L’ancien journaliste et conseiller politique des premiers ministres
Parizeau et Bouchard, Jean-François Lisée, était invité au congrès
de la CSN afin de présenter sa vision de l’État québécois et les défis
que la société québécoise aura à relever. Le libre penseur en a
profité pour proposer des idées qui choquent et qui bousculent.
Maintenant directeur exécutif
du Centre d’études
et de recherches internationales
de l’Université
de Montréal, Jean-François Lisée
a d’abord rappelé son attachement
au fait que le Québec est une société
d’exception, en soulignant qu’ici,
des femmes sont à la tête de la plus
grande institution financière (Desjardins),
du ministère des Finances
et d’une grande centrale syndicale, la
CSN. « Je suis fier de vivre dans une
société où les femmes ont une place
aussi importante : c’est un élément
positif de l’originalité québécoise. Il
faut ajouter que l’équité salariale est
une particularité en Amérique du
Nord. On n’est pas dans la norme
conservatrice. »
Selon M. Lisée, il faut continuer
à se distinguer par notre esprit
progressiste. Le modèle québécois,
particularisé notamment par des
politiques sociales novatrices et
l’interventionnisme de l’État, a été
largement décrié par les chantres du
libéralisme pour ses effets soi-disant
nocifs sur l’économie. Or il apparaît
aujourd’hui que ce modèle n’a rien à
envier à celui de ses voisins.
Depuis 2000, la croissance réelle
du produit national brut du Québec
a dépassé celle de l’Ontario (9,5 %
contre 6,9 %) et a presque égalé celle
des États-Unis (9,7 %). Par contre,
selon les statistiques de 2002, la production
de la richesse par habitant
chez l’Oncle Sam était de 21 % supérieure
à la nôtre. « Certains disent
qu’il faut faire le choix des Américains,
mais il faut se méfier de cette
moyenne. On doit se demander : ça
va dans les poches de qui ? Or sur
100 dollars produits aux États-Unis,
il y en 22 qui vont dans les poches
des plus riches, qui représentent 1 %
de la population. Dans les faits, les
Américains doivent travailler plus
d’heures par semaine pour obtenir
un revenu équivalant au nôtre. »
En outre, toute proportion gardée,
il y a quatre fois plus d’Américains
qui vivent dans la pauvreté sévère
que de Québécoises et de Québécois.
« Nos efforts de solidarité portent
fruit. Si on en faisait encore plus, ça
créerait encore plus de fruits », estime-
t-il. Nos voisins ont pour leur
part connu dix ans de gel du salaire
minimum, une baisse marquée du
taux de syndicalisation et l’arrivée
massive des chaînes à grande surface
comme Wal-Mart.
Voir venir les coups
Le Québec n’est cependant pas à l’abri
des difficultés économiques si l’on se
fie aux projections de Jean-François
Lisée. D’importants défis se poseront
sur le plan de la démographie.
Une pénurie de main-d’oeuvre est
prévue à la suite des départs massifs
à la retraite de la génération
des baby-boomers. Pour combler
ce manque, M. Lisée propose l’augmentation
de l’immigration par le
recrutement d’étudiantes et d’étudiants
étrangers. « Diplômons-les
nous-mêmes ! L’école est le milieu
idéal d’intégration dans une société.
Du coup, on stabiliserait le nombre
de jeunes qui vivent ici et on stabiliserait
la démographie. »
Une politique familiale plus
conséquente est également un incontournable
selon lui. « Si on veut
créer de la richesse et aider les parents
qui ont des enfants en bas âge,
il faut prendre les moyens », tranchet-
il. La semaine de quatre jours sans
frais pour l’entreprise serait une voie
à suivre.
Les coûts environnementaux sont
également au nombre des grands défis
du Québec. La taxation du carbone
et le financement du transport en
commun seraient bénéfiques, tout
comme la baisse de la consommation
d’énergie. Cependant, Jean-François
Lisée rejette l’idée d’une hausse progressive
des tarifs d’Hydro-Québec
pour y arriver, car elle n’entraînerait
pas de changements significatifs dans
les comportements des ménages. La
solution passe plutôt par des actions
percutantes. « Nous sommes les plus
grands consommateurs d’énergie en
Amérique du Nord. Il faudrait donc,
d’un bloc, hausser les tarifs d’électricité,
baisser les impôts et augmenter
les prestations sociales. Ça va entraîner
une baisse de la consommation et
une hausse des revenus disponibles.
En même temps, on crée de l’emploi :
il va y en avoir du calfeutrage, de la
rénovation. »
Une baisse de la consommation
permettrait ainsi l’augmentation des
exportations d’électricité, donc des
revenus de l’État. C’est ce que M. Lisée
considère comme étant le troisième
défi important que le Québec
devra relever. « Mais le grand risque,
c’est de laisser la droite trouver les
solutions. Il ne faut pas laisser le
thème de la richesse aux riches ! »
La gauche efficace
québécois original reposent dans le
fait de sortir des sentiers battus et,
surtout, de s’appuyer sur des propositions
concrètes. Elles doivent être
meilleures que celles de la droite, qui
consistent toujours à appauvrir la
grande majorité des gens au profit
des plus nantis. « Il faut être plus
qu’une force d’opposition, il faut
être une force de proposition, ce qui
signifie “penser autrement”. C’est ce
que j’appelle la gauche efficace. La
population sait que si on s’oppose
à tous les changements, on est du
mauvais côté du débat. Or l’opinion
québécoise cherche l’efficacité »,
conclut-il.
Parmi les mesures pragmatiques,
Jean-François Lisée propose la vente
de 25 % d’Hydro-Québec à l’aide d’un
programme d’achat québécois des
actions. Cela créerait une encaisse
d’environ 30 milliards de dollars pour
couvrir les dépenses des services de
santé et les programmes de solidarité
sociale, tout en conservant le maintien
du contrôle de la société d’État
à plus de 75 %.
Le Québec doit miser sur « l’entreprenariat
privé, syndical et social».
Augmenter la productivité par
heure travaillée et non le nombre
d’heures travaillées. Rejeter le laisser-
faire économique en adoptant
plus de mesures incitatives pour les
investisseurs. Le gouvernement doit
obligatoirement valoriser la contribution
des travailleuses et des travailleurs
de l’État, au lieu de toujours
les dénigrer.
Finalement, il reste un problème
de taille à endiguer : le haut
taux d’analphabétisme au Québec.
« La richesse, c’est aussi dans la tête.
L’analphabétisme au Québec, c’est une
plaie, une tare. » Nous devons donc
parvenir à développer la richesse que
représentent les 800 000 adultes québécois
incapables de lire une phrase,
ou le 1,7 million d’autres incapables
de comprendre un paragraphe.
Jean-François Lisée au 62e Congrès de la CSN
Oui au modèle québécois
« Le grand risque, c’est de laisser la droite trouver les solutions. Il ne faut pas laisser le thème de la richesse aux riches !»
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