Au Canada et au Québec, la plupart des citoyens se targuent de vivre en démocratie, se permettant même de faire la leçon, sur diverses tribunes publiques, à d’autres régimes qu’ils considèrent comme relativement autoritaires. Ces mêmes citoyens se réjouissent de pouvoir s’informer par le truchement de médias qu’ils perçoivent comme pleinement libres et transparents. Même les souverainistes entretiennent une telle vision chimérique de la réalité. Un bon exemple est que Gilles Duceppe, lors de son dernier passage à l’émission Tout le monde en parle, vantait les médias canadiens et québécois dont le fonctionnement serait, selon lui, éminemment démocratique. Tous ces Québécois ne pourraient jamais imaginer que derrière des portes closes, Radio-Canada a scellé une alliance, en 2001, avec le très fédéraliste empire de Paul Desmarais, démontrant ainsi que la démocratie que certains croient voir n’est en fait qu’illusion. Voyage donc au cœur de la culture du secret radio-canadienne et fédéraliste…
En 2001, de façon à faire le plus efficacement possible face à la concentration de la presse qui frappe durement le Québec, La Presse, ou « la putain de la rue Saint-Jacques » (dixit Olivar Asselin),cherchait un moyen de mieux combattre son principal adversaire, le groupe de presse Quebecor. Celui-ci jouissait d’un avantage jugé indu de par le fait qu’il possède des journaux et la télévision TVA, un contexte de convergence extrêmement efficace. Guy Crevier, président et éditeur de La Presse, cherchait alors le moyen de mettre lui aussi la main sur une télévision. Passer par le CRTC pour obtenir un permis? Trop hasardeux, et trop compliqué. Plus avantageux était de s’unir à Radio-Canada, un média d’État contrôlé par les amis des libéraux fédéraux que Paul Desmarais, propriétaire de La Presse, avait contribué à mener au pouvoir. C’est ainsi qu’une première entente de principe fut signée en janvier 2001 et un contrat en bonne et due forme le fut en août 2001.
À l’époque, Radio-Canada et La Presse croyaient être à l’abri des curieux, et pour cause! Radio-Canada n’était alors pas soumise à la loi d’accès à l’information, problème auquel remédia inconsciemment le premier ministre Stephen Harper à l’automne 2007. En voulant donner l’impression que le régime fédéral ne serait pas aussi corrompu qu’il ne le fut sous le règne des libéraux de Jean Chrétien et Paul Martin, le conservateur décida de soumettre Radio-Canada à la loi d’accès à l’information, ouvrant la porte à diverses enquêtes.
"LE QUÉBÉCOIS" SAUTE DANS LA MÊLÉE
Apprenant cette dernière nouvelle, « Le Québécois » fit parvenir à Meg Angevine, la toute nouvelle responsable de l’accès à l’information à Radio-Canada, une demande pour obtenir une copie de l’entente secrète ayant uni Radio-Canada et La Presse en 2001. Nous étions alors le 2 septembre 2007. Ce fut le début d’une lutte épique menée par un journal indépendantiste afin de découvrir la nature véritable de l’alliance unissant une société d’État et un empire fédéraliste.
La première réaction de Radio-Canada a été de tenter de nous faire croire que l’entente en question avait été perdue. Bien sûr, nous n’avons jamais cru pareille explication. Il est bien évidemment inconcevable qu’un contrat aussi important que celui-là et établissant un partenariat entre deux joueurs majeurs du monde des médias puisse avoir été ainsi perdu. Radio-Canada poussa quand même le bouchon un peu plus loin. Il nous fut alors dit que notre dossier serait fermé à moins que nous acceptions de payer 350$ afin de financer des recherches pour retrouver ladite entente. Nous acceptâmes de payer, désireux de découvrir la vérité.
Quelques semaines plus tard (mars 2008), une subalterne de Meg Angevine confirma ce que nous savions déjà. C’est-à-dire que l’entente en question ne fut jamais perdue (à quoi ont servi nos 350$ alors?). La personne informa « Le Québécois » que c’était alors les avocats de Gesca qui avaient notre demande en mains, et qu’ils étaient loin d’être chauds à l’idée de rendre public un tel document. C’étaient eux, d’une certaine façon, qui devaient décider de nous remettre ou non l’entente en question. Ce qui est assez particulier. Car cela démontre, dans ce cas-ci en tout cas, que le privé peut décider de ce qu’une société d’État peut rendre public ou non…
En avril 2008, je fus invité à l’émission radio-canadienne de Christiane Charette afin de parler de mon nouvel essai. Je profitai de l’occasion pour dire aux auditeurs que Radio-Canada avait signé une entente secrète avec La Presse en 2001 et que je tentais désespérément d’en obtenir une copie. Cela semble avoir exercé une certaine pression sur Radio-Canada, car seulement quelques jours plus tard, je recevais un premier document officiel concernant cette triste affaire. Après huit mois de lutte, j’obtenais enfin quelques réponses à mes questions.
