Lettre à Rima Elkouri (La Presse)

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L’odieuse couverture par La Presse du débat sur la Charte mérite ces tirs à boulets rouges

Bonjour madame Elkouri.
Permettez-moi de réagir à votre Chronique du 2-3 février dernier intitulée « Les beaux malaises ».
Dans le dernier paragraphe, vous écrivez « Qu’on soit pro-Charte, anti-Charte ou s’en fout-la-Charte, on doit s’entendre au moins sur une chose : le débat doit se faire dans le respect. » Je suis d’accord avec vous sur ce point. D’ailleurs, qui avouerait ne pas l’être? Mais, dites-moi madame, pour que le respect s’installe, ne faut-il pas qu’il aille dans les deux sens?
Sur ce point, qu’en est-il de votre journal? Manque-t-il de respect à l’endroit des nombreux Québécois qui appuient la Charte?
Je vous rappelle que le projet gouvernemental sur la laïcité fait l’objet d’un débat public depuis le 21 août dernier. Or, depuis cette date, force est de constater que votre journal mène une croisade contre la Charte de la laïcité. Tous les aspects de votre journal ont été mobilisés à cette fin. Si ce n’est pas un complot, comme vous le dites, comment expliquez-vous les éditoriaux à répétition contre la charte, le traitement de la nouvelle qui est largement défavorable à la Charte, l’accent mis sur des sujets défavorables à la Charte et l’omission de ceux qui lui sont favorables, la mise en page qui systématiquement donne la meilleure place aux textes défavorables, le choix des collaborateurs et des lettres de lecteurs qui sont largement contre la Charte, le choix des photos qui stigmatise la Charte ou suscite une confusion défavorable à la Charte, le choix des titres qui traitent la Charte de tous les noms, et la contribution de plusieurs chroniqueurs (Lysiane Gagnon, Yves Boisvert, Vincent Marissal, Michèle Ouimet, Patrice Lagacé et vous-même) qui s’activent contre la Charte.
À mon sens, cette façon de faire pour le moins unidirectionnelle va à l’encontre du code de déontologie des médias québécois qui proclame notamment que « les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements . . . [que] les choix rédactionnels doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice . . . [et que] les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public . . . »
Voyons un peu quelques faits.
Entre le 21 août et le 18 septembre, La Presse a publié 133 articles sur la laïcité. De ce nombre, 92 étaient défavorables au projet gouvernemental, 16 étaient en faveur du projet, et 25 adoptaient une position équilibrée ou neutre. Est-ce là une politique éditoriale équilibrée et respectueuse de la vérité? Pour moi, c’est plutôt un matraquage. Après le 18 septembre, j’ai cessé de compter; mais la croisade anti-Charte de votre journal ne s’est pas apaisée.
Dans son acharnement contre la Charte, la Presse a publié des textes d’une virulence rare où se bousculaient des termes comme ‘grenade sur Montréal’, ‘Mohammad est mort’, ‘un mauvais projet’, ‘j’ai honte’, intolérance et exclusion’, ‘n’attisons pas les feux de la haine’, ‘une méfiance infantilisée’, ‘tyrannie’, ‘islamophobie et récupération’, etc. L’abbé Raymond Gravel clama que le projet gouvernemental serait « digne d’une dictature ou d’un gouvernement totalitaire ». Rien de moins. Et André Pratte couronna ses éditoriaux de titres à la limite de l’injure : « La tyrannie de la majorité » et « La charte de la honte ».
Est-ce là un débat respectueux comme vous le souhaitez?
La Presse accorde beaucoup d’importance aux propos du maire de Calgary qui lance « une charte qui ‘viole’ les droits de la personne » (gros titre). Un viol? Vraiment? N’est-ce pas du délire?
