« L'émeute qui finit par étrangler ou détrôner un sultan est un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposait la veille des vies et des biens de ses sujets. »
Rousseau
Il se tenait une seconde « rencontre au sommet », ce vendredi 4 mai, à Québec, cette nouvelle fois entre le négociateur du gouvernement libéral, la Conférence des recteurs et principaux des université du Québec, la Fédération des cégeps, les présidents de trois centrales syndicales et les associations étudiantes. On disait vouloir dénouer la crise. Mais cette crise, si jamais elle se dénouait cette fin de semaine ou non, ne peut pas masquer un enjeu plus profond : certaines personnes ont décidé de marcher, de manifester et ont compris que le Québec ne va pas dans la bonne direction sous la gouverne libérale. Plusieurs indignés, appelés par les médias « casseurs » ou pirates, tiennent mordicus à s’attaquer au mobilier et au personnel du navire libéral.
Une « rencontre au sommet » après douze semaines de grève !
L’ironie est ici totale : le gouvernement, au lieu de régler le conflit au milieu de la session, a plutôt fait preuve de paternalisme, il a joué sur les mots, il a attisé la violence, il a stigmatisé le « porte-parole » d’une association étudiante, il a boudé la table de négociation et il veut maintenant s’entendre absolument avec les associations étudiantes pour forcer le retour en classe ! Il veut passer pour le sauveteur du semestre ! Le premier ministre se présente à la population comme un lifeguard alors qu’il cherche, par les moyens juridiques, à noyer des étudiants et des professeurs. Comment accepter sans crier ce geste désespéré et pour le moins surréaliste, celui qui consiste à organiser un sommet de la dernière chance, de la part d’un gouvernement responsable de son agenda politique ?
Et surtout, quel est l’enjeu de ce sommet de la dernière chance si la ministre de l’Éducation menace, depuis Pâques, d’annuler le semestre, sans tenir parole ? Que veut dire l’annulation d’une session en mai ? Nous en sommes semble-t-il parvenus au scénario impossible il y a douze semaines, à savoir l’annulation de la session d’hiver 2012 dans certaines institutions d’enseignement supérieur... Comment, demanderons-nous, rattraper douze semaines de grève en trois sans mentir à la population au sujet des diplômes ? Que dire d’un gouvernement libéral qui a délibérément mis en péril le semestre de plusieurs milliers d’étudiants et qui veut désormais s’entendre à tout prix et sauver ce qui, logiquement, ne se sauve pas ? Cette annulation hypothétique à venir, n’est-ce pas le naufrage même du navire libéral en pleine tempête politique ? Et pas n’importe quel naufrage : un naufrage avec spectateurs. Tentons de comprendre notre fin de semaine du 4 au 7 mai…
L’instinct politique du premier ministre
Le gouvernement veut régler. Or le temps le contredira forcément – il ne reste plus assez de temps virtuel pour sauver le semestre en mai - et il devra peut-être abandonner son navire amiral face un écueil imprévu au début de son dernier voyage : la détermination de plusieurs milliers d’étudiants du Québec. Nous avons tous vu en direct le navire libéral prendre la mauvaise direction et chercher la tempête quand son lieutenant à l’Éducation a isolé la CLASSE. Tout s’est envenimé lorsque son capitaine, au lieu d’écouter les marins grévistes et de calmer le jeu, a préféré s’en remettre à son grand instinct politique et les a plutôt provoqués. Cet instinct, sans doute d’origine fédérale, lui disait qu’il est bon de montrer aux francophones comment vogue la galère libérale.
Une autre émeute historique ?
Quand on veut régler un conflit en trois heures un vendredi soir, et ce, au tout début d’un conseil politique tenu à l’extérieur des grands centres, n’est-ce pas le signe que quelque chose ne va pas ? Cela signifie en vérité que l’on joue avec une population plus attachée au hockey qu’à la politique. Et ici, quand on lie hockey et politique, on entre de plain-pied dans l’histoire du Québec.
Que signifie se fier à son instinct politique ? On se fie à son instinct politique quand on veut uniquement gagner des points dans les sondages sans tenir compte de la population. Ce vendredi noir du 4 mai 2012 devrait rester gravé à jamais dans l’histoire du Québec, gravé à titre du vendredi de la violence en région recherchée par un gouvernement qui méprise la population. Ce vendredi de l’émeute de Victoriaville, après celle du Forum en 1955, marque un nouveau pas dans l’histoire du mépris. Car, encore une fois, loin de reconnaître ses responsabilités, les autorités demanderont aux « leaders » du peuple de condamner la violence que les autorités ont elles-mêmes recherchée, attisée et dénoncée. Comme Richard avait dû, sous la pression indue de la ligue, sortir de sa tanière pour calmer le peuple, les leaders étudiants sortiront pour demander aux indignés de se calmer. Mais est-ce encore aux étudiants de calmer le jeu, de condamner la violence, de regretter les manifestations, pour avoir droit à une table de négociation ? Il faut poser la question une fois pour toutes.
Que nous est-il permis d’espérer ?
Or, que nous est-il permis d’espérer ce soir, en marge du sommet et du conseil général des libéraux ? Que la tempête d’Avril 2012 et la violence cessent ? Que le gouvernement écoute les étudiants ? Que les étudiants s’habillent ? Qu’ils lisent au lieu de marcher ? Que la population comprenne les enjeux et ne se divise plus ? Que, contre les sondages, le navire libéral coule définitivement ?
Ce qui est clair ici, c’est que le malheur arrive souvent à l’équipage qui se fie aveuglément aux ordres d’un capitaine dangereux, entêté, obsédé par l’argent, les amis et l’apparence. Désormais la population du Québec devra payer pour les recours éhontés aux tribunaux, le déploiement quotidien de la police, le vandalisme et l’annulation annoncée de la session. Que l’on soit d’accord ou non avec la hausse décrétée par les libéraux, nous sommes tous spectateurs d’un gouvernement qui ne gouverne plus pour la majorité de la population et d’une transformation attendue de la démocratie québécoise.
Que les spectateurs deviennent des acteurs s’ils veulent vivre…
Nous sommes tous sur le même bateau. Le naufrage souhaité du navire libéral nous concerne tous. Nous sommes tous spectateurs, sujets au naufrage de notre gouvernement. Voilà pourquoi il convient d’espérer que le nombre de vestes de sauvetage soit suffisant, sur le navire à la dérive, pour les étudiants qui se retrouveront bientôt à la mer. S’il est vrai que de nombreux étudiants ont appris à respirer sans air et sous l’eau depuis février, en apnée donc, certains ne sont pas sortis du navire et risquent de périr s’ils ne sont pas secourus à temps. Y aura-t-il assez de vestes ? Qui quittera le navire le dernier ? Qui survira au naufrage des libéraux ? Les réponses à toutes ces questions viendront peut-être après les prochaines élections…
D’ici-là, il est aussi à espérer que les spectateurs deviennent enfin des acteurs, qu’ils tentent d’influencer la direction du navire et qu’ils cherchent ainsi à sauver la peau des étudiants, ce qui revient à sauver la leur.
Penser le Québec
Naufrage avec spectateurs
Une nouvelle émeute sur le navire libéral...
Victoriaville - 5 mai 2012
Dominic Desroches115 articles
Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Eti...
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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.
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