LE CONTENU DE LA FAMEUSE ENTENTE
Il faut tout d’abord dire que les documents que Radio-Canada a remis au « Québécois » ne correspondent pas complètement à la demande que nous avions formulée en septembre 2007. Nous avions alors demandé une copie du contrat et nous n’avons reçu qu’une copie de l’entente de principe signée par Guy Crevier et Sylvain Lafrance, vice-président de la Radio française et des nouveaux médias de Radio-Canada en janvier 2001. Radio-Canada dissimule donc toujours des documents dans ce dossier, ce qui est conforme à la culture du secret et de la manipulation telle qu’elle se vit dans les rangs fédéralistes. Mais ces cachotteries se comprennent mieux lorsque l’on lit l’entente de principe en question. En effet, la clause 19 stipule que :
"Les parties (Radio-Canada et La Presse, NDLR) s’engagent à ne pas dévoiler le contenu de cette entente de principe et de toute entente spécifique susceptible d’être conclues entre elles. De plus, les données, l’information, les documents et le matériel que reçoit ou dont prend connaissance une partie pendant la durée des présentes et qui sont de nature confidentielle ou qui concernent l’activité privée, financière ou autre, de l’autre partie sont considérés comme rigoureusement confidentiels par la partie qui les reçoit et ses employés et ne sont communiqués à aucune personne, entreprise ou société pendant la durée de l’entente et après sa terminaison".
C’est ce qui s’appelle exiger le silence à l’égard de manigances fédéralistes, c’est le moins que l’on puisse dire!
Autre surprise : l’entente est rétroactive. Le premier document a été signé par Radio-Canada et La Presse le 18 janvier 2001 et le contrat, lui, en août 2001, mais la clause 4 confirme que l’entente existait officieusement depuis au moins le 1er novembre 2000 : « Radio-Canada et La Presse ne fixent aucune durée précise à cette entente qui s’applique entre elles depuis le 1er novembre 2000 et pour une durée illimitée ». Rappelons qu’au même moment où cette entente entrait en vigueur, sans aucune balise –que des accords verbaux semblerait-il– le gouvernement Chrétien déclenchait les élections fédérales, la troisième campagne à laquelle participa le Bloc Québécois. Est-ce là le fruit du hasard? Il est permis d’en douter!
Par ailleurs, on apprend à la lecture de cette entente de principe qu’elle ne concerne que le volet francophone de Radio-Canada. Une entente similaire ne semble pas unir de journaux canadiens-anglais à CBC. Comme si la concentration de la presse n’affectait pas également le Canada anglais. Serait-il donc possible que cette entente réponde également de principes idéologiques? Tout porte à le croire, et ce, même s’il est possible de lire dans ladite entente et au point 2 un passage concernant les lignes éditoriales des deux larrons :
"Il est convenu que la présente entente n’aura aucune incidence sur la liberté éditoriale de chaque média qui demeurera entièrement maître et responsable des contenus et des positions éditoriales diffusées sur une plate-forme commune".
Clause complètement inutile s’il en est une, et ce, parce qu’il est de notoriété publique que Radio-Canada et La Presse sont toutes deux profondément fédéralistes. Du côté de La Presse, cette position idéologique remonte à la fin des années 1970 : « La Presse croit dans un Québec fort à l’intérieur de la Confédération canadienne qui a toujours su satisfaire les aspirations légitimes des Canadiens français concernant leur langue et leur culture » (Dave Greber, Rising to Power. Paul Desmarais et Power Corporation, Toronto, Methuen, 1987, p. 177). Et on sait que le mandat confié à Radio-Canada avant 1991 était clairement de « défendre l’unité canadienne ». Les libéraux de Pierre Elliott Trudeau comptaient même l’utiliser afin de mâter le mouvement souverainiste. En1991, le mandat de la SRC a subi un changement cosmétique. Il est depuis question de « promouvoir l’identité canadienne », tout simplement. C’est moins clair qu’auparavant, certes, mais l’objectif demeure le même. L’alliance conclue par la SRC avec les ultras du fédéralisme canadien en 2001 le prouve d’ailleurs amplement.
