Mort et vie de l'AÉCG

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Sa survie n'est pas assurée





L’Accord économique et commercial global (AÉCG) n’était pas aussi mort que ce que la ministre canadienne Chrystia Freeland pouvait nous laisser entendre vendredi dernier. Les parties belges en sont finalement arrivées à une entente. Cela ne signifie pas que l’AÉCG a été signée, les Wallons ont plutôt signifié qu’ils allaient surveiller de près les prochains développements pour s’assurer que les concessions arrachées soient véritablement respectées. Assurant qu’il n’avait pas signé de chèque en blanc, le ministre-président wallon Paul Magnette prétend avoir gagné sur toute la ligne. Cependant, les zones d’ombre demeurent. Il nous sera assurément possible d’y revenir au cours des prochaines semaines et de commenter les prochains rebondissements.


Pour le moment, à cet instant précis, cet épisode laisse un goût doux-amer.


Doux, car il était impressionnant de voir une petite région être en mesure de tenir tête tout autant à l’Union européenne qu’au Canada et pouvoir déjouer leurs diktats. Même si Magnette s’en excuse, avoir retardé d’une semaine le processus était héroïque. La Wallonie a servi une formidable leçon d’humilité à nos « élites » qui versaient dans une arrogance sans nom.


Amer, car on dirait que les pressions des puissants l’emportent. Tout cela m’a rappelé le moment Syriza en Grèce, ainsi que ses suites... j’espère me tromper !


Malgré son « humanisation », l’AÉCG demeure un accord nocif pour le Québec.


Les conclusions de l’Université Tufts


Il y a quelques semaines, l’Université Tufts a démontré que l’Accord économique et commercial global (AÉCG) allait entraîner une baisse substantielle des recettes fiscales des États, une augmentation des inégalités et une destruction programmée du secteur public.


L’avantage de la recherche de Pierre Kohler et de Servaas Storm est d’attirer l’attention sur de nouvelles conséquences de l’AÉCG et de déboulonner la méthodologie biaisée des bénéfices de l’accord sur laquelle carbure les gouvernements depuis 2008. Résumons-les brièvement.



  • Premièrement, la balance commerciale sera positivement servie en Allemagne, en France et en Italie mais cela se fera au détriment d’autres pays.



  • Deuxièmement, l’AÉCG mènera une plus grande part des PIB nationaux à être concentrés aux mains du capital tandis que la part consacrée au travail déclinera.  

  • Troisièmement, l’AÉCG entraînera des compressions salariales.

  • Quatrièmement, l’AÉCG sera responsable d’importantes chutes de revenus gouvernementaux.

  • Cinquièmement, 230 000 emplois seront perdus d’ici 2023 dans les pays signataires de l’AÉCG.

  • Sixièmement, on peut aussi s’attendre à des chutes de croissance.


Ce n’est plus une question de droits de douane


L’auteur Jacques B. Gélinas a bien raison de parler de néolibre-échange : le libre-échange est passé à une nouvelle étape de son développement. Il n’est plus tant question d’abaisser les barrières tarifaires, lesquelles sont déjà très basses, que de démanteler les barrières non-tarifaires, c’est-à-dire les politiques et règlementations d’intérêt public qu’on accuse maintenant d’être des « obstacles » au commerce. Les accords dits « de nouvelle génération » sont appelés à transformer radicalement le visage des nations. Les États devront s’effacer partiellement devant les volontés des corporations, voire se mettre à leur service dans les situations prévues par les ententes. La question des tarifs douaniers, qui n’ont jamais été aussi bas, n’est plus l’enjeu central depuis belle lurette. Nous assistons en fait à la constitution d’un système de contraintes conçu pour administrer le commerce et les investissements à la place des pays signataires, de manière à contenter leurs lobbys financiers et industriels.


Dans le cas de l’AÉCG, les multinationales européennes pourront participer aux appels d’offres d’Ottawa, ce qui n’est pas nouveau, mais aussi des provinces, des villes et des institutions d’enseignement et de santé. Cela signifie beaucoup de profits pour les intérêts étrangers. L’Accord risque d’avoir de lourdes conséquences pour l’agriculture fromagère, dont le Québec assure environ 50 % de la production canadienne. La gestion de l’offre, les quotas et les droits de douane sont autant d’outils permettant à nos producteurs de se protéger d’une concurrence écrasante et parfois déloyale. Aujourd’hui, le fromage québécois est disponible à un prix avantageux pour le consommateur par rapport à ses équivalents européens, sauf peut-être les fromages industriels européens.


Or, l’AÉCG risque de mener à un abaissement des quotas et des droits de douane en favorisant une entrée massive des produits européens, déclenchant une guerre des prix par l’ajout de 17 000 tonnes d’importations, ce qui risque d’écraser le potentiel de croissance du secteur des fromages fins au Québec. L’État canadien promet d’offrir des compensations aux producteurs « nationaux » pénalisés, lésant cette fois-ci le contribuable. Comprenez-moi bien : je me réjouis que les producteurs puissent mettre un certain baume sur leurs plaies, mais je serais encore plus heureux si on évitait les plaies. On passera ainsi d’un système de gestion de l’offre à un système subventionné. Le hic, c’est que ces subventions, sous forme de compensations, reviennent à admettre qu’une forme d’aide sociale est nécessaire pour les producteurs, qui vont peiner à survivre s’ils ne s’écroulent tout simplement pas. D’autant plus que ces compensations/subventions sont, par définition, temporaires.


Les dispositions concernant Hydro-Québec sont également inquiétantes. Sa contribution au développement économique du Québec pourrait être sérieusement réduite par ce traité. L’AÉCG implique certes que les « achats stratégiques » de la société d’État puissent être exemptés d’être soumis à la concurrence étrangère. Mais ceux-ci représentent 50 % des contrats d’Hydro. Les autres 50 %, investissements et autres types de transactions, sont quant à eux ouverts à l’étranger, ce qui pourrait menacer les mesures de soutien au développement régional ou à l’emploi local. Notons de surcroît que l’exception culturelle, normalement protégée, n’est pas vraiment au rendez-vous. L’Accord implique une approche par chapitre plutôt qu’une exemption générale de la culture des négociations. Adoptant une définition étroite et marchande de la culture –les industries culturelles–, l’exception culturelle ne s’applique ainsi qu’aux chapitres de l’Accord où elle est explicitement mentionnée, et non à son entièreté. C’est un habile contournement.


Notons que malgré plusieurs cérémonies de signature avortées, l’AÉCG n’est toujours pas en vigueur tandis que déjà, en novembre 2015, le Québec et l’Ontario ont signé une entente pour harmoniser la libéralisation de leurs marchés publics, pour s’y conformer. On peut y lire la note suivante : « Tous les organismes publics québécois seront visés par [l'Accord de commerce et de coopération entre le Québec et l'Ontario]. Cet assujettissement inclut plusieurs sociétés d'État qui sont visées pour la première fois par un accord de libéralisation, dont la Caisse de dépôt et placement, Hydro-Québec et la Sépaq. »


L’État n’a pas fini de faire des pieds et des mains pour se conformer aux exigences du commerce, même quand celles-ci ne sont toujours pas réelles. Cet aspect précis vous intéresse ? Je vous suggère justement un livre...



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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