Le 7 septembre dernier, Yves Boisvert signait une chronique intitulée « On n’est pas venu pour repartir ». À mon avis, ce texte était nettement biaisé contre la Charte, et le lendemain, je lui ai envoyé une mise au point. Bien sûr, celle-ci ne fut pas publiée. Ce refus soulève, madame, une question importante : on peut comprendre le chroniqueur excédé qui jette à la poubelle un message injurieux provenant d’un triste crétin, mais que penser du même journaliste qui rejette avec la même désinvolture un commentaire sensé? En ce cas, ai-je raison de penser que le sens de l’injure vient de s’inverser? [i]
La Presse présente des ‘Débats’ sur la laïcité. Par définition, un débat met en opposition des positions contradictoires. Or, dans les Débats de La Presse, les protagonistes choisis par le journal sont tous du même avis, c’est-à-dire, tous contre le projet gouvernemental. Quel merveilleux concours de circonstances, n’est-ce pas!
Une bonne façon de manipuler l’opinion publique réside dans la mise en page et le choix des photos. Or, tout lecteur le moindrement averti réalise que la mise en page de la page Débats (op-ed) de votre journal a été conçue pour donner une ‘mauvaise image’ du projet gouvernemental et, à l’inverse, une ‘bonne image’ à ses détracteurs. En effet, nous savons que l’article en haut de page a plus d’impact que celui en bas de page. Que l’article agrémenté d’une photo a plus d’impact que celui qui n’a que du texte. Et que les photos elles-mêmes transmettent un message. Pour illustrer ce point, j’ai analysé huit pages :
1.Celle du 6 septembre 2013 contient 3 articles, dont 1 est ‘contre’, 1, ‘pour’ et 1 sur un autre sujet; en haut de page, la photo et l’article ‘contre’.
2.Celle du 7 septembre contient 3 articles, dont 2 sont ‘contre’ et 1 sur un autre sujet; en haut de page, la photo et l’article ‘contre’.
3.Celle du 10 septembre contient 3 articles et les trois sont ‘contre’; deux articles sont illustrés de photos, bien sûr, ‘contre’.
4.Celle du 11 septembre contient 4 articles, tous ‘contre’; la photo montre madame Marois et monsieur Drainville sous le titre « Un mauvais projet » ! ? !
5.Celle du 12 septembre contient 3 articles, dont 2 sont ‘contre’ et 1 qui apporte un argumentaire équilibré; en haut de page, la photo accompagne l’article ‘contre’.
6.Celle du 14 septembre contient 3 articles, tous ‘contre’.
7.Celle du 16 septembre contient 3 articles, tous ‘contre’.
8.Celle du 17 septembre contient 3 articles, tous ‘contre’.

Que retenir de cette petite analyse? Ceci :
Ensemble, ces huit pages d’opinion contiennent 26 articles, dont 22 sont ‘contre’, 1 est ‘pour’, 1 est équilibré et 2 autres traitent d’un autre sujet. Le haut de page est toujours occupé par un article ‘contre’; et celui-ci est illustré. Le seul article ‘pour’ était en bas de page et il n’était pas illustré.
En tout, à part les vignettes et la photo de Marois-Drainville, on dénombre neuf photos, à savoir :
Quatre photos représentent des gens qui portent le hijab ou le turban sur la rue : ces photos sont de la désinformation parce que le projet gouvernemental concerne exclusivement le service public; laisser entendre par ces images que le gouvernement veut restreindre le port de signes religieux sur la rue est malhonnête.
Une photo montre les terroristes tchéchènes de Boston et une autre montre une émeute en France : associer la laïcité au Québec au terrorisme ou aux désordres sociaux relève aussi de la plus abjecte forfaiture.
Les deux autres photos (deux infirmières dont l’une est voilée et une enseignante voilée d’un CPE) sont pertinentes mais tendancieuses : pourquoi ne pas montrer une infirmière et une enseignante qui seraient à la fois musulmanes et non voilées? Est-ce encore un concours de circonstances?
Madame, est-ce là votre conception ‘d’un choix rédactionnel fait dans un esprit d’équité et de justice’, comme le veut votre code de déontologie? Est-ce là une attitude respectueuse?
