Par BERNARD-HENRI LEVY écrivain, directeur de la revue La Règle du jeu
Cela fait des jours - depuis le 15 août précisément, date de lancement de notre pétition - que nous cherchions à entrer en contact avec Sajjad, le fils de Sakineh Mohammadi Ashtiani. Lui seul pouvait nous donner des nouvelles précises de sa mère. Lui seul pouvait répondre à la question que l’on se pose en pareille circonstance et qui est celle des effets réels d’une mobilisation comme celle engagée avec Libération, Elle, la Règle du jeu et des journaux étrangers. Nul mieux que lui, enfin, ne pouvait s’exprimer sur la terrible accusation dont tout est parti, celle de complicité dans le meurtre de son propre père.
D’abord où êtes-vous, là, à cet instant ?
A Tabriz, la ville où ma mère est emprisonnée. Je suis dans la rue. Et je vous appelle d’un téléphone portable.
Vous pensez que nous pouvons parler tranquillement ?
Je crois, oui. Je change très souvent de numéro afin de tenter d’échapper aux écoutes téléphoniques. Essayons. Nous verrons bien.
Comment sont les autorités vis-à-vis de vous ? Subissez-vous des pressions ? Des tentatives d’intimidation ?
Oui, bien sûr. J’ai reçu deux appels des services des renseignements. Deux convocations, en fait. Mais j’ai refusé d’y aller. Pour l’instant, je n’ai pas été arrêté.
Nous ne savons rien de vous, cher Sajjad. Qui êtes-vous ? Que faites-vous ?
J’ai 22 ans. Je suis l’aîné des enfants de Sakineh. Je travaille de 6 h du matin à 11 heures du soir en tant que contrôleur des billets dans les autobus de la ville. Pour le reste... Toutes mes pensées, toute ma volonté, ne sont tendues que vers un seul but : sauver ma mère.
Justement. Où en est-on ? Comment, aujourd'hui, voyez-vous les choses ?
Je suis passé par des moments de désespoir. J’ai écrit aux autorités. Souvent. Mais elles m’ont répondu par un silence total. Depuis quelques jours, avec la mobilisation que vous avez lancée, je reprends un peu espoir.
Votre maman, depuis sa cellule, est-elle informée de cette vague mondiale de solidarité et d’amitié ?
Oui. On le lui a dit lors des rares visites auxquelles elle avait droit. Elle en a été heureuse. Et elle vous a remercié.
Vous parlez au passé. Pourquoi ? De quand date votre dernière visite ?
Juste avant ses soi disant « aveux » télévisés. Jusque là, on la voyait une fois par semaine, tous les jeudis. Depuis rien. Ni ma sœur et moi. Ni les avocats. Ce matin encore, puisque c’est jeudi, je me suis rendu à la prison. Mais le gardien m’a dit : « Madame Mohammadi Ashtiani est interdite de tout contact par décision du pouvoir ».
Que pouvez-vous nous dire de ses conditions de détention ?
Elles sont très dures. Elle subit des interrogatoires incessants de la part des renseignements iraniens. On lui demande, par exemple, comment cela se fait que son portrait est affiché partout dans le monde et qui, selon elle, a lancé cette mobilisation internationale.
Dans quel état psychologique est-elle ?
Elle prend de nombreux médicaments. Des antidépresseurs. Et elle prie.
Est-elle dans une cellule individuelle ou avec d’autres femmes ?
Toutes les femmes condamnées de la ville de Tabriz sont dans le même quartier de la prison. Ce sont des petites cellules avec, parfois, quinze ou vingt femmes entassées. Mais il est possible que, depuis ce passage à la télévision, ils l’aient mise en cellule individuelle. Je vous le répète : je ne sais plus rien, je n’ai plus aucune nouvelle.
Ce passage à la télévision a beaucoup impressionné, ici. Déjà, était-ce vraiment elle ?
Oui, bien sûr, c’était elle. Mais...
Mais ?
Mais elle a été violentée au préalable. C’est Houtan Kian, l’avocat, qui l’a su de la bouche de ses codétenues. Les autorités avaient besoin de ces confessions afin de pouvoir rouvrir le dossier du meurtre de mon père.
Les autorités, elles, affirment, que le dossier n’a jamais été vraiment clos.
C’est faux. Ils affirment cela pour pouvoir la tuer plus facilement. D’ailleurs, le dossier vient d’être, comme par hasard, égaré.
Que voulez-vous dire ?
Avant-hier, alors que je me rendais au tribunal pour en obtenir une copie, on m’a dit qu’on ne l’avait plus. On m’a demandé d’aller au rez de chaussée où, là non plus, on n’a pas pu le trouver. J’en ai parlé à l’avocat Houtan Kian qui a fait ses propres recherches et qui m’a dit qu’il ne se trouvait pas non plus à Oskou, ville de province d’où mes parents sont originaires. Tout cela est mauvais. Il pourrait s’agir d’un plan de la République islamique pour modifier le dossier et y ajouter éléments à charge justifiant l’exécution.
Pour la deuxième affaire, donc. Celle, non de l’adultère, mais du meurtre...
C’est cela. D’autant qu’il y a encore deux choses. Une semaine avant la perte du dossier, le domicile de Houtan Kian a été saccagé et, lors de cette intrusion, son ordinateur portable ainsi que la mallette dans laquelle se trouvait le résumé du dossier ont été dérobés. Et hier encore, mercredi, les services de Renseignement ont à nouveau envahi son domicile et ont embarqué un descriptif du dossier du meurtre de mon père, le dernier qui était en notre possession. C’est Houtan Kian lui même qui vient, à l’instant, de me l’indiquer par SMS.
