Non, la Chine n’a pas téléguidé la pandémie pour le bien de son économie

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Les journalistes de Radio-Canada n'ont aucune idée de ce qui s'est réellement passé : pourquoi dédouanent-ils Pékin de tout soupçon ?


La pandémie de COVID-19 a fait de la Chine un véritable paratonnerre à théories complotistes. Une des plus en vogue laisse entendre que Pékin a créé de toutes pièces la crise sanitaire afin de doper son économie et mettre ses rivaux à genoux.




D’entrée de jeu, pour qu’une telle théorie tienne la route, il faudrait que des données indiquent clairement que l’économie chinoise tire profit de la crise. Or, ce n’est pas ce qui se produit en ce moment, selon les experts consultés.



Dans l’ensemble, ça me paraît faux de dire que la Chine sort gagnante de cette crise et de penser que la Chine aurait pu lâcher le virus pour gagner de l’avance sur ses compétiteurs.


Florian Mayneris, professeur au Département des sciences économiques de l'ESG UQAM


Dans la chronologie des événements, quand l’épidémie s’est déclarée en Chine et que les premières quarantaines ont été imposées, le grand manufacturier de la planète est tombé à zéro, tout a arrêté, rappelle Andrée-Anne St-Arnaud, journaliste spécialisée en économie à ICI RDI et ICI Radio-Canada. Cette mise à l’arrêt s’ajoutait à des pronostics déjà moins prometteurs avant même l’avènement du nouveau coronavirus.



Avant la crise du coronavirus, on prévoyait déjà à peu près 5,5 % de hausse du PIB en 2020. Avec la crise, sans avoir tous les chiffres définitifs, les experts s’entendent pour dire que ça ne dépassera pas 3 %.


Andrée-Anne St-Arnaud, journaliste spécialisée en économie à ICI RDI et ICI Radio-Canada


À cet égard, le son de cloche est le même si l’on se fie aux évaluations (Nouvelle fenêtre) des agences internationales de notation financière telles que Fitch.



Les marchés boursiers : la Chine mieux positionnée?


Une des preuves avancées par les conspirationnistes pour étayer cette thèse d’une crise ourdie par la Chine serait la bonne posture des places boursières chinoises par rapport aux grands marchés boursiers dans le reste du monde. Encore une fois, les données réelles imposent certaines nuances. Pour certains secteurs, la chute des valeurs boursières est moins importante en Chine qu’aux États-Unis, mais il y a tout de même des baisses, précise Florian Mayneris, professeur au Département des sciences économiques de l’ESG UQAM.


Certes, jusqu’à maintenant, toutes les tendances boursières sont globalement à la baisse, mais avec un meilleur positionnement des cours boursiers en Chine. Si on prend une photo aujourd’hui, les pertes ont été deux fois plus importantes en Amérique du Nord qu’en Chine avec des indices nord-américains de 20 % à 25 % sous leur sommet, note Andrée-Anne St-Arnaud.


Un homme avec masque protecteur à la Bourse de Shanghai, dans le district financier de Pudong. En toile de fond, un immense tableau numérique présentant l'évolution des cours boursiers.

Un homme avec masque protecteur à la Bourse de Shanghai, dans le district financier de Pudong.


Photo : Reuters / Aly Song




Cela dit, ces reculs contrastés sont certainement liés au fait qu’avant la pandémie, la bourse chinoise affichait moins de volatilité et moins d’ascensions spectaculaires que ce qui s’observait du côté nord-américain. Résultat : le choc est moins brutal en Chine.


Autre élément spécifique à la réalité chinoise : l’envol de la crise a coïncidé avec le Nouvel An lunaire et la traditionnelle fermeture des places boursières. Habituellement fermées 10 jours, les places boursières ont prolongé leur fermeture de 3 jours en raison de la crise. Une fois les bourses rouvertes, la baisse a été colossale. Shanghai a chuté de 7,72 % et Shenzhen de 8,41 %. C'était le plus important recul des indices chinois depuis le krach de 2015. Par contre, le gouvernement chinois avait déjà pris un certain nombre de mesures budgétaires et monétaires pour essayer de passer à travers la crise (...), les réactions des investisseurs ont donc été moins fortes que dans des pays qui n’avaient pas fermé les bourses, souligne Florian Mayneris.



Portrait post-quarantaine : retour en force de l’économie chinoise?


Les personnes qui répercutent sur le web l’idée d’un vaste coup monté par Pékin brandissent aussi comme preuve le fait que l’économie chinoise aurait renoué avec sa vigueur des beaux jours face à des économies concurrentes fortement ralenties.


