La démocratie sera la leur parce qu'elle sera produite par eux et pour eux.

Les peuples arabes se libèrent, chacun à sa manière

"Crise dans le monde arabe" - Maghreb

''Va quérir la dignité en enfer s'il le faut ! Et refuse l'humiliation, même au paradis'' Al-Mutanabbi. (grand poète arabe du 10me siècle)
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La dignité humaine s'est exprimée haut et fort dans la rue arabe et aucun régime politique désormais, ne pourra faire abstraction de sa force mobilisatrice. Toute décision politique qui ne tiendra pas compte d'elle, sera vouée à l'échec. La dignité des peuples arabes, fera partie des calculs géostratégiques des grandes puissances, en Europe et en Amérique. Il faut désormais composer avec elle.
Cette soif de dignité a déjà été portée par des grands leaders arabes et africains avant et aux lendemains des indépendances. Des forces obscures de la tyrannie se sont employées à éliminer ces amoureux de la démocratie et de la justice. Avec la collaboration active des CIA et des Mossad de ce monde, on a tué dans l'œuf tout élan démocratique. Aujourd'hui les peuples révoltés de Tunisie et d'Égypte honorent les mémoires des Farhat Hached, des Ben barka, des Lumumba, des Sankara et des milliers de résistants morts pour la liberté, pour la dignité. Mohamed Bouazizi, simple vendeurs de fruits et légumes, s'ajoutera à la liste des grands libérateurs.
Cependant, l'accomplissement de la dignité des peuples arabes doit-il passer nécessairement par la chute brutale de tous ces régimes ? La comparaison, de certains observateurs, des récentes révoltes avec la chute rapide du bloc communiste en 1989, illustre non seulement une ignorance de l'histoire, mais trahi ce préjugé longtemps entretenu: ''Ils sont tous pareil, les arabes..!''.
Oui, les 22 pays arabes partagent bien des choses, en langue, en culture et en religion, mais ils ne sont pas tous tout-à-fait pareils. Ne comparez pas la Tunisie avec la Jordanie. Ne comparez pas la Syrie avec l'Arabie Saoudite. Ne comparez surtout pas le Maroc avec l'Égypte. En 1952, au moment ou Nasser montrait la porte de sortie à Farouk (l'avant dernier roi d'Égypte), au Maroc, Mohammed V soutenait depuis plusieurs années l'Istiqlal, le mouvement pour l'indépendance. Ce courage et cette fidélité aux aspirations légitimes du peuple ont valu à Mohammed V d'être déporté en 1953 avec toute sa famille pour un exil de deux ans. Cette révolution portée par un Roi et son peuple, forcera la France à reconnaître au Maroc son indépendance en 1956.
Force est d'admettre que, 55 ans plus tard, cette ''Révolution d'un roi et d'un peuple'' marque encore l'inconscient collectif des marocains. Malgré les révoltes et les répressions, (celles du 23 mars 1965, celles de juin 1981 à Casablanca, celle de 1984 à Marrakech et celle de 1994 à Tétouan), malgré les détentions arbitraires des opposants, malgré les disparitions, malgré le mépris total des libertés. Malgré les très durs années de plomb qui ont occupé la majeure partie du règne de Hassan II, le 25 juillet 1999, presque trois millions de marocains étaient présents à ses funérailles pour lui rendre un dernier hommage.
Non, le peuple marocain n'est ni servile, ni naïf. Ses révoltes et ses indignations avaient fini par porter fruits. ''Notre ami le Roi'' est paru en 1990, révélant la face cachée du régime Hassan II. Le mur de Berlin venait de tomber. Le monde avait changé. Hassan II a su reconnaître à temps qu'il devait changer aussi. Dès 1990, alors que Ben Ali en Tunisie entamait ses propres années de plomb, Hassan II mettait fin aux siennes. D'abord, il a commencé par libérer tous les prisonniers politiques dont les reclus de Tazmamart et la famille Oufkir. Il a mis sur pied un Conseil consultatif des droits de l'Homme. Il a gracié les opposants politiques en exil en permettant leur retour. L'un d'eux sera nommé premier Ministre. Il a entamé une libéralisation de la presse. Il a aussi mis fin aux chansons écrites à sa gloire. Il a entrepris un dialogue avec les partis politiques. Certes, aux yeux des opposants, tout ça n'était pas assez suffisant pour réformer la monarchie, pour réduire la concentration du pouvoir et mettre fin au clientélisme et la corruption. Mais aux yeux du peuple, le père de la marche verte avait bien rempli son contrat de roi. Celui de garder intact l'unité du pays et sa stabilité.
Avec l'avènement de Mohammed VI en 1999, d'autres réformes et ouvertures ont vus le jour. Ils sont rappelés par mon confrère Abderahamane Elfouladi dans son dernier journal Maghreb-Canada Express: - L’instauration de l’instance Équité et réconciliation qui a contribué à tourner définitivement la page des années de plomb; en écoutant et en compensant matériellement les victimes des violations passées des droits de la personne. - L'Initiative nationale du développement humain pour l’insertion économique des plus démunis. - La multiplication des projets structurants (routes, autoroutes, barrages...). - L’amélioration des conditions de vie dans les campagnes et la lutte contre l’analphabétisme. - La décentralisation et la régionalisation. - L’adoption d’un nouveau code de la famille qui assure plus de droits aux femmes.