Hoiutan Kian, est-ce vous qui l’avez choisi ou a-t-il été commis d’office ?
Commis d’office. Mais je le vois. Je lui parle au téléphone. Je sais par exemple qu’il vient de remettre un dossier de 35 pages au Conseil Suprême du pays. Lui, comme notre ancien avocat, Mostafaei, celui qui a dû s’exiler à l’étranger, ont fait un bon travail.
Vous êtes au courant des propos de Monsieur Mostafaei que cite la presse allemande cette semaine et qui semblent laisser planer une équivoque quant à une possible complicité de votre mère dans le meurtre de votre père ?
Oui, bien sûr. Mais Mostafaei n’a pas eu accès au dossier du meurtre de mon père. Donc son avis n’a aucune valeur, ses déclarations ne sont pas à prendre en compte.
Alors pourquoi les aurait-il faites ?
A cause des pressions exercées par le gouvernement iranien sur sa famille. C’est un bon avocat.
Permettez une question plus directe. Vous êtes, après tout, le fils de l’un (votre père, assassiné) et de l’autre (votre mère, accusée de complicité dans cet assassinat). En votre âme et conscience, êtes-vous certain que l’accusation soit infondée ?
En mon âme et conscience, oui. Mille fois oui. C’est un pur mensonge. Doublé d’une incroyable injustice. Ma mère, qui n’a rien fait, rien, risque la lapidation. Alors que le vrai meurtrier, Taheri, est libre...
Parce que vous lui avez pardonné.
Oui. Il est le père d’une petite fille de trois ans qui a beaucoup pleuré devant nous. Nous n’avons pas voulu, ma sœur et moi, être la cause de son exécution.
Est-il vrai que vous étiez là quand votre mère a subi les 99 coups de fouet ?
C’est tout à fait vrai. Cela s’est produit à Oskou, dans la province de Tabriz, dans une chambre du tribunal. J’ai été ravagé par les sentiments. J’ai ressenti beaucoup de haine et j’ai beaucoup pleuré. Je n’avais que 16 ans.
Revenons à la campagne de mobilisation. Pensez-vous qu’elle puisse fléchir les autorités ?
Je ne sais pas. Mais nous n’avons que vous, en tout cas. Nous n’avons personne, à part vous, pour nous tenir la main. Là, par exemple, j’e sais que l’avocat Houtan Kian a écrit une lettre aux autorités pour demander un débat avec un responsable, n’importe lequel. S’il a une réponse, ce sera grâce à vous.
Vous n’êtes donc pas d’accord avec ceux qui disent que cette campagne irrite les autorités et peut être contre productive ?
Bien sûr que non. Il est vrai que l’Iran est fâché. Mais il faut bien que l’Iran écoute notre peine. Les autorités iraniennes n’ont répondu à aucune de nos lettres. Si notre voix a une chance d’être entendue, ce sera, je vous le répète, grâce à vous.
Que pouvons-nous faire de plus ?
Il faut mettre deux fois plus de pressions sur la République islamique.
Oui, mais comment ?
En vous adressant, par exemple, au Brésil et à la Turquie qui ont des liens privilégiés avec la république islamique.
Vous êtes au courant de la déclaration du Président de la République française disant que votre mère est sous la responsabilité de la France ?
Bien sûr. C’est extraordinaire. Mais il faut continuer. Car, sinon, si vous lâchez la pression, ma mère sera exécutée.
Il y a des grands avocats français et internationaux, qui sont prêts à venir en renfort de Monsieur Kian...
Si ces avocats venaient en Iran, ils ne serviraient à rien. Mina Ahadi qui déploie, comme vous, de grands efforts pour sauver ma mère a demandé à l’ONU de fournir des avocats. Mais l’Iran a refusé catégoriquement. Ahmadinejad sait que si ces avocats venaient en Iran le visage de juges et du pays en prendrait un coup. C’est le juge de la branche numéro 6 qui a confirmé la peine de lapidation, sans raison, sans preuve et donc de manière illégale. La République islamique a peur que, si le dossier arrivait entre les mains de l’étranger, il soit ridiculisé.
Une autre question directe, pardonnez-moi. Votre mère peut-elle encore, malgré cette émotion planétaire, être effectivement lapidée ?
Naturellement.
Les autorités iraniennes ont tout de même suspendu l’exécution de la sentence.
Suspendu ne veut pas dire annulé.
Est-il exact qu’un responsable de la prison est venu, samedi soir, lui annoncer que la fin était proche et qu’il était temps de penser à ses dernières volontés ?
Oui, c’est exact. Il lui a dit que son exécution était prévue pour le lendemain matin, dimanche, à 6 heures. C’est Houtan Kian qui a obtenu cette information grâce aux codétenus de Sakineh. Il est l’avocat de toutes les codétenues condamnées à la lapidation. Et c’est comme ça qu’il a les informations.
Donc, à l’heure où nous parlons, tout est possible, tout est à craindre ?
Oui. Vous avez, d’un côté, les gens qui ne veulent en aucun cas perdre la face et qui comptent lapider ma mère. Et vous avez, de l’autre, des gens comme Monsieur Nobkaht, l’adjoint du pouvoir judiciaire dans la région du Tabriz, qui veut que Monsieur Imani, le juge qui a prononcé la sentence, soit tiré d’affaire et qui, pour cela, a demandé à Téhéran le changement de la peine de lapidation en pendaison. Mais est-ce que c’est tellement mieux ?
Non, bien sûr.
Je vous en prie, ne lâchez pas. C’est vous, encore une fois, qui tenez nos mains. Si vous n’étiez pas là, ma mère serait déjà morte.
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