Mieux que le verglas!

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


Il faut le reconnaître: à l'occasion de la tragédie dont le Collège Dawson a été le théâtre, Jean Charest a été à la hauteur de ce que les Québécois attendent de leur premier ministre.
Comme tout être humain normalement constitué, M. Charest a sûrement été touché par ce drame. Le père de famille ne pouvait pas demeurer insensible à la douleur des parents des victimes et le Québécois a dû être révolté par la bêtise raciste de Jan Wong.
Il n'en reste pas moins que ce triste événement l'a remarquablement bien servi sur le plan politique. S'il fut un temps où chaque nouvelle gaffe du gouvernement était portée au compte du bureau du premier ministre, la réaction à la fusillade du Collège Dawson a été un modèle de récupération politique.
Une opération de ce genre est toujours délicate. Mal menée, elle peut être terriblement choquante et se retourner contre ses auteurs. Bien réussie, elle peut cependant rapporter des dividendes considérables. Il ne s'agit pas de crier au cynisme, même si chacune des interventions de M. Charest a été soigneusement planifiée et calibrée. En pareilles circonstances, un gouvernement est forcé de réagir; aussi bien qu'il y trouve son compte.
À certains égards, cela rappelle la crise du verglas, en janvier 1998. Lucien Bouchard était sincèrement préoccupé par le sort des sinistrés, mais il avait très bien vu le profit qu'il pouvait tirer de la situation. Jour après jour, son point de presse télévisé lui a permis de mettre à profit ses talents de communicateur pour démontrer les avantages de confier la barre à une main ferme et responsable.
Inversement, une crise bien gérée est un véritable supplice pour l'opposition. Pendant le verglas, plusieurs avaient reproché à Daniel Johnson une trop grande discrétion. Le Globe and Mail avait même trouvé qu'il aurait dû profiter de l'occasion pour démontrer «subtilement» (sic) les mérites du fédéralisme ! M. Johnson avait préféré s'effacer afin de ne pas nuire aux efforts du gouvernement. C'était tout à son honneur, mais cela avait néanmoins marqué le début de la fin pour lui.
[Depuis une semaine, personne ne peut reprocher quoi que ce soit à André Boisclair.->2059] Comme Daniel Johnson, il s'est comporté de façon digne et responsable. Le résultat, c'est qu'il est passé totalement inaperçu. Heureusement, sa situation n'est pas aussi fragile que l'était celle du chef libéral à l'époque.
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D'une certaine manière, M. Charest a mieux agi que M. Bouchard à l'époque du verglas dans la mesure où il en avait davantage à prouver. Depuis son accession au pouvoir et même avant, il n'avait jamais réussi à corriger certaines perceptions négatives, que les décisions ou les maladresses de son gouvernement n'ont fait que renforcer au fil des ans. Ses réactions au drame du Collège Dawson vont peut-être en amener certains à le voir d'un autre oeil.
Dès le départ, sa remise en question du «modèle québécois» hérité de la Révolution tranquille avait été associée à un manque de compassion. Pendant la campagne de 1998, Lucien Bouchard n'avait eu aucun mal à le dépeindre comme un disciple de Mike Harris. Ses projets de «réingénierie» de l'État, au surplus mal expliqués, n'ont rien fait pour arranger les choses.
La semaine dernière, les Québécois ont vu un homme qui paraissait sincèrement affligé du malheur qui s'était abattu sur la communauté étudiante du Collège Dawson et leurs familles et qui cherchait les moyens de leur venir en aide. Enfin, de l'empathie !
Son association avec Stephen Harper, qui avait permis à son gouvernement de sortir tant bien que mal de l'abîme d'impopularité où il croupissait, avait commencé à devenir compromettante depuis que M. Harper avait entrepris de concrétiser ses valeurs conservatrices et ses sympathies pro-américaines.
En relançant le débat sur le registre des armes à feu, la fusillade de Dawson a permis à M. Charest de prendre ses distances. Il s'est montré suffisamment insistant pour qu'on ne lui tienne pas rigueur d'avoir lui-même prôné l'abolition de ce registre à l'époque où il dirigeait le Parti conservateur.
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[La chronique imbécile de Jan Wong a en quelque sorte été la cerise sur le sundae.->2009] Elle a permis à M. Charest, à qui on a toujours reproché de ne pas vibrer au même diapason que l'ensemble des Québécois, de partager une commune indignation.
La [lettre qu'il a adressée au Globe and Mail->2043] traduisait parfaitement la colère qu'ont provoquée les élucubrations de Mme Wong. Même Lucien Bouchard, qui avait toujours la susceptibilité québécoise à fleur de peau, n'aurait pas fait mieux. Pour s'assurer que tout le monde sache bien combien on était fâché à Québec, ses ministres sont venus le répéter devant les caméras de télévision.
Le quotidien torontois a choisi de traiter la lettre du premier ministre du Québec comme celle de n'importe quel autre lecteur. Tant qu'à être cheap... On verra maintenant quel traitement on accordera à la lettre de Stephen Harper. Lors de la crise du verglas, le Globe and Mail avait également jugé que la Belle Province s'agitait beaucoup pour bien peu. Cette brave Mme Wong, déjà sur la brèche, avait écrit que pour bien des victimes, «le pire [avait] été la mort de leurs poissons tropicaux».
Tout le monde tient maintenant pour acquis que les élections ont été reportées au printemps 2007. C'était la conclusion logique à tirer du dernier sondage CROP, qui accordait cinq points d'avance au PQ. Et pourtant...
En rétrospective, Lucien Bouchard a dû regretter de ne pas avoir profité de l'élan que lui avait donné la crise du verglas alors que les libéraux étaient au plancher, mais il aurait fallu de très bonnes raisons pour précipiter le Québec dans une campagne électorale en plein hiver. Daniel Johnson a réglé la question en démissionnant. La fenêtre s'est aussitôt refermée.
Certes, le PQ a tout de même été réélu en octobre 1998, mais avec un mandat si faible que M. Bouchard a dû renoncer à toute velléité référendaire. M. Charest est bien placé pour s'en souvenir. Il y aurait sans doute eu moyen de faire mieux avec le verglas.
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mdavid@ledevoir.com


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