Notre époque se montre très favorable aux revendications des Amérindiens et c’est une bonne chose. Nous sommes devant une population globalement défavorisée qui ressemble trop souvent à une forme de tiers-monde intérieur. Cela ne veut pas dire que les gouvernements se sont croisés les bras devant les populations amérindiennes: cela veut dire que ces efforts n’ont pas porté fruit. Certes, la question autochtone est terriblement complexe et ne saurait se laisser enfermer dans les analyses simplificatrices mises de l’avant par différentes mouvances militantes. Mais nous ne saurions, comme pays avancé, tolérer ce mauvais sort. Leur misère est une tache dans le portrait global du pays. Tous conviennent qu’il faudrait ouvrir un grand chantier pour piloter un développement de grande ampleur fondé sur le respect essentiel de leur identité.
Mais c’est une chose de s’ouvrir aux revendications amérindiennes et c’en est une autre d’accorder du crédit à une vision de l’histoire qui diabolise la découverte de l’Amérique par les Européens, et plus particulièrement, des Français dans le cas qui nous concerne. Cette vision de l’histoire, qui disqualifie moralement l’histoire de la Nouvelle-France, entend en fait criminaliser les origines de notre société et en disqualifier la légitimité : sur le fond des choses, elle nous présente comme une société étrangère sur le continent qui devrait encore s’excuser d’y être. Les Québécois ne seraient pas chez eux chez eux. Combien de temps faudra-t-il encore faire pénitence? C’est la version québécoise de la repentance occidentale qui pousse les peuples à exécrer leur histoire.
À quoi ressemble cette vision historique relayée de manière complaisante par les médias? D’un côté, il y avait la paisible et pacifique Amérique précolombienne, qu’on se représente encore aujourd’hui à partir de la mythologie rousseauiste. De l’autre, on trouve des Européens peints comme des diables, qui auraient amené la violence et le mal sur ce continent. Comment ne pas se désoler de cette représentation anachronique et manichéenne de l’histoire, où les uns jouent les bons et les autres les méchants? L’histoire humaine est complexe et il faut se garder des récits simplificateurs. Autrefois, le monde occidental se célébrait sans nuance. Aujourd’hui, il se déteste sans nuance. Il ne cesse de s’accuser de crimes contre la diversité. Il se contemple dans un miroir déformant qui l’enlaidit.
On ne saurait sérieusement réduire l’histoire de l’expansion européenne à une entreprise criminelle et meurtrière, tout comme on ne saurait transformer les colons qui ont fondé et développé la Nouvelle-France à la manière d’immigrants parmi d’autres dans l’histoire millénaire du continent. Il y a des limites à s’accuser soi-même démesurément et à se complaire dans un récit qui carbure à la haine de soi. Hélas, ce récit semble dominant dans l’école québécoise. À travers lui, toute une génération apprend à haïr ses origines. À tout le moins, c’est le sentiment qu’on peut avoir quand on converse avec une plusieurs représentants de la nouvelle génération qui ont intériorisé cette idée d’une illégitimité profonde des sociétés d’origine européenne sur le continent.
On devrait se rappeler que la Nouvelle-France fut une époustouflante épopée. On ne devrait pas la laisser salir. D’ailleurs, dans notre histoire, à plus d’une reprise, c’est en se tournant vers elle que nous avons su régénérer notre conscience historique – c’est l’avantage d’être connecté à ses racines. C’est une histoire avec des pages glorieuses qui dans un monde normal, devraient être une source de fierté pour le peuple québécois et surtout, pour les jeunes générations. Il faudrait rappeler aux déconstructeurs de la mémoire que la colonisation européenne n’était en rien uniforme. La France, la Grande-Bretagne, l’Espagne et le Portugal n’ont pas misé sur des modèles interchangeables de colonisation. L’expérience française n’était pas sans humanisme et la figure de Champlain, 400 ans plus tard, demeure lumineuse.
À travers cela, c’est le noyau existentiel de l’identité québécoise qu’on veut neutraliser: en disqualifiant l’histoire de la Nouvelle-France, on disqualifie au temps présent la majorité historique francophone. L’histoire est la matière première de l’identité collective. C’est à travers elle qu’un peuple s’inscrit dans le temps et sait reconnaître sa continuité malgré la diversité des époques. Un peuple sans histoire n’est pas un peuple, c’est une société appelée à se dissoudre dans un ensemble qui lui, ne se renie pas. Salir la mémoire de la Nouvelle-France, cela consiste à dire aux Québécois qu’ils ne sont pas ici chez eux. C’est une insulte à la mémoire de leurs ancêtres qui ont fondé ce pays.
On se permettra un dernier rappel : l’histoire humaine est tragique. Elle a des pages admirables, elle a des pages détestables. Elle a aussi bien des pages ordinaires. Tous les peuples sont traversés par des élans généreux et des passions ombrageuses. Tous les peuples sont capables de grandeur et de bassesse. C’est en ayant en tête cette complexité qu’on saura le mieux méditer sur le destin des civilisations sans verser dans le fanatisme épurateur et sans faire preuve d’un réflexe vengeur. Plus globalement, on devrait se méfier de cette mémoire hargneuse qui veut effacer les traces du passé qui ne cadrent pas avec les valeurs du présent. On ne saurait soumettre la mémoire à une pure réécriture idéologique sans verser dans une forme de manipulation fabulatrice idéologiquement orientée.
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