Il n’a fallu que quelques « snipers » de l’appropriation culturelle pour avoir raison de SLĀV, le spectacle conçu par Betty Bonifassi et mis en scène par Robert Lepage. Après trois représentations au Théâtre du Nouveau Monde, le Festival international du jazz de Montréal, qui l’avait programmé, l’a retiré de l’affiche.
Comble d’hypocrisie, la direction du festival a prétendu que le retrait n’avait rien à voir avec les propos hargneux de la petite troupe de protestataires. C’est à un véritable assassinat politique auquel on a assisté, mené par des activistes comme Ricardo Lamour, qui se présente comme artiste et « entrepreneur social », pour ce que cela signifie.
Comme d’habitude, la meute remuante des réseaux sociaux a jeté de l’huile sur le feu et la soif de sensation inextinguible des réseaux d’information continue a fait le reste.
Presque toutes les personnes interviewées à la radio comme à la télévision n’avaient pas vu le spectacle. En termes clairs, chacun a tiré à l’aveugle. À aucun moment, les animateurs, que ce soit Patrick Masbourian à Gravel le matin avec Louis Aucoin ou Sébastien Bovet à l’émission 24/60 avec Ricardo Lamour et Aly Ndiaye (Webster) n’ont posé la question, antérieure pourtant à toutes les autres : « Avez-vous vu le spectacle ? » Aucun ne l’avait vu, mais tous en ont parlé ex cathedra.
ACCOMMODEMENTS OU VÉRITÉS ?
Tous ceux qu’on a interrogés ont parlé comme si l’esclavage avait été le lot exclusif des Noirs, comme s’ils avaient été les seuls dans l’histoire humaine à subir cette ignominie. On accommode l’histoire comme on l’entend et comme on la connaît peu, tous les accommodements deviennent des vérités.
Dès le début du spectacle, Betty Bonifassi, sa conceptrice, fait remonter l’esclavage à l’époque de l’Esclavonie. Sous l’Empire romain et jusqu’à la fin du Moyen Âge, l’Esclavonie fut un véritable réservoir d’esclaves. Cette région peuplée de Blancs se trouvant en partie dans la Serbie d’aujourd’hui, Betty dont la mère est Serbe s’est permis cette licence historique.
En réalité, l’histoire de l’esclavage remonte à la plus haute Antiquité et une certaine forme d’esclavage continue d’exister dans plusieurs pays. Notamment dans les usines de vêtements du Bangladesh comme le rappelle SLĀV en guise de conclusion.
DES PROPOS DÉLIRANTS
Parmi les déclarations les plus délirantes entendues durant cette ahurissante controverse, il faut citer celles de Ricardo Lamour au 24/60. Il a laissé entendre que si le premier ministre Philippe Couillard se montre aussi tiède à l’égard de la décennie 2015-2024 consacrée par les Nations-Unies aux personnes « afro-descendantes », c’est qu’à l’époque, son ancêtre, Philippe Couillard, a eu un esclave à son service.
Le même Lamour explique sans broncher que la liberté d’expression que revendiquent les auteurs du spectacle SLĀV n’est que la « liberté d’oppression ». Est-ce assez dire l’enflure verbale dont sont capables les tenants de l’appropriation culturelle et de la rectitude politique ?
Si les six chanteuses de SLĀV avaient été Noires, le spectacle aurait-il connu un meilleur sort ? Sans doute pas, la conceptrice et le metteur en scène étant Blancs comme la plus grande partie de l’équipe d’Ex Machina. Les militants extrémistes tirent sur tout ce qui bouge si c’est blanc.
Espérons seulement que ce triste épisode de fascisme ne découragera ni Betty Bonifassi ni Robert Lepage d’éveiller les consciences par le biais de ces vieux chants d’esclaves, si révélateurs de leur résilience et de leur misère.