Mistral, «une bien mauvaise affaire pour le contribuable et pour l'indépendance nationale»

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La France asservie aux intérêts américains



C'est officiel, la France et la Russie ont trouvé un accord sur le dossier des navires Mistral. Selon Thierry Mariani, député Les Républicains, cette affaire coûtera au contribuable français de «1,5 à 2 milliards d'euros».


RT France : Comment analysez-vous cette affaire de la vente des navires Mistral annulée ?


Thierry Mariani : Quand je pense à la situation de 2011 quand les contrats ont été conclus et la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant, il me semble qu'il y a là un immense gâchis. C'était une opportunité de collaboration franco-russe qui finit mal en raison de la volonté française de ne pas respecter le contrat. Je fais partie de ceux qui en France pensent, et nous sommes nombreux dans ce cas, que nous faisons une très grosse erreur en cédant à la demande et à la pression des Américains ou de certains alliés européens en ne livrant pas ces deux bateaux. Maintenant, l'épisode franco-russe est terminé mais il ne faut pas oublier l'épisode suivant. Les Français se retrouvent avec deux bateaux pour lesquels il n'y a pas d'acheteur dans l'immédiat et qui coûtent cher à l'entretien. Quand on fait le compte de la somme que cette affaire va coûter au contribuable français, on arrive à environ 1,5 milliard d'euros, minimum.


RT France : Au-delà de cette perte financière, qu'a perdu la France symboliquement dans cette affaire ?


Thierry Mariani : Symboliquement, il y a un triple échec. D'abord pour la France en tant que fournisseur d'armement. Cette industrie est solide et repose sur une capacité technique mais également sur la fiabilité. Or un pays qui ne veut plus livrer ce à quoi il s'était engagé envoie un signal négatif aux acheteurs potentiels qui n'auront désormais plus confiance. Quand j'observe ce qui s'est passé pour le marché des avions en Inde, je me dis que cette affaire des Mistral a joué en grande partie (NDLR : L'Inde vient officiellement d'annuler sa commande de 126 avions de chasse Rafale au profit de la Russie. Ce contrat s'élevait à 20 milliards d'euros). 


Ensuite, c'est un échec en matière diplomatique. On constate que la France a su par le passé avoir sa propre politique tout en respectant ses alliances. Jacques Chirac avait dit «non» aux Etats-Unis dans l'intervention en Irak. François Mitterrand avait su dire «non» aux Etats-Unis quand il s'était agi de stopper des livraisons d'armes au Nicaragua. Or dans le cas actuel, la France s'est totalement alignée sur les Etats-Unis. Aujourd'hui est une journée de deuil pour les relations franco-russes et une triste journée pour l'indépendance nationale. Les idées auxquelles était attaché le Général de Gaulle sont bien loin.


Enfin, comme je l'ai expliqué c'est un fiasco industriel et financier, dû au simple fait que le président Hollande a décidé de se plier aux demandes de certains de nos alliés.


 RT France : Les deux pays semblent avoir tenté de donner le change en parlant d'un partenariat ouvert et amical. Qu'en pensez-vous ?


Thierry Mariani : Effectivement c'est un accord à l'amiable. C'est ce qui surprend un peu mais qui est trompeur. Il ne faut pas croire que les rapports entre la France et la Russie vont aller mieux car il y a toujours l'embargo et la France ne fait rien pour s'y opposer. Mais cette annulation du contrat est un accord gagnant-gagnant. La Russie va pouvoir récupérer immédiatement des sommes disponibles, au lieu de s'engager dans un arbitrage qui aurait pu durer 2 à 3 ans. Cela pourrait lui permettre de construire elle-même, si elle le souhaite, ces bateaux que la France n'a pas voulu leur livrer. Pour la France, cela nous permet de vendre ces bateaux si nous trouvons des acheteurs. S'engager dans une longue procédure n'aurait été bon pour aucun des deux pays. Si c'est une triste journée pour la diplomatie et l'industrie française, au moins l'intelligence des deux gouvernements a atténué les choses. Comme pour un divorce, ils ont su éviter une longue procédure inutile.


RT France : Vous parlez de revente mais ces bateaux ont été construits selon des critères spécifiques demandés par la Russie. Sont-ils revendables en l'état ?


Thierry Mariani : La revente est possible mais avec de gros travaux. Par exemple, le Vladivostok a été conçu pour naviguer en eaux froides. Des pays avec des eaux plus chaudes ne pourront pas l'acheter. Autre exemple, il dispose d'un immense pont chauffant, tout le câblage et la conception des réseaux informatiques sont compatibles avec le système russe. En somme, il faudrait aujourd'hui rééquiper complètement les navires pour les rendre vendables. De toute façon, il y a peu d'Etats qui peuvent acheter de tels navires. On est dans la pire situation en fait. Le coût des bateaux risque d'être bradé. Résultat : 1,2 milliards d'euros remboursés à la Russie auxquels s'ajoutent au minimum 150 à 200 millions pour réadapter le bateau pour un acquéreur qui aura ses propres exigences. A cela s'ajoute la décote commerciale de 100 à 150 millions. Cela donne donc un total de 1,5 milliards, ce qui est le coût minimal de cette affaire. Cela peut même monter à 2 milliards selon les changements. C'est une bien mauvaise affaire pour le contribuable français.  


RT France : Selon votre analyse, faut-il que la France revoie sa politique par rapport à la Russie, notamment les sanctions ?


Thierry Mariani: Je fais partie de ceux qui disent qu'il est temps de cesser cette politique qui en réalité bloque nos politiques dans les deux sens et ne change rien à la situation internationale. S'il suffisait d'un embargo pour avoir la paix en Ukraine, on le saurait depuis longtemps. La Russie mais aussi l'Europe souffrent de ces sanctions. C'est un blocus perdant-perdant. Mais je crains que la France, qui est engluée avec certains de ses partenaires européens dans un suivisme aveugle des Américains, ne veuille pas revenir sur cet embargo avant longtemps. Je suis en réalité très pessimiste sur la durée de ces sanctions. On voit que la situation en Ukraine continue. Pourquoi ? Tout simplement parce que le gouvernement ukrainien a intérêt à ce qu'elle continue, et je pèse mes mots. Car le jour où il y aura la paix en Ukraine, et c'est souhaitable, on s'apercevra que le gouvernement de Petro Porochenko est en faillite complète et les Ukrainiens n'accepteront pas cela. Les Américains ont également intérêt à ce que cette guerre ne s'arrête pas car c'est un foyer de division en Europe et quand on a des concurrents divisés, c'est toujours préférable. Avec les élections américaines qui arrivent, un candidat qui souhaiterait arrêter ces actions serait traité de faible. On aura une surenchère inévitable avec l'idée de rajouter des sanctions aux sanctions. Comme me le disait un Américain en parlant de la Russie, «We must corner the Bear» (NDLR : Nous devons coincer l'Ours dans un coin). L'Europe n'arrive pas à s'émanciper des Etats-Unis, surtout des Etats comme la Pologne, les Etats baltes ou le Royaume-Uni. On est donc parti pour une situation qui peut durer encore deux à trois ans sans aucun problème. Je suis très pessimiste.



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