Il est surprenant d'apprendre dans un sondage commandé par le journal TelQuel en 1999, que le seul reproche que les marocains font à leur roi c'est d'être un peu trop féministe! Encore plus surprenant, les répondants ne reprochaient nullement à Mohammed VI d'être le 7me monarque le plus riche au monde! Pour eux, le roi participe au développement économique du pays!
Mohammed VI s'est déplacé 35 fois dans les prisons marocaines (souvent sans la présence des médias) pour voir à l'amélioration des conditions de vie et pour introduire ce concept nouveau pour le Maroc qu'est la réinsertion sociale des détenus. Alors que son père envoyait des tortionnaires dans certaines prisons, Mohammed VI envoie des professeurs, des éducateurs et ce malgré une mentalité marocaine qui ne reconnaît pas encore aux détenus leur droit à la réhabilitation.
Les critiques du règne de Mohammed VI diront que tout ça ce n'est que de la poudre aux yeux destiné à améliorer l'image internationale du régime. Qu'en matière de liberté d'expression, après avoir suscité de grands espoirs, au début des années 2000, certains journaux et revues ont vu leurs portes fermées. Quelques journalistes ont été arrêtés et jugés pour atteinte à la personne du Roi. Avant que ça ne devienne un scandale dans l'opinion internationale, Mohammed VI a dû les gracier. À quelques reprises, le régime de M6 a démontré qu'il a de la misère de se débarrasser de vieux réflexes. Ceci dit, contrairement à ce que certains laissent croire, le régime de Mohammed VI n'est point comparable à celui policier de Ben Ali. Ce dernier était un homme détesté par le peuple tunisien. Mohammed VI, à tort ou à raison, il jouit d'une grande popularité auprès de son peuple.
Alors qu'en Égypte le peuple réclame le départ de Moubarak en occupant la rue depuis des jours, au Maroc, les hauts-diplômés chômeurs qui manifestaient régulièrement devant le parlement à Rabat se sont retirés pour ne laisser aucune ambigüité sur leur intention. Le 28 novembre dernier, trois millions de marocains (8% de la population) sont descendu dans les rues de Casablanca pour affirmer leur attachement à la marocanité du Sahara et à l'unité territoriale. Au Maroc, unité territoriale et monarchie vont de pair.
Sur Facebook des milliers de jeunes marocains renouvellent leur allégeance à la monarchie en mettant en avant la devise nationale: Dieu, la Patrie, le Roi. Cependant, tout en affirmant être contre l'abolition de la monarchie, beaucoup de participants à ce débat, devenu national, dénoncent l'ampleur de la corruption, particulièrement celle qui enrichie les riches. Ils revendiquent plus de justice et plus de démocratie. Un appel à une "marche d'amour " en l'honneur du roi a été lancé pour le dimanche 6 février, dans les rues de Casablanca. Des milliers de marocains y ont vu un piège et ils ont répondu: ''Notre amour n'a pas besoin d'être démontré''. ''Sortir dans la rue pour crier qu'on soutient le roi, voudrait dire qu'on essai de se rassurer". Certains ont vu dans cet appel un manque de respect envers les manifestants égyptiens et tunisiens.
Si les tunisiens et les égyptiens ont choisi la rue pour rétablir leur dignité, les marocains, eux, ont opté apparemment pour une autre méthode. Celle du débat. Les manifs dans les autres pays arabes les renvoient à leur propre réalité pour faire le point sur leur rapport avec la classe dirigeante, sans peur et sans tabou. À cette dernière de savoir retenir de la sagesse des marocains une autre façon de manifester la dignité.
Comme des milliers de marocains à l'étranger, j'ai le défaut d'être impatient de voir un jour au Maroc une monarchie constitutionnelle à l'anglaise. Une monarchie ou le roi règne, mais ne gouverne plus. À la lumière des récents évènements, faut-il lire entre les mots de ces paroles prophétiques d’Hassan II, que ce jour n'est pas trop loin ? "Il viendra un jour où l'instabilité politique du Maghreb créera des révoltes populaires, j'ai reformé ma constitution pour avoir la stabilité populaire, politique, économique et sociale. Je mène ma barque pour que le Prince Héritier puisse la diriger facilement contre vents et marées. Mes sujets resteront toujours attachés à la monarchie". Quoi qu'il arrive, il y aura pour la monarchie marocaine un avant et un après 14 janvier 2011.
La démocratie a trop longtemps brillé par son absence dans le monde arabe. Mais depuis une dizaine d'années, les peuples avancent vers elle. Certains avec plus de difficultés que d'autres. Notre devoir est de respecter la marche des peuples. Chacun selon son rythme et à sa manière. La démocratie sera la leur parce qu'elle sera produite par eux et pour eux. Nul besoin d'une puissance étrangère. Nul besoin de leur faire un dessin.
Mohamed Lotfi

