Au terme de ses 100 premiers jours, on regarde aller le gouvernement Legault comme des parents surveillent les premiers pas de leur progéniture : tantôt encouragés, tantôt craintifs. De façon générale, la démarche n’est pas trop hésitante. Un peu plus de trois mois après les élections générales, c’est presque un sans-faute qu’ont accompli le premier ministre, son entourage et ses ministres. La transition récente a été plus facile que celle vécue sous le Parti québécois en 2012 ou celle du Parti libéral en 2014. Pas mal donc, pour un parti largement constitué de néophytes.
Ainsi, la lune de miel pourrait durer, même si certains dossiers risquent de s’envenimer rapidement : Autochtones, environnement et régions, notamment. Avec son ton plutôt bon enfant, son pragmatisme et son franc-parler, le premier ministre semble bien en phase avec les électeurs. Il n’a certes pas l’éloquence de ses mentors, au premier chef celle de Lucien Bouchard. Il s’exprime parfois laborieusement et sa vision n’est pas parfaitement articulée. Mais, heureusement, il n’a pas non plus l’arrogance qu’on percevait chez Philippe Couillard. « On doit éviter de regarder de haut, avec mépris, les inquiétudes légitimes de la population », disait-il lors de son discours d’ouverture. Après des années à se faire sermonner par les libéraux, c’est avec soulagement que les Québécois vivent cette alternance.
Le gouvernement de la CAQ n’a pas pour objectif de sortir de la classe canadienne comme le souhaite le PQ, de s’y fondre comme le PLQ ou d’y renverser les pupitres comme QS, mais il veut être le premier de la classe, ce qu’il nous promet pour un de ces jours lointains, lorsque le Québec ne recevra plus de péréquation. Un élève modèle donc, mais qui n’hésite pas à rabrouer le fédéral dans le dossier des trains de VIA ou celui de la santé et des ultimatums de la ministre Petitpas Taylor. Ça ne règle rien sur le fond, mais ça défoule !
C’est ailleurs que ça craint. Notamment à l’égard de certaines de ses promesses électorales, faites parfois à la hâte, dans le seul but de se distinguer des autres partis. Qu’importe si le nombre de 40 000 immigrants à accueillir sort de nulle part : on a dit 40 000 et on y tient. C’est qu’il y a, pour François Legault, quelque chose comme la promesse suprême : la promesse de tenir promesse. Dans le but d’en finir avec le cynisme, la désillusion si bien installée dans le paysage politique depuis 2003. Alors, à ce seuil tu tiendras comme aux Saints Évangiles. Puis, tu iras de l’avant avec le cannabis à 21 ans et le 3e lien à Québec. Amen, sous le crucifix de l’Assemblée nationale, qui n’est d’ailleurs pas près de bouger.
Sur la scène internationale, l’entrée de François Legault s’est faite sans heurts, à la faveur d’un sommet de la Francophonie auquel il a décidé, avec raison, de participer en tant que premier ministre désigné en octobre dernier. Pour boucler la boucle, à la suite du départ de Michaëlle Jean et de l’élection de la Rwandaise Louise Mushikiwabo comme secrétaire générale, il lui revient de s’assurer que le Québec obtienne le poste d’administrateur, celui de numéro deux de l’Organisation. Bientôt, il se rendra à Davos discuter avec les maîtres du monde et ensuite, normalement, en France. À l’heure des gilets jaunes, il sera en bonne position pour expliquer au président Macron qu’il vaut mieux, pour conserver la confiance de ses concitoyens, adopter des politiques publiques destinées à l’ensemble de la population plutôt que de donner le sentiment de gouverner au seul profit des plus fortunés.
Une mise en garde s’impose cependant : que la promesse du premier ministre de donner aux relations internationales du Québec un « accent qui va être beaucoup plus commercial pour promouvoir nos exportations » ne se fasse pas au détriment des autres missions. Ce qui signifie assumer, à l’image de tous ses prédécesseurs depuis la Révolution tranquille, la doctrine Gérin-Lajoie concernant le prolongement externe de nos compétences internes. Le Québec a un rôle à jouer sur la scène mondiale, particulièrement en Francophonie et en France, étant donné son statut qui, dans l’un et l’autre cas, dépasse celui d’une simple province. Cette responsabilité inclut certes l’économie, mais aussi l’éducation, l’environnement, la culture, la langue française et, oui, la diplomatie. C’est avec toutes ces dimensions en tête que le premier ministre devrait désigner le prochain délégué général ou la prochaine déléguée générale du Québec dans la Ville Lumière. Certainement pas en ne pensant, par exemple, qu’aux investisseurs de l’émission Dans l’oeil du dragon.