De riches investisseurs anonymes des paradis fiscaux ont misé au moins 165 millions $ dans des producteurs de pot autorisés au Canada, a découvert notre Bureau d’enquête.
Îles Caïmans, Bahamas, Belize, Dominique, Aruba, Curaçao, Malte, Barbade, Île de Man, Îles Vierges britanniques, Îles Marshall, Îles Seychelles, Panama, Luxembourg; il ne semble pas y avoir d’endroits trop peu peuplés ou trop lointains pour résister à l’attrait du pot canadien.
En tout, 35 des 86 producteurs autorisés par Santé Canada, soit 40% d’entre eux, ont bénéficié d’un financement offshore au cours des deux dernières années, selon les documents financiers consultés.
Parmi eux, on trouve une firme de pot administrée par Alain Dubuc, chroniqueur de La Presse, et Martin Cauchon, propriétaire de journaux.
Ce genre de placements privés est réservé à des investisseurs aux poches profondes, qui doivent en général avoir un actif net d’au moins 5 millions $.
Investisseurs cachés
Aucun des producteurs de pot n’a accepté de révéler l’identité de ces mystérieux investisseurs. La plupart ont tout simplement décliné nos demandes d’entrevue.
«On ne sait pas qui se cache derrière ces investissements et ça n’élimine pas la possibilité que le crime organisé soit impliqué», reconnaît le professeur Ken Lester, président de Lester Asset Management et professeur adjoint à la Faculté de gestion de l’Université McGill.
Toutefois, selon lui, l’industrie « sait qu’elle doit être sans tache parce qu’elle est scrutée par le monde entier».
Selon Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le grand public n’a pas le droit de connaître l’identité des investisseurs installés dans des paradis fiscaux.
«Ces informations demeurent [...] confidentielles», nous a-t-il écrit. Selon M. Théberge, l’AMF possède à l’interne le nom des compagnies des paradis fiscaux qui investissent. Mais elle ne demande pas systématiquement qui sont les véritables propriétaires de ces compagnies.
Beaucoup d’Américains
Pourquoi le pot canadien suscite-t-il tant d’intérêt chez les investisseurs? Cam Battley, VP chez le producteur de pot albertain Aurora, explique que seuls des producteurs canadiens ou australiens sont inscrits en Bourse.
«Le Canada est en avance par rapport à la légalisation et nos entreprises sont bien établies, alors un investisseur qui veut participer à cette industrie qui grossit très rapidement, c’est au Canada que ça se passe.»
Son entreprise, qui possède des installations à Pointe-Claire, sur l’île de Montréal, a d’ailleurs reçu 32,5 millions $ en provenance des Îles Caïmans, un paradis fiscal notoire. Depuis quelque temps, M. Battley multiplie les présentations auprès d’investisseurs aux États-Unis et en Europe.
«Derrière ces offshores, il y a aussi beaucoup d’Américains. [...] Investir de l’argent public, comme des fonds de pension, dans le cannabis paraîtrait mal et contreviendrait à certaines restrictions éthiques aux États-Unis où le cannabis reste illégal à l’échelle fédérale», souligne Ken Lester.
Il n’est pas clair combien les investisseurs offshore devront payer au fisc canadien lors de la vente d’action ou du versement d’intérêts. Mais chose certaine, les paradis fiscaux utilisés pour investir dans le pot ont des taux d’imposition nuls ou très faibles sur les profits.
ELLE CIBLE LES PREMIÈRES NATIONS
L’entreprise ontarienne 48 North, dont Martin Cauchon et Alain Dubuc sont administrateurs, compte sur plus de 3 M$ en provenance du paradis fiscal des Îles Vierges britanniques. Mais elle a aussi la particularité de miser beaucoup sur le financement des communautés autochtones.
Au cours des derniers mois, l’entreprise a multiplié les rencontres avec les communautés autochtones pour les inviter à investir, comme le rapportait Le Devoir.
Sa présidente et chef de direction Alison Gordon a confirmé que 18% des parts de l’entreprise proviennent d’investisseurs issus de 49 communautés des Premières Nations à travers le Canada.
Pour le moment, il n’y a pas de culture de cannabis dans les communautés de leurs investisseurs, mais 48 North n’exclut pas la possibilité de le faire éventuellement.
Deux influenceurs sur le CA
L’ancien ministre libéral Martin Cauchon, qui préside le conseil d’administration de 48 North, est également président de Capitales médias. Ce groupe de presse possède les quotidiens régionaux Le Soleil, Le Nouvelliste, Le Droit, La Tribune, Le Quotidien et La Voix de l’Est.