Autre exemple, à mon avis, fort révélateur. La page Débats du 17 septembre dernier contient trois articles : le premier est de Lysiane Gagnon qui se prononce – encore! – contre le projet gouvernemental; le deuxième est d’un lecteur, Zabi Naim, Québécois d’origine afghane, qui s’exprime en faveur du projet; et le troisième provient d’une lectrice qui porte le hijab, Elsy Fneiche, et qui se prononce contre le projet. Sous du nom de madame Fneiche, on découvre la petite note suivante : « Psychoéducatrice, l’auteure collaborera régulièrement à notre section Débats ». Pour moi, cette remarque de la direction de votre journal démontre que la page ‘Débats’ fait l’objet d’une manipulation. D’une part, je n’ai vu aucun engagement en ce sens auprès de lecteurs qui sont en faveur de la Charte; d’autre part, les ‘opinions spontanées’ des lecteurs me semblent téléguidées par la direction de La Presse.
Ai-je raison de penser que la marche du Rassemblement pour la laïcité et des Janette, le 26 octobre dernier, fut peu couverte par La Presse. Madame, où est votre chronique sur les Janette, ou sur le MLQ, ou sur les 60 000 signatures du Rassemblement pour la laïcité? Où est votre papier sur les nombreux artistes qui appuient la Charte? Je ne les vois pas. Mais j’en vois un intitulé ‘Les chauffards de la laïcité’.
À la Commission parlementaire, des associations de citoyens comme le Rassemblement pour la laïcité, le Mouvement laïque québécois, la Coalition Laïcité Québec, l’Association humaniste du Québec, le PDF Québec et le Regroupement de 150 citoyens de la Ville de Québec pour la laïcité ont présenté un mémoire appuyant la Charte : La Presse en a peu parlé. Au même moment furent dévoilés les mémoires du Barreau et de la Commission des droits de la personne qui se prononçaient contre le projet de loi 60 : ceux-là, La Presse en a beaucoup parlé. À n’en pas douter, ce choix éditorial est encore un heureux concours de circonstances!
Que conclure de ce consternant constat? À mon avis ceci : si vous voulez que le débat sur la laïcité se déroule dans le respect des uns et des autres, ne faudrait-il pas que votre journal – incluant ses chroniqueurs – en donne l’exemple?
Cordialement vôtre,
Michel Lincourt PhD
Membre du Comité directeur du Rassemblement pour la laïcité

1. Il serait bien que La Presse publie ma lettre, en haut de la page Op-ed, avec une photo qui appuie mon propos. Qu’en dites-vous?



[i] [i] Voici le message que j’envoyais à Yves Boisvert :
« Bonjour monsieur Boisvert,
Permettez-moi de réagir à votre chronique à propos de cette dame musulmane, ‘pieuse’, voilée, et enseignante dans un CPE. (votre chronique dans La Presse du 7 septembre 2013).
C’est une belle histoire, que vous nous racontez. Mais une histoire plutôt banale. En temps normal, elle aurait passée inaperçue. Mais dans le contexte de l’actuel débat sur la laïcité, elle soulève quelques petites questions.
D’abord, cette histoire nous amène à la conclusion que l’éventuelle loi québécoise sur la laïcité serait discriminatoire et qu’elle porterait préjudice à cette dame. À elle personnellement. Au point qu’elle menace de quitter le Québec.
D’abord, rien ne prouve que la laïcité soit discriminatoire. Pour le moins, disons qu’il est prématuré de laisser entendre une telle conclusion. En plus, rien ne dit non plus que cette dame en subisse personnellement quelque préjudice que ce soit. Admettons que la loi sur la laïcité, une fois votée démocratiquement, interdise aux Agents de l’État d’afficher un signe religieux ostensible. On peut admettre du même souffle que cette loi ne sera pas rétroactive et que cette dame, en vertu de son ‘droit acquis’, pourra continuer à porter son hijab.
