La déléguée nationale du syndicat Unité SGP Police FO Linda Kebbab n’a pas sa langue dans sa poche. Cette jeune femme éprise d’ordre et de justice sociale aborde sans détours les guet-apens antipoliciers, les émeutes urbaines ainsi que les mesures annoncées par la place Beauvau pour apaiser les forces de l’ordre. Entretien (1/2)
Daoud Boughezala. Le 25 octobre, des affrontements urbains ont opposé la police et des jeunes du Val Fourré (Mantes-la-Jolie). Si les syndicats policiers dénoncent un guet-apens, certains témoins démentent leur version des faits, expliquant qu’un de leurs amis y a perdu un œil. Que s’est-il exactement passé ?
Linda Kebbab : D’abord, le mot « affrontement » me gêne car il sous-entend que la police a des comptes à régler avec les jeunes. Cela laisse croire que la police et les jeunes s’affrontent et que cela ne concerne pas le reste de la population alors que les forces de l’ordre sont là pour assurer la sécurité de tous.
Reprenons les faits. Le 25 octobre, une voiture a été incendiée au Val Fourré peu avant 22h. Mes collègues de la BAC se sont alors rendus sur place avant les pompiers, se sont assurés qu’il n’y avait pas de propagation du feu et d’extrême urgence. Ils ont remarqué que la lumière urbaine avait été éteinte. L’enquête dira si c’était une panne ou si c’était prémédité. La BAC a eu pour consigne de rebrousser chemin car le danger était écarté. Nous avons l’habitude que ce genre de situation serve de guet-apens. D’ailleurs, les policiers se sont retrouvés à trois contre quarante jeunes qui les ont empêchés de partir en les caillassant (projectiles, pierres, mortiers…). Mes collègues auraient pu se faire tuer. Ils ont donc appelé des renforts qui ont heureusement fini par arriver car les assaillants ont été rejoints par une centaine de personnes. On ne peut pas croire que ce n’était pas prémédité…
Deux jeunes ont pourtant nié cette version à visage découvert sur BFM…
Ces lâches n’assument même pas ce guet-apens, c’est scandaleux ! Mais nombre de vidéos publiées sur les réseaux sociaux, notamment sur Snapchat, les trahissent. Sur l’une d’elles, on entend « Tuez-les, tuez-les ! » Les policiers se sont bel et bien faits caillasser. Le pantalon d’un de mes collègues a même pris feu.
Y a-t-il vraiment une recrudescence des guet-apens policiers en ce moment en banlieue ?
Pas spécialement, même si, à la fin de l’année, c’est un peu « la fête ». A Mantes-La-Jolie, cela faisait quelques jours que les bandes s’affrontaient. Des policiers avaient déjà été attaqués dans des villes à côté. La presse a eu connaissance de cette affaire à cause des vidéos publiées sur Snapchat. Très vite, notre syndicat a taché de médiatiser l’affaire. Mais ce genre d’événements survient très régulièrement.
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Craignez-vous de nouvelles émeutes type 2005 ?
Oui et non. En 2005, les émeutes ont éclaté dans un contexte bien particulier, notamment après un accident entre une voiture de police et un scooter. Aujourd’hui, cela pourrait éventuellement arriver. L’incendie de l’école la semaine dernière à Béziers n’a été précédé par aucun événement en rapport avec la police. Les délinquants trouvent des prétextes pour commettre des violences urbaines. La mort de leurs copains, ils s’en fichent. La seule chose qui les intéresse, c’est de pouvoir brûler. On ne ramène pourtant aucun mort en brûlant ! Et que dire des enquêtes qui prouvent qu’il y a eu une erreur de la personne décédée ? Si on prend l’exemple de Villiers-le-Bel, on se retrouve avec un jeune conduisant une moto volée qui refuse de s’arrêter et qui monte sur le trottoir. Il rate sa manœuvre et se tue. Dans la nuit de jeudi à vendredi derniers, en Île-de-France, il y a eu des dizaines de voitures brûlées, des collègues caillassés et des commissariats attaqués, notamment celui de la Courneuve. Non seulement rien ne justifie de s’en prendre à un commissariat, mais ces attaques n’ont été précédées d’aucun événement particulier.
Dans ces banlieues, des policiers se suicident-ils à force d’être menacés par des voyous ?
Non. Le suicide arrive après des semaines et des mois de souffrance. Quand on est menacé de mort, notre administration nous laisse un peu pour compte, sans réelle prise en charge. Il y a une procédure dans ces cas-là mais c’est la justice qui condamne ou non la personne qui nous menace. Pour autant, une menace ne suffit pas à entraîner un suicide. C’est l’ensemble des mauvaises conditions de travail internes et des difficultés qui acculent certains policiers accablés par des problèmes professionnels et personnels.
Pour encourager les policiers, professeurs ou médecins à s’installer dans le département difficile qu’est la Seine-Saint-Denis, l’Etat prévoit d’offrir 10 000 euros au bout de cinq ans sur passés place. Cette mesure va-t-elle dans le bon sens ?
Non. Cela n’a aucun intérêt de donner dix mille euros à un jeune diplômé qui partira au bout de cinq ans. En Seine-Saint-Denis, les jeunes ne manquent pas. Par contre, il manque des personnes expérimentées qui sont une véritable plus-value. Une fois leur prime récupérée, qui empêchera les gens de partir ? Ce qui importe, c’est le profil des personnes qu’on veut retenir.
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Afin de donner satisfaction aux policiers, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a également annoncé le paiement de 3,5 millions d’heures supplémentaires d’ici au 31 décembre. Vous en félicitez-vous ?
Non, car ce n’est pas comme ça que cela devait se faire. Le taux horaire est très bas et obsolète, n’ayant jamais été revisité. Les heures supplémentaires sont payées 11 euros net de l’heure : ce chiffre alerte ! On avait demandé à ce que les collègues qui le souhaitent puissent utiliser ces heures non pour être payés mais pour passer plus de temps chez eux, et ce n’est à priori pas possible. Le pire, c’est que le gouvernement a instauré ce cadre-là sans concertation. Une note nous a été communiquée sur la façon dont ces heures allaient être payées et dans quel délai, mais sans aucune concertation avec nous. En réalité, il ne s’agit pas d’heures supplémentaires mais de dépassements de vacation. La direction générale de la police nationale a pris cette initiative conforme aux autres politiques qui s’appliquent partout : casse des acquis sociaux et réformes à l’aveugle sans prise en compte de la pénibilité des métiers.
A ce propos, soutenez-vous les autres mouvements sociaux (SNCF, hôpital…) dans la fonction publique ?
Bien sûr, dès lors que ces mouvements ont pour mission d’améliorer les conditions de travail. Dans les années 1930, les luttes sociales avaient pour objectif d’obtenir plus. Aujourd’hui, nous nous battons simplement pour conserver nos acquis sociaux.
Retrouvez la seconde partie de cet entretien demain matin sur Causeur.fr …