Le Canada n'est pas le paradis des riches. Et le Québec encore moins. On s'en doutait bien. Mais on ne s'imaginait peut-être pas à quel point nos riches ne sont pas si riches que ça. En fait, au Canada, on ne commence à être riche, c'est-à-dire à faire partie du groupe des 5% des citoyens qui sont au haut de l'échelle, que quand on gagne 89 000$. Ce n'est pourtant pas le pactole.
Ce chiffre est tiré d'une très intéressante étude réalisée par des chercheurs de Statistique Canada, dont faisait état plus tôt cette semaine mon collègue Rudy Le Cours. Une étude inusitée, parce que, comme le notent ses auteurs, peu de gens s'intéressent aux citoyens les plus fortunés. «On observe dans notre société un intérêt qui ne se dément pas pour la prévalence de la pauvreté, que l'on mesure normalement à l'aune du faible niveau de revenu. Or l'opulence ne suscite pas généralement le même intérêt.»
Et ce n'est pas souhaitable. Parce qu'il est difficile de parler sérieusement de répartition des revenus en oubliant un des deux côtés de l'équation. Et parce que la compréhension de l'économie ne peut pas se faire en ne s'intéressant qu'aux manifestations d'échec, comme le chômage et la pauvreté. Il faut aussi pouvoir mesurer les expressions du succès.
Encore faut-il s'entendre sur une définition de la richesse. Plutôt que des seuils arbitraires, comme 100 000$, l'étude préfère des seuils relatifs: les 5% de la population au haut de l'échelle. L'analyse tient compte aussi du 1% supérieur, qu'on pourrait appeler les très riches, et du 0,1%, les très très riches.
Le premier choc, c'est de voir à quel point ces seuils diffèrent entre le Canada et les États-Unis. Au Canada, on fait partie du club des 5% quand notre revenu atteint 89 000$. Aux États-Unis, c'est un revenu presque banal, que touche environ 15% de la population. Pour être dans les «happy few», il faut deux fois plus, 165 000$. Et les écarts sont plus grands quand les revenus augmentent. Pour faire partie du 1% supérieur, il faut 182 000$ au Canada et 393 000$ aux USA.
La récente hausse de notre devise n'y changera rien, parce que ces revenus sont mesurés en dollars canadiens, en tenant compte de la parité du pouvoir d'achat, pour éviter les distorsions dues aux taux de change.
Et si les comparaisons de richesse sont défavorables au Canada, on ne sera pas étonné, qu'au Canada, elles soient défavorables au Québec. La province ne compte que 17% de ces hauts revenus, quand elle compte pour 23% de la population. Et Montréal est au 9e rang pour l'importance de sa population plus riche, loin derrière Toronto, Calgary et Vancouver.
La proportion plus élevée de riches est un reflet du succès économique, mais aussi de facteurs culturels, comme la valorisation de l'entrepreneurship, du succès et de la réussite personnelle, ou encore un attachement moins grand aux valeurs d'égalité.
Est-ce bon, est-ce mauvais? À mon avis, la présence de citoyens riches dans une société est une bonne chose, parce qu'ils consomment, investissent, donnent, et paient des impôts. À condition que l'enrichissement des uns ne repose pas sur l'appauvrissement des autres.
Rien ne permet d'indiquer que c'est le cas. Les données de l'étude montrent que le gros des Canadiens ne se sont pas enrichis entre 1982 et 2004, et que leurs revenus, après inflation, sont restés stables.
Sauf pour les 10% supérieurs. Et dans leur cas, plus ils étaient riches, plus ils se sont enrichis. Le seuil des 5% est passé de 80 000$ à 89 000$, et celui du 1% de 142 000$ à 181 000$.
Il y a donc un accroissement des inégalités, sur papier. Mais il y a deux sortes d'inégalités. Quand l'écart de revenus s'élargit parce que les pauvres sont plus pauvres, c'est une chose. Mais la situation est différente quand certains s'enrichissent sans que la situation des autres ne se détériore. D'autant plus que cet enrichissement a eu des effets collatéraux positifs. En 1982, les 5% plus riches payaient 21% des impôts. En 2004, ils en payaient 36%, grâce à la progressivité de notre régime fiscal.
Mais la vraie question est la suivante. Si on fait en sorte que les riches soient moins riches, ou qu'il y ait moins de riches, est-ce que cet argent dont ils sont privés pourrait profiter aux autres? La réponse est non. Si on décourage la richesse, comme l'a fait le Québec, par sa fiscalité ou ses politiques de rémunération, cette richesse ne sera tout simplement pas créée et elle ne profitera à personne.
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