Ensuite, le choix de cette histoire est tendancieux et laisse planer un doute, monsieur Boisvert, sur votre intégrité intellectuelle. Parce qu’en choisissant cette histoire et en passant sous silence d’autres histoires sur le même sujet, vous ne dites qu’une fraction de la vérité. Ce procédé n’est rien de moins qu’une façon de mentir. Pour rattraper le coup, peut-être vous faudrait-il nous raconter trois autres histoires parallèles :
- l’histoire d’une famille musulmane originaire du Maghreb dont la mère, elle aussi œuvrant dans le domaine de l’éducation, ne porte pas le voile et milite pour la laïcité (je la connais, cette famille; elle est aussi exemplaire, aussi respectable et aussi bien intégrée que celle de Rafik);
- l’histoire d’une famille musulmane dont la gamine de dix ans est forcée de porter le hijab (cette famille, je ne la connais pas personnellement mais je sais d’expérience qu’elle existe);
- et l’histoire de cette autre famille musulmane dont le père a assassiné sa fille parce qu’elle avait refusé de porter le voile (famille Parvez, de Mississauga, par exemple; et si les familles criminelles sont rares, alors choisissez une famille dont l’épouse, les filles sont forcées de porter le voile, ces familles-là sont beaucoup plus nombreuses, vous en trouverez une sans difficulté).
Avec ces quatre histoires, nous aurons un portait plus réaliste, plus vrai aussi, du phénomène du voile. Allez-vous nous raconter ces trois autres histoires?
Autre remarque : lorsqu’un « Québécois de souche » lance à une Musulmane voilée une menace du genre : « Personne ne t’a forcée de venir ici. C’est à toi de t’adapter à notre culture. Et si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à retourner dans ton pays d’origine. », on asperge ce malappris de qualificatifs peu élogieux comme raciste, xénophobe ou islamophobe. Mais lorsque la Musulmane voilée lance la même menace en sens inverse, que fait-on? On l’encense. Bizarre, vous ne pensez-pas? N’y a-t-il que les Québécois de souche qui soient racistes? N’y a-t-il pas quelques immigrants musulmans aussi? Je ne dis pas que cette dame soit raciste ou xénophobe, je dis simplement que sa menace m’apparaît un peu suspecte.
Parlant de menace, laissez-moi vous raconter une petite histoire vraie.
C’était il y a deux ou trois ans, lors d’une réunion d’une association féministe québécoise. On siège tout l’avant-midi. À midi, on suspend l’assemblée pour déjeuner. Au hasard des mouvements, cinq dames se retrouvent autour d’une même table. L’une d’elles est une militante islamiste bien connue; elle porte le hijab; les quatre autres sont des ‘Québécoises de souche’. Sans cesser d’être cordiale, la conversation dérive vers le fameux voile. Tout à coup, la militante islamiste lance: « C’est ça! Dites-le donc que vous voulez que je retourne dans « mon » pays. » Surprises, les autres protestent. « Mais non, personne ne dit une telle chose. Allez, dites-le que vous voulez que je retourne dans mon pays. Mais non, je te dis. Dites-le . . . Mais non . . . » Plusieurs fois, la militante islamiste répète la même question, sur un ton de plus en plus véhément. Excédée, l’une des autres femmes finit par répondre : « Si tu y tiens tant, oui, pourquoi pas, tu pourrais retourner dans ‘ton’ pays . . .
On rappelle les dames à la plénière de l’après-midi. À l’ouverture de séance, la militante islamiste se précipite au micro, réclame la parole et, la voix tremblotante et l’œil humide, déclare : « J’aimerais clamer mon indignation, on me torture, sachez qu’on vient de me menacer de m’expulser du Canada si je refusais d’enlever mon voile . . . »
Qu’en sites-vous, monsieur Boisvert, n’y a-t-il pas dans la menace de votre Djamila une petite dose de stratégie? Une petite provocation, quoi!
Cordialement,
Michel Lincourt PhD »


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