anonymes@gmail.com

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 février 2011

    Monsieur Desfossés, vous conviendrez que ce n'est pas dans un site tels que Vigile.net qu'une majorité de québecois, qui ont en haine la monarchie d'Angleterre et la reine, vont soutenir ou approuver une monarchie millénaire et fondatrice telle que le Maroc! Il faut etre frappé de cécité pour se rendre compte que l'article de Mohamed Lotfi a plus tendance à informer ( ce qui naturellement ne passera pas ici). Si pour vous Le maroc est maintenu en pauvreté à cause de tout celà ( comme si la pauvreté n'existait pas ailleurs) pourquoi on ne pipe jamais un mot sur les réformes entreprises au Maroc et qui vont bon train avec les revendications du peuple?...bien suspicieux tout celà!
    Pour vous destiner à plus d'ouverture et de lecture aussi variée qu,enrichie, ce lien qui vous permettra de maintenir au moins pour quelques secondes et par la laisse vos préjugés qui semblent plus émaner d'autre chose..que de la raison:
    http://www.atlasinfo.fr/Le-Maroc-un-exemple-de-transformation-volontaire-Pham_a13842.html
    Kamal B.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 février 2011

    Dès le début des soulèvements en Tunisie et en Égypte je me suis réjoui. Enfin le peuple parlait. Ensuite, je me suis posé des questions. Cela me rappelait ce qui s’était passé au Chili et la révolte du « peuple » fomentée par la CIA au service des multinationales américaines. On a assassiné Allende parce qu’il refusait, entre autre, à l’américaine ITT, (International Telephone and Telegraph) de prendre le contrôle des communications de son pays. Les USA ou plutôt l’oligarchie américaine contrôle plein de dictateurs à travers le monde. Regardez comme ils sont impliqués en Égypte, comment Hillary Clinton va tenter d’orienter le déroulement des événements. Souvenez-vous que les USA ont pendu Saddam Hussein pourtant mis en place et armé par les USA. Ce que les potentats un peu partout ne semblent pas réaliser c’est qu’ils sont des jouets de l’oligarchie américaine et qu’ils peuvent être jetés aux orties n’importe quand, au bon vouloir des USA. Les morts pour eux n'ont aucune importance, ils en ont fait 5,000,000 au ViêtNam. Pour les USA, l’Égypte est très importante car elle contrôle la sécurité d’Israël, les vrais maîtres des USA. À moins que les Frères Musulmans ne prennent le contrôle du pays, vous pouvez être certain que ce sera un pion des USA qui prendra le pouvoir, vous verrez. Pourquoi croyez-vous que les Usa ont subventionné Hosni Moubarak de plus de 1,200, 000,000$ à chaque année? Par pure bonté?
    J’espère seulement que les populations du Mahgreb ne seront pas dupes et se choisiront des personnes les représentant vraiment et non pas les multinationales américaines.
    Ivan Parent

  • Archives de Vigile Répondre

    7 février 2011

    Monsieur Lofti,
    si je vous comprends bien, en résumé, la société marocaine doit se réjouir de la dictature monarchiste éclairée et prétendument libérale qui cadenasse sa vie politique.Vous êtes un sacré farceur!
    Le Maroc est un état policier et sa pseudo démocratie une sinistre farce qui assure le maintien au pouvoir d'une plutocratie prédatrice qui vit au dépens d'un peuple maintenu dans la misère.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 février 2011

    Les Québécois sont derrière la révolution tunisienne...
    http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=dxjepUycitQ