Selon les données consultées (Nouvelle fenêtre) par Florian Mayneris, les mois de janvier et février ont été pénibles pour le secteur manufacturier chinois, un rouage majeur de l’économie chinoise. Le professeur évoque ainsi des baisses massives de 31,8 % dans le secteur automobile, 28 % pour la machinerie générale et 27,2 % dans le domaine du textile. En revanche, si une reprise a été notée au mois de mars, il ne faut pas y voir un signe de récupération pleine et entière, loin de là. C’est facile quand ça a beaucoup baissé de repartir en hausse, mais ça ne veut absolument pas dire que l’économie roule de nouveau à plein régime et dépasserait même la croissance qu’elle aurait connue s'il n’y avait pas eu la crise, fait valoir M. Mayneris.


En fait, au moment d’écrire ces lignes, on estime que le secteur manufacturier chinois roule entre 40 % et 50 % de sa capacité, note Andrée-Anne St-Arnaud. Mais dans un contexte où les partenaires commerciaux de la Chine sont paralysés par la pandémie, il reste peu de débouchés pour la production du principal moteur de l’économie mondiale.


La Chine ne sera jamais capable de rouler à 100 % si elle n’a pas de partenaires extérieurs, estime Mme St-Arnaud. Une analyse que partage Florian Mayneris : Compte tenu de la situation en Amérique du Nord et en Europe, la Chine va aussi mettre du temps à repartir parce que ses clients ne tournent plus.


Exit l’économie : autres affirmations trompeuses en rafale


Les conspirationnistes soulèvent une kyrielle de sous-entendus sur l’origine, la progression et la portée du nouveau coronavirus.


Sur son origine, ils y voient une machination de la Chine, qui aurait créé un virus pour lequel ils avaient déjà un antidote.


Cette affirmation va à l’encontre des analyses scientifiques récentes. La revue scientifique Nature Medicine a publié à la mi-mars (Nouvelle fenêtre) les résultats d’une recherche démontrant que le SRAS-CoV-2 est le fruit de l’évolution naturelle.


Quant à l’existence d’un antidote, sous forme de vaccin par exemple, l’équipe des Décrypteurs a déjà souligné qu’un tel vaccin n’existe pas encore. Une armée de chercheurs travaille en ce moment à le développer, mais les experts estiment qu’il faudra entre 12 et 18 mois avant qu’un vaccin ne soit prêt.


Sur la progression du virus, là encore, les conspirationnistes tentent de semer le doute. Le coronavirus a voyagé partout dans le monde depuis Wuhan, mais il n'est pas arrivé à Pékin, ni Shanghai, ni d'autres villes importantes de Chine. Quelqu'un peut-il expliquer ça?, peut-on lire dans une publication qui circule beaucoup sur Facebook.


Comme le soulignait récemment un article des Décrypteurs, il est légitime de douter de l'exactitude des données officielles fournies par le régime chinois. Plusieurs experts estiment qu’il n’est pas impossible que le gouvernement central minimise à dessein la portée de la contagion au SRAS-CoV-2 pour des raisons tant politiques qu’économiques.


Néanmoins, il est à noter que, selon les données cartographiées (Nouvelle fenêtre) de l’Université Johns Hopkins, le virus est bel et bien présent sur l’ensemble du territoire chinois. Dans la même optique, selon les données colligées par le portail allemand Statista (Nouvelle fenêtre), 34 régions administratives relevant de Pékin ont recensé des cas du nouveau coronavirus sur leur territoire, ce qui inclut les mégapoles de Pékin, Shanghai, Shenzhen et Canton.


Plusieurs citoyens avec masques protecteurs en quête d'emplois dans la ville de Qingdao, dans la province de Shandong.

Citoyens en quête d'emplois dans la ville de Qingdao, dans la province de Shandong.


Photo : Reuters / China Daily CDIC




Évidemment, l’essentiel de la contagion est concentré dans la province du Hubei et sa capitale désormais célèbre, Wuhan. Si les cas sont nettement moins nombreux en dehors de ce foyer principal, ça résulte essentiellement du confinement très strict du Hubei, mais aussi, dans une moindre mesure, des autres provinces, selon Frédéric Lemaître (Nouvelle fenêtre), correspondant en Chine du quotidien Le Monde.


En somme, les conspirationnistes ratent leur cible en prétendant que la Chine a délibérément généré le nouveau coronavirus à des fins de gains économiques.


Mais en dehors de cette théorie du complot, sur le plan diplomatique, il est difficile de nier que la Chine joue bien ses cartes. En expédiant du matériel médical et des experts dans les pays occidentaux durement touchés par la COVID-19, la Chine est en mesure de profiter de son “expertise” face au coronavirus, de gagner une influence et une appréciation positive pour un régime qui a souvent été critiqué, croit la journaliste Andrée-Anne St-Arnaud.


Alors que la crise est encore loin d'être résolue pour la majorité de la planète, il est bon de rappeler que plusieurs chapitres restent à écrire dans ce récit inédit d'un bouleversement sans précédent pour les générations actuelles d'êtres humains.





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