Il y a de ces coïncidences qui sont tellement suspectes qu’on en vient vite à conclure qu’il s’agit de tout sauf d’une coïncidence.
Ainsi, aujourd’hui, Alain Laforêt de l’agence de presse QMI-Quebecor ressort une étude de l’Institut économique de Montréal, l’officine de propagande de Power Corp, vieille de deux ans qui concluait qu’Hydro-Québec était mal gérée, que le nombre d’employés avait presque doublé en 40 ans, atteignait les 23 000 en 2009, et sous-entend implicitement que l’entreprise serait mieux gérée si elle était privatisée.
Pourtant, il n’y a rien de surprenant à ce que le nombre d’employés ait doublé au cours d’une si longue période. Le nombre de barrages a plus que doublé, passant de 270 à 571, et la sécurité, qui ne constituait pas une préoccupation majeure en 1970, représente un fardeau infiniment plus lourd aujourd’hui, pour ne s’en tenir qu’à ces deux facteurs.
Alors pourquoi ressortir aujourd’hui cette étude vieille de deux ans ? Tout simplement parce qu’elle contribue à alimenter un climat de méfiance à l’endroit de l’État et de ses appareils, de même que l’idée que l’État québécois est virtuellement en faillite et devrait se départir de ce dinosaure qu’est devenue Hydro-Québec.
Vous noterez que cet article sort dans la foulée de la nomination de Lucien Bouchard, grand Lucide devant l’éternel, à la tête de l’Association pétrolière et gazière du Québec, qui s’apprête à faire la démonstration aux Québécois que le seul moyen de financer les missions de l’État est de concéder nos richesses naturelles pour une bouchée de pain.
Pensez-y bien, l’industrie des gaz de schistes a négocié avec le Gouvernement du Québec des droits d’exploration à 0,10 $ l’hectare. En Colombie-Britannique, les mêmes droits ont été négociés à une moyenne de 4 000 $ l’hectare, soit 40 000 fois plus. Dans toute autre province que le Québec, une telle situation serait jugée scandaleuse, et une enquête policière serait immédiatement déclenchée pour déterminer si des commissions secrètes n’auraient pas été versées par l’industrie à des élus, à leur personnel ou à des fonctionnaires pour qu’on lui consente un régime aussi avantageux.
Au Québec, on nomme un Lucien Bouchard pour venir couvrir tout ça du grand manteau de son prestige. Car il ne faudrait tout de même pas s’imaginer que, découvrant le pot-aux-roses, il va se retourner contre ceux qui le paient et leur dire « Hé les p’tits amis, vous êtes en train de fourrer les Québécois ! ». Non, Lucien Bouchard est là pour couvrir ce qui est foncièrement une saloperie, et s’assurer que les Québécois trouvent ça bon et disent merci. Et vive Lucien Bouchard !...

Ce qui nous ramène au cas d’Hydro-Québec. En effet, on sait que le fleuron de nos sociétés d’état, ce navire amiral de l’économie québécoise comme on la surnommait du temps de la révolution tranquille, excite bien des convoitises, et notamment celles du groupe de Paul Desmarais. Ces convoitises n’ont de sens que si les coûts d’acquisition d’Hydro-Québec demeurent à sa portée. Pour que cela demeure le cas, il ne faut surtout pas que l’eau soit tarifée. En effet, à l’heure actuelle, le gouvernement du Québec n’a pas développé de façon significative le régime de redevances pour l’utilisation et le rejet de l’eau qui devait être mis en place à partir de 2003 selon les termes de la politique annoncée en 2002 (Axe 4, point 9).
[->34633]
[Hydro-Québec named 2010 Utility of the Year->34633] - Montreal Gazette January 14, 2011
En effet, s’il fallait que toutes les utilisations industrielles de l’eau soient tarifées, le turbinage le serait aussi, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Pour que la privatisation d’Hydro-Québec demeure rentable pour les acquéreurs, il faut que la profitabilité soit très élevée, ce qui ne serait possible que si l’utilisation de l’eau à des fins de turbinage demeurait non tarifée.
Notons en passant que l’introduction d’une redevance sur l’eau constituerait probablement le seul motif pour lequel les Québécois accepteraient de payer leur électricité plus chère, surtout si cette redevance devait s’étendre à toutes les autres applications industrielles. Les Québécois sont tous conscients, à un degré ou à un autre, de la valeur de cette ressource extraordinaire qu’est l’eau.
Il y a dans le régime d’exploitation de nos richesses naturelles à l’heure actuelle d’importants gisements de revenus sur lesquels le secteur privé cherche à faire main basse. Le beurre ne lui suffit pas, il veut aussi l’argent du beurre.
On comprend la convoitise et l’empressement des entreprises, mais on comprend beaucoup moins bien pourquoi le gouvernement du Québec ne définit pas dans les meilleurs délais une politique des richesses naturelles qui profiterait d’abord à la collectivité québécoise toute entière avant de profiter à des intérêts privés. Il ne s’agit pas d’exclure les seconds. Il s’agit seulement de s’assurer qu’ils ne dépossèdent pas les premiers, et il existe des modèles dont le Québec pourrait s’inspirer. Je pense notamment au cas de la Norvège qui a su très habilement utiliser les revenus de son pétrole de la mer du Nord pour développer son profil industriel et assurer la prospérité de sa population.
Dans un article intitulé « Un carcan et des œillères qui nous empêchent de voir clair », j’écrivais en mars denier ceci :
« Il est bien certain que le message de certains « Lucides » de notre connaissance perdrait de sa pertinence - si tant est qu’il en eût jamais - si les Québécois savaient à quel point le Québec regorge de richesses. Duplessis l’avait compris, Daniel Johnson père l’avait compris, Lesage et Lévesque l’avaient compris, Bourassa l’avait compris, et il faut lui rendre hommage, il en tirait une grande fierté. Curieusement, c’est une notion qui s’est perdue dans les vingt dernières années. Bouchard s’est présenté chez Standard & Poor’s en mendiant. Pas étonnant qu’il se soit senti humilié. Quant à Charest, pas un jour ne passe sans qu’il ne ratatine le Québec et les Québécois. Pour les ramener à sa hauteur, peut-être ? C’est le plus provincial des premiers ministres que le Québec n’ait jamais eus. Dans tous les sens du terme. »
« Lors du prochain référendum, les Québécois n’auront pas à choisir entre la richesse d’un côté (le fédéralisme) et la misère de l’autre (l’indépendance). Ils auront à choisir entre se faire manger la laine sur le dos par le fédéral et les exploiteurs qui le tiennent en vie au mépris de leur langue, de leur culture, de leur identité, de leurs valeurs et de leurs intérêts, ou choisir d’exploiter pour eux-mêmes leur immense richesse, en mettant en valeur leur langue et leur culture, dans le respect de leur identité et de leurs valeurs. »
« Le choix ne saurait être plus simple et la réponse plus évidente. »
Un an plus tard ou presque, ce propos n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire. Et c’est là qu’on comprend l’empressement de certains à vouloir s’emparer de cette richesse afin de s’assurer à jamais de soumission des Québécois, et surtout empêcher qu’ils aient les moyens d’affirmer pleinement leur identité distincte.
Voilà ce que cache la course pour faire main basse sur nos richesses naturelles, et voilà pourquoi nous devons nous mobiliser comme jamais pour empêcher qu’on nous dépossède de « notre butin ». Car non seulement veut-on nous le voler, on veut aussi nous voler notre identité par la même occasion.