Editorial du « Monde ». Matteo Salvini veut donc, désormais, les « pleins pouvoirs » pour défier l’Europe. Assis sur un solide socle de popularité en Italie, l’actuel numéro 2 et ministre de l’intérieur du gouvernement Conte – qui vit ses dernières heures – a jugé que, après un an et deux mois de coalition avec le Mouvement 5 étoiles (antisystème), son partenaire, en perte de vitesse, ne lui était plus d’aucune utilité.
Le socle électoral de son parti, la Ligue (près de 35 % lors des élections européennes du 26 mai) et les sondages favorables, qui se multiplient, lui permettent d’envisager aujourd’hui, en cas d’élections anticipées, de gouverner seul. Une telle configuration, inédite dans l’Europe de l’après-guerre, est de nature à mettre en péril l’essence même de la construction européenne.
Conformément à son habitude de ne surtout pas hypothéquer l’avenir, le dirigeant d’extrême droite a fait savoir qu’il rencontrerait dans les prochains jours ses éventuels partenaires de coalition, les postfascistes de Fratelli d’Italia et le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia. Mais d’évidence, si alliance il y a, celle-ci se fera à ses conditions.
A bien des égards, les élections qui s’annoncent, et dont nul ne sait encore quand elles se tiendront, pourraient être les plus importantes depuis la création de la République italienne, qui fut l’un des pays fondateurs de l’Union européenne (UE). Le chef politique de la Ligue a déjà désigné l’adversaire : ce sera l’UE, et surtout l’euro, considéré comme le principal responsable du déclin économique du pays.
Alors que la croissance italienne est à l’arrêt et que la mise sur pied du budget 2020 suscite les plus grandes inquiétudes, Matteo Salvini promet aux Italiens de s’affranchir des engagements du pays, pour mieux proposer un choc fiscal d’une ampleur inédite (« flat tax »), au risque de faire exploser le déficit.
Après deux décennies de stagnation économique et de propagande anti-euro, ce discours séduit une large frange d’un électorat qui ne croit plus aux remèdes « traditionnels ». Mais la solution prônée par Matteo Salvini pourrait bien avoir des conséquences terribles : en effet, la dette italienne est à un niveau si élevé (2 300 milliards d’euros, soit plus de 130 % du PIB) que nombre d’analystes doutent déjà de sa soutenabilité. Un nouveau dérapage transformerait ces doutes en certitudes, et pourrait provoquer une tempête dévastatrice sur les marchés financiers.
Quelques jours avant d’entrer au gouvernement, en mai 2018, le dirigeant de la Ligue avait fait recouvrir de peinture blanche, à la hâte, le gigantesque « No Euro » barrant le mur d’enceinte du siège milanais de la Ligue. Matteo Salvini s’est-il pour autant converti à la monnaie unique ? Rien n’est moins sûr, et ses proches, ces derniers jours, ont multiplié les ballons d’essai, évoquant la possibilité d’une sortie « en douceur » du cadre de la monnaie unique.
Mais l’opinion publique italienne n’est pas uniquement « testée » sur les questions économiques : de la criminalisation de l’aide humanitaire aux attaques quotidiennes contre les immigrés en passant par la remise en cause des alliances diplomatiques traditionnelles de l’Italie, Matteo Salvini lance à l’Europe un défi existentiel. Aussi le choix que feront les électeurs italiens risque-t-il d’avoir des conséquences à l’échelle de tout un continent.