Mais revenons-y justement à cette entente de principe de 2001. Celle-ci, malgré son imprécision, confirme clairement qu’il s’agit d’une alliance tous azimuts entre les deux entités. Tout d’abord, il est dit que Radio-Canada et La Presse collaborent en matière de promotion croisée. Précisément, cela veut dire que ce n’est pas un hasard si les artisans de La Presse se font constamment entendre sur les ondes de Radio-Canada (étrangement, l’inverse est beaucoup moins vrai!). Vincent Marissal et André Pratte qui n’ont de cesse de diffuser la « bonne parole » sur les ondes publiques pourront toujours le faire en toute impunité, car l’entente stipule très clairement qu’ils ont la permission des plus hautes instances radio-canadiennes et de La Presse de le faire. C’est ce qui est dit à la clause 6 :
"Radio-Canada et La Presse s’entendent pour mettre en œuvre une pratique de promotion croisée générant des échanges de visibilité entre la Télévision française de Radio-Canada, la Radio française de Radio-Canada, le journal La Presse et les sites Internet francophones de chaque média. Les modalités précises de ce type de promotion croisée feront l’objet d’ententes spécifiques entre les parties".
Depuis 2001, des ententes spécifiques auraient donc en plus été signées. Une autre preuve que d’autres contrats unissant l’empire fédéraliste de Paul Desmarais et Radio-Canada existent et sont toujours dissimulées par on ne sait qui, mais l’évidence est qu’il s’agit d’une personne adepte de la censure qui défend énergiquement le système de propagande fédéraliste.
La collaboration de Radio-Canada avec La Presse a également donné naissance à la formation de comités sur lesquels siègent des représentants des deux médias. Ces comités veillent, entre autres, à la bonne gestion des stratégies de promotion croisée et aux meilleures façons de les promouvoir; il est ici question de publicité purement et simplement. C’est ce qui est dit à la clause 8.
Qui paie pour cette structure qui a été érigée entre les bureaux de Radio-Canada et ceux de La Presse? Est-ce un partage 50/50 entre La Presse et Radio-Canada? Pour le savoir, il nous faudra consulter le contrat et pas seulement l’entente de principe. C’est pourquoi nous poursuivrons nos démarches.
Mais l’entente de principe va quand même beaucoup plus loin que cela. En fait, Radio-Canada et La Presse ont accepté de s’unir en 2001 en mettant tout ce qui les concerne sur la table. L’entente, qui est toujours en vigueur en 2008, démontre que les formes de collaboration entre ces deux acteurs impliquent également le contenu qu’ils produisent. C’est ce qui est clairement dit à la clause 11 :
"Les parties conviennent que la présente entente de collaboration ne se limite pas aux secteurs de la promotion croisée et de l’Internet et pourra donner lieu à des partenariats dans d’autres domaines d’activités (sic) tels la production de contenus, la création et la mise en marché de nouveaux produits médiatiques, et, l’organisation d’événements culturels ou sociaux".
À la lumière des informations contenues dans cette entente de principe que « Le Québécois » a obtenue via la loi d’accès à l’information, il est clair que Radio-Canada, une société d’État qui a toujours subi maintes pressions politiques par le truchement entre autres de son conseil d’administration dont la formation incombe au gouvernement canadien travaille main dans la main avec le principal acteur du groupe de presse ultra fédéraliste Gesca. Cette alliance qui date de 2000-2001 et que les fédéralistes ont tout fait pour garder secrète (et ils dissimulent toujours des documents, rappelons-le) démontre bien qu’ils sont prêts à tout pour enfoncer l’unité canadienne dans le fond de la gorge des Québécois. Il est scandaleux que l’argent des citoyens québécois serve à financer ainsi une telle opération de propagande. Viendra un jour où il faudra que les indépendantistes se réveillent et acceptent de regarder la réalité en face. Des commandites aux ententes secrètes de Radio-Canada, la preuve est faite que le régime fédéral est prêt à toutes les bassesses pour empêcher le Québec français de prendre son envol. Face à leurs tactiques de propagande, il nous faudra nous outiller, il nous faudra libérer la parole indépendantiste. Là, et seulement là, on pourra espérer réaliser vraiment l’indépendance du Québec.
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