est, désormais, une ville bilingue. La mairesse de Montréal l’a bien compris et, lorsqu’elle s’adresse aux Montréalais, elle le fait presque toujours en bilingue. Sur les réseaux sociaux, un tweet en français, un tweet en anglais.
Le premier article de la loi fondatrice de la ville de Montréal est pourtant très clair, Montréal est une ville francophone. Toutefois, on a compris depuis un petit bout de temps que la question linguistique à Montréal est «un nid de guêpes» comme l’avait dit Richard Bergeron, lors de la campagne électorale pour la mairie de 2013.
C’est que le candidat Marcel Côté s’était mis le pied dans la bouche à l‘antenne de la radio anglophone montréalaise CJAD en affirmant que «Montréal est une ville bilingue». Denis Coderre, fin politicien, avait précisé que les services anglophones seraient livrés «là où le nombre le justifie».
Force est de constater que «le nombre le justifie» de plus en plus fréquemment. Inutile de blâmer les locuteurs anglophones de Montréal ou ailleurs; le laxisme du gouvernement québécois en matière de francisation a été un vecteur important d’anglicisation. À Montréal surtout.
Ce n’est pas moi qui le dit mais bien la vérificatrice générale du Québec Guylaine Leclerc, comme le rappelait, fin 2017, Robert Dutrisac dans Le Devoir:
«Dans son dernier rapport, la vérificatrice générale (VG) du Québec, Guylaine Leclerc, a constaté le dysfonctionnement du programme de francisation des immigrants dont est chargé le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI). Cette déplorable situation est pourtant connue depuis des années, et le gouvernement n’a rien fait. Quand il est question de la langue française, sa posture, c’est l’apathie ; tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, répète-t-il.»
Car quand on combine le «fiasco» qu’est l’échec en matière de francisation des nouveaux arrivants avec le fait que l’immigration a, trop longtemps, été concentrée aux seules régions de Montréal et des premières couronnes, voilà la recette d’un échec cuisant.
Sans compter que sous l’ancien gouvernement, la francisation ne semblait être au rang des priorités (quel euphémisme):
«Pourtant, comme le souligne la VG, en présentant leur demande de certificat de sélection, les candidats à l’immigration choisis par Québec signent une déclaration dans laquelle ils s’engagent à respecter les valeurs communes de la société québécoise et à apprendre le français s’ils ne le connaissent pas déjà.
Or, le MIDI n’effectue aucun suivi individuel de ces nouveaux arrivants qui choisissent de ne pas participer aux cours de français du ministère. On ne sait pas si c’est parce qu’ils ont trouvé du travail et, si c’est le cas, dans quelle langue ils travaillent.»
Un échec d’intégration et de francisation. Les deux allant de pair, évidemment.
Vers un Québec bilingue?
Bien entendu, il y a au Québec des politiciens, des chroniqueurs, et nombre de citoyens qui préféreraient que Montréal, que le Québec, soient bilingues. Tout en s’accommodant du fait français, comme on le fait ailleurs dans le Canada.
Ce Canada pas si bilingue que ça, en passant. La province la plus bilingue, et de très loin, c’est le Québec. Ailleurs, on le baragouine, on le comprend, on le traduit aussi parfois. Mais le statut du français au Canada est sans cesse fragile. Suffit qu’un gouvernement en Ontario soit peu intéressé par la chose pour que des pans entiers d’acquis de longues luttes soient remis en question. Pareil en Alberta, tout récemment.
Le français au Canada est fragile. Menacé.
Quand il n’est pas tout simplement oublié. Vous avez regardé le match des Canadiens hier? C’était beau les cérémonies qui vantaient la «diversité» sous toutes ses formes, cette «diversité» à la base du nation building 2.0 dans le Canada post-national de Justin Trudeau...
Une «diversité» qui oublie le français
Le match était présenté à Toronto. Pas une syllabe de français lors de l’hymne national. On plaidera l’oubli, dans l’indifférence. Toronto, cette ville où existe un collectivité francophone vivace mais où l’administration municipale s’adressera à ses citoyens dans vingt langues, sauf le français.
L’anglais au Québec ne le sera jamais, menacé. Et le laxisme de gouvernements passés en matière de francisation (de promotion de la langue française et de recours à des moyens législatifs pour en assurer la pérennité, en milieu de travail ou d’enseignement par exemple) et d’intégration assure de beaux jours pour la progression de l’anglais au Québec. Et à Montréal.
Le problème n’est pas le bilinguisme en lui-même. Personne ne contestera le fait que de connaitre plus d’une langue est une richesse inestimable. Mais le Québec, en situation hyper-minoritaire sur le continent nord-américain, avec ces quelques millions de locuteurs francophones qui sont entourés de centaines de millions de locuteurs anglophones, se devra toujours de prendre des mesures pour protéger sa spécificité linguistique.
Il n’y a rien de négatif à le faire, à le réclamer. Je dirais même que c’est une urgence nationale de le faire.
Pendant que l’anglais progresse au Québec et que l’on néglige la francisation et l’intégration des immigrants (le Québec, comme nation, est l’une de celles qui accueillent le plus en occident au prorata de sa population), il nous faut aussi considérer que les locuteurs francophones du Québec ont, dans une trop large proportion, de graves difficultés à maitriser leur propre code linguistique. C’est-à-dire leur grammaire, leur syntaxe.
Il y a au Québec une urgence nationale en matière d’analphabétisme fonctionnel, de carences en littératie.
Et quand on combine la progression de l’anglais, le fiasco de l’intégration et de la francisation et ces graves carences des locuteurs francophones au Québec par rapport à leur propre code linguistique, la table est mise pour que le français soit sans cesse plus fragilisé... jusqu’à ce que, dans un contexte de dualité linguistique, on finisse par passer tout simplement à l’anglais.
On nous dira que c’est plus «facile», que c’est «normal» de passer à la langue de la majorité, que c’est moins «encombrant». Et le français joindra la somme des langues que l’on range du côté des folklores...
En somme, j’ai souvent cité Paul Daoust, le linguiste:
«Si le bilinguisme individuel est une immense richesse, le bilinguisme collectif pour une minorité politique est un poison mortel. Ce bilinguisme n’existe que le temps de laisser la minorité rejoindre la majorité.»
Il est aisé de comprendre que plusieurs des plus fervents militants d’un «Québec bilingue» sont du côté de ceux qui voient d’un bon œil que le Québec «rejoigne la majorité», justement.