On a raison de s'inquiéter. La relation du Québec avec la France est importante pour le devenir du Québec parce qu'aucun autre État que la France ne peut se reconnaître une origine commune avec les habitants d'un sol distinct et tenants d'une autre citoyenneté, les Québécois, et, en conséquence, maintenir des relations intenses avec eux.
Alors que les Canadiens d'autrefois, puis les Canadiens français sont devenus des Québécois, s'affirmant ainsi dans leur spécificité et leur altérité, les Français nourrissent l'idée que les uns et les autres sont issus de ce même terreau qui, à travers le temps et l'espace, a produit en Amérique du Nord une différence manifeste: l'identité québécoise. C'est en tout cas ce que disent avec attachement les diplomates et de nombreux acteurs politiques français qui ont vu dans le Québec moderne les réalisations et les succès d'un peuple nord-américain aux origines françaises. Souvent, ils nous envient nos performances technologiques, notre combativité culturelle, nos capacités d'adaptation à ce monde en mutation.
C'est cette admiration qui parcourt les non-dits aussi bien que les témoignages les plus sincères des Français à l'endroit du Québec. Je viens de passer les cinq derniers mois à Paris. Les sentiments profonds des officiels français à l'endroit du Québec sont encore ceux que je viens de décrire. Mais s'il y a un doute, une interrogation, ils portent sur les choix des Québécois eux-mêmes.
Valse-hésitation
Cela n'explique sans doute pas le retard du premier ministre François Fillon à recevoir le chef de l'opposition, Mario Dumont. Mais cela explique bien des hésitations à exprimer ouvertement un intérêt français, une sympathie trop manifeste. Les Français s'alignent sur nos choix, ils observent notre scène politique avec la distance due à un autre peuple. Comment les Québécois se dépatouillent entre deux scènes politiques dont l'articulation les dessert visiblement, comment ils se reconnaissent dans des politiques provinciales qui ne leur rendent pas justice, comment ils sont indécis dans la formulation des politiques qui ne relèvent que d'eux (langue et histoire, par exemple), combien ils ignorent leur potentiel d'originalité en Amérique du Nord, comment ils tardent à faire leur choix: toutes ces tergiversations brouillent le regard que la France porte à notre endroit.
Ainsi, la délégation générale du Québec en France est devenue le reflet de l'involution du Québec lui-même qui s'est manifestée dans les derniers choix électoraux des Québécois. Non pas qu'il ne s'y passe plus rien. Mais c'est surtout l'esprit qui a changé. Le délégué général du Québec, Wilfrid-Guy Licari, qui a été ambassadeur du Canada, s'est pénétré quotidiennement au cours de sa carrière de la réalité canadienne et, tout comme pour Jean Charest, les gains du Québec sont aussi des gains de ce «bel ensemble qu'est le Canada».
Il en va de même, quoi qu'il en dise, de la stratégie autonomiste de Mario Dumont. C'est ainsi qu'était présent la semaine dernière, dans les locaux de la délégation, l'ambassadeur du Canada, Marc Lortie, dont la présence a été soulignée avec satisfaction par le chef de l'opposition lors de sa conférence sur l'avenir économique du Québec. Mario Dumont a tenu à réaffirmer à quelques reprises, dans son discours, la place du Québec au sein du Canada.
Scène politique canadienne
C'est sans doute la même logique qui a conduit la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, à mettre fin à ce mode de coopération avec la France et à fermer les locaux du Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise, boulevard Raspail, par une décision unilatérale, sans tenir compte de l'avis des partenaires français, sans mesurer les acquis des dix dernières années et sans rendre publics les multiples impacts d'une telle décision.
Il faut s'attendre à un maquillage médiatique de cet état de fait d'ici peu. On peut observer tous ces signes, éprouver un malaise après tant d'années d'indépendance et d'affranchissement symbolique, il demeure que ceux qui gouvernent le Québec actuellement sont des acteurs volontaires de la scène politique canadienne. Ce sont les Québécois qui l'ont voulu ainsi. Pour affirmer une véritable identité politique, tout reste à faire. Les Français n'ont pas tort de se demander si et comment on y parviendra.
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Anne Legaré, Professeure associée au département de science politique de l'UQAM
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