À en juger par l'accueil réservé aux propos de Michael Ignatieff, la réouverture du dossier constitutionnel est bien la dernière chose dont le Canada anglais veut entendre parler.
Il est vrai qu'il semble y avoir des choses bien plus urgentes à discuter. Quatre autres soldats canadiens ont perdu la vie en Afghanistan hier et le drame du Collège Dawson a brutalement remis le registre des armes à feu à l'ordre du jour. Sans oublier le protocole de Kyoto et le déséquilibre fiscal. Tout le monde le répète depuis des jours : le gouvernement Harper en aura plein les bras au cours de la session qui vient de reprendre à la Chambre des communes.
Il y a toujours plus urgent que la Constitution, mais rien n'interdit de mâcher de la gomme en marchant. Au moment où Pierre Elliott Trudeau s'employait à rapatrier la Constitution, en 1982, des milliers de petits propriétaires ont perdu leur maison à cause de la flambée des taux d'intérêt. Brian Mulroney a mené de front les négociations sur l'accord du lac Meech et sur le traité de libre-échange avec les États-Unis. Sans parler des scandales à répétition qui secouaient son gouvernement.
Peu importe, quand la volonté politique n'y est pas, tous les prétextes sont bons. Qu'il s'agisse de courage ou de naïveté, M. Ignatieff est probablement le seul politicien fédéraliste au pays qui ait envie de replonger dans ce panier de crabes.
Toute la classe politique canadienne sera pourtant forcée de ressasser de douloureux souvenirs au cours des prochains mois, qui seront marqués par une série d'anniversaires que le camp souverainiste ne manquera pas de rappeler à ceux qui tenteraient de les oublier.
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Au début de novembre, il y aura vingt-cinq ans que René Lévesque s'est fait piéger par Trudeau avant d'être lâché par les premiers ministres des neuf autres provinces, au cours de la nuit du 5 novembre 1981.
Aux yeux des souverainistes, la «nuit des longs couteaux» demeure toujours le symbole de la perfidie du Canada anglais qui, au bout du compte, finit toujours par se retourner contre le Québec.
Cette «trahison», qui a ouvert toute grande la porte au rapatriement de la Constitution sans le consentement du Québec, est devenu le parfait exemple de la fragilité des fronts communs des provinces, qui finissent invariablement par s'écrouler quand les choses se corsent, comme l'a encore démontré la dernière réunion du Conseil de la fédération sur la péréquation.
Le 1er décembre 1981, l'Assemblée nationale avait adopté une résolution qui annonçait déjà les termes de l'accord du lac Meech et même de la dernière proposition de M. Ignatieff. Elle n'accepterait le rapatriement que si la Constitution reconnaissait que «le Québec forme à l'intérieur de l'ensemble fédéral canadien une société distincte par la langue, la culture, les institutions et qui possède tous les attributs d'une communauté nationale distincte».
Aussi bien le PQ que le Bloc québécois ne demandent pas mieux que de rouvrir la plaie lors des prochaines campagnes électorales, dont au moins une, sinon deux, aura lieu le printemps prochain. Cela tombe bien : le 17 avril 2007, on célébrera le vingt-cinquième anniversaire de la proclamation royale qui a permis le rapatriement de la Constitution, enrichie d'une charte des droits qui a réduit les pouvoirs du Québec. Même Claude Ryan, alors chef de l'opposition libérale, avait boudé la cérémonie.
Enfin, dernier anniversaire mais non le moindre, le 3 juin prochain, il y aura vingt ans que les premiers ministres enfermés dans l'édifice Langevin, à Ottawa, annonçaient au petit matin la conclusion de l'Accord du lac Meech. Son échec, trois ans plus tard, a été presque fatal au Canada.
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Si choquants qu'ils aient pu être, les coups tordus de 1981-82 se sont inscrits dans une sorte de partie de poker entre politiciens, dont René Lévesque est sorti perdant. C'était infiniment regrettable, mais il n'était pas le premier à s'être fait avoir par plus malin que lui.
À la faveur du débat sur l'Accord du lac Meech, l'opinion publique canadienne est devenue un joueur déterminant dans une partie traditionnellement réservée aux initiés. L'amertume créée par son rejet n'en a été que plus grande.
Certains des premiers ministres qui avaient lâché le Québec en novembre 1981 étaient toujours là en 1987 et souhaitaient sincèrement réparer les pots cassés. Même ceux qui sont arrivés par la suite, notamment Frank McKenna et Clyde Wells, auraient sans doute hésité à renier la signature de leur prédécesseur s'ils ne s'étaient pas sentis appuyés par leurs électeurs.
Au départ, 56 % des Canadiens approuvaient l'accord, selon un sondage Gallup effectué en juin 1987. En mai 1990, ils n'étaient plus que 25 %. Hors Québec, l'appui était d'à peine 20 pour cent.
Les résultats d'un sondage effectué en août dernier par la firme Ekos, dont le chroniqueur Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, a fait état la semaine dernière, indiquent que le fossé entre les deux solitudes demeure toujours aussi large. Alors que 72 % des Québécois estiment qu'ils forment une nation, seulement 24 % sont de cet avis en Ontario et dans l'Ouest du pays.
À défaut d'annoncer un nouveau cycle de négociations constitutionnelles, certains ont voulu voir dans la proposition de Michael Ignatieff l'amorce d'une «entreprise éducative» qui permettra d'apprivoiser progressivement le Canada anglais.
Le référendum sur l'entente de Charlottetown a toutefois permis de mesurer les limites de l'influence de la classe politique en cette matière. Tous les gouvernements, fédéral et provinciaux, sans parler des milieux d'affaires, ont massivement appuyé cette ultime tentative de réconciliation. La gifle qu'ils ont reçue le 26 octobre 1992 a été retentissante. Tiens, encore un anniversaire à célébrer l'an prochain !
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mdavid@ledevoir.com
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