En 2003, lorsqu’il était ministre de la Justice au fédéral, M. Cauchon avait déposé un projet de loi pour décriminaliser la marijuana, mais le gouvernement avait finalement décidé de mettre le tout sur la glace. L’ex-ministre a refusé de nous accorder une entrevue.
Le chroniqueur de La Presse Alain Dubuc siège aussi au CA de 48 North depuis 2014. «Cette implication personnelle m’interdit d’écrire ou de me prononcer en public sur les questions liées au cannabis pour éviter de me placer en situation de conflit d’intérêts», nous a-t-il écrit dans un courriel.
Or, à deux reprises en 2017, M. Dubuc a parlé de la légalisation du cannabis à la télévision de Radio-Canada sans mentionner ses intérêts. «Je trouve qu’on accorde trop d’énergie à ce débat et on a tendance à exagérer les conséquences et à s’inquiéter pour rien», avait-il déclaré en décembre lors d’une revue des dossiers importants de l’année.
ELLES ONT PROFITÉ DE FONDS OFFSHORE
ABCANN GLOBAL
- Îles Caïmans : 12,4 M$
- Guernesey : 150 000 $
AURORA CANNABIS
- Îles Caïmans : 32,5 M$
- Barbade : 202 500 $
CANNTRUST HOLDINGS
- Îles Caïmans : 2 M$
- Bahamas : 549 000 $
- Suisse : 110 000 $
- Belize : 50 000 $
- Channel Islands : 75 000 $
SUPREME CANNABIS CORPORATION
- Suisse : 100 000 $
- Belize : 100 000 $
- Bahamas : 130 000 $
- Îles Caïmans : 10,5 M$
- Guernesey : 366 000 $
- Émirats arabes unis : 25 000 $
CANNABIS WHEATON INCOME CORP
- Singapour : 10 000 $
- Îles Caïmans : 20,5 M$
- Suisse : 20 000 $
HYDROPOTHECARY
- Îles Caïmans : 15 M$
- Émirats arabes unis : 700 000 $
- Bahamas : 751 500 $
DELSHEN THERAPEUTICS (48 North)
- Îles Vierges britanniques : 3 M$
- Suisse : 200 000 $
CRONOS GROUP
- Singapour : 225 000 $
NEWSTRIKE RESOURCES
- Bahamas : 47 500 $
- Singapour : 70 000 $
- Suisse : 24 400 $
EMBLEM CANNABIS CORP
- Panama : 200 000 $
- Suisse : 188 650 $
- Bahamas : 308 550 $
- Îles Caïmans : 8,3 M$
- Dominique : 47 190 $
- Belize : 40 250 $
- Îles Vierges britanniques : 21 275 $
- Île de Man : 57 500 $
- Luxembourg : 69 000 $
GOLDEN LEAF HOLDING
- Bahamas : 308 000 $
- Îles Caïmans : 5,7 M$
INVICTUS MD
- Seychelles : 765 000 $
- Îles Caïmans : 14,13 M$
- Suisse : 27 000 $
- Luxembourg : 78 750 $
- Émirats arabes unis : 10 500 $
MARICANN GROUP
- Îles Caïmans : 9,76 M$
- Bahamas : 50 000 $
THE GREEN ORGANIC DUTCHMAN
- Singapour : 9900 $
- Hong-Kong : 47 850 $
- Barbade : 99 825 $
- Bermudes : 115 500 $
- Îles Caïmans : 553 000 $
- Monaco : 34 980 $
- Émirats arabes unis : 24 750 $
- Dominique : 123 750 $
- Luxembourg : 23 098 $
- Suisse : 50 000 $
- Curaçao : 11 500 $
- Aruba : 5750 $
- Panama : 80 500 $
- Malte : 10 000 $
- Îles Vierges britanniques : 10 000 $
- Belize : 75 000 $
- Îles Marshall : 10 000 $
HARVEST ONE CANNABIS
- Îles Caïmans : 4,37 M$
- Luxembourg : 600 000 $
- Belize : 99 750 $
- Bahamas : 225 000 $
- Hong Kong : 499 999 $
WEEDMD
- Îles Caïmans : 2,28 M$
- Bahamas : 25 000 $
DELTA 9 BIOTECH
- Belize : 22 000 $
- Îles Caïmans : 25 000 $
- Singapour : 300 000 $
DOJA CANNABIS
- Îles Caïmans : 12,5 M$
- Bahamas : 70 000 $
INDIVA LIMITED
- Îles Caïmans : 199 500 $
FV PHARMA
- Panama : 50 000 $
- Malte : 50 000 $
- Hong Kong : 2 M$
- Belize : 50 000 $
- Bahamas : 10 000 $
SUNDIAL GROWERS
- Bermudes : 540 000 $
TOTAL DE FONDS OFFSHORE : 165,2 MILLIONS $