Depuis quelques semaines, Catherine Dorion est en croisade contre les chroniqueurs. On résumera son propos ainsi : si l’État doit financer les médias, qui sont frappés par la crise que l’on sait, il doit s’assurer que les fonds qu’il investira seront destinés exclusivement à « l’information » et non à « l’opinion ».
Cette proposition témoigne d’une conception étriquée du débat public. On me reprochera probablement de défendre ici mes intérêts, puisque j’ai le bonheur et l’honneur d’être chroniqueur au Journal depuis près de 10 ans. J’espère seulement qu’on me croira de bonne foi.
Objectivité
Au cœur de ce débat, il y a la conception que nous nous faisons du rôle des médias dans une société démocratique. Leur tâche première, tous en conviennent, est de rapporter les informations qui, d’une manière ou d’une autre, éclairent la vie publique.
Mais l’information absolument « neutre » n’existe pas. Une information se présente rarement comme un fait brut, inanimé, sans ambiguïté. C’est inévitable : elle est rapportée par un être humain, à partir de sa sensibilité, de sa vision du monde. Qu’on me comprenne bien : je ne conteste pas un seul instant l’honnêteté intellectuelle des journalistes qui rapportent la nouvelle. Je dis qu’elle ne se présente jamais sous un seul angle et qu’elle s’accompagne toujours d’un travail d’interprétation.
L’objectivité est un noble idéal, mais nul ne parvient jamais à y être absolument fidèle.
La chronique permet d’inscrire les événements dans un contexte plus large. Elle se penche sur leur signification. En d’autres mots, elle ne sert pas seulement à faire valoir l’opinion du chroniqueur, mais elle cherche à dégager le sens des événements. Elle offre un point de vue sur l’actualité, souvent dans son angle mort. Elle contribue aussi à mettre en scène les débats qui traversent notre société.
La diversité des chroniqueurs présents dans la vie publique s’accompagne de la diversité de leurs préoccupations. Qu’ils soient plutôt nationalistes, féministes, écologistes, conservateurs ou progressistes, ils nous rappellent que le monde qui est le nôtre n’est pas neutre, mais traversé par des valeurs et des priorités contradictoires, qu’ils contribuent à expliciter.
D’ailleurs, les rôles sont-ils aussi clairement partagés qu’on l’imagine, entre l’information et la chronique ? Quand on regarde un reportage qui est biaisé et militant, le chroniqueur qui critique ce biais ne contribue-t-il pas directement à une amélioration de la qualité de l’information ?
Et que penser de certains analystes politiques de la télévision publique portant le chapeau du journalisme classique, mais qui ne se gênent pas pour promouvoir leur idéologie ?
Diversité
En fait, contrairement à ce que certains suggèrent, les chroniqueurs, dans leur diversité, contribuent à lutter contre cette idée dangereuse selon laquelle il n’y aurait qu’une seule manière légitime de voir le monde.
En cherchant, de manière plus ou moins avouée, à les expulser de l’espace public, madame Dorion cherche moins à améliorer l’information qu’à se délivrer de fâcheux contradicteurs qui ont le culot de ne pas voir le monde comme elle.