Allons-y d’une évidence en forme d’euphémisme: depuis une dizaine d’années, le mouvement nationaliste tel qu’il s’est construit depuis la Révolution tranquille a connu de nombreuses déconvenues.
À Québec, le PQ, qui n’est jamais parvenu à se remettre de la défaite référendaire de 1995, s’est peu à peu décomposé au point de se faire remplacer le 1er octobre dernier par la CAQ comme principal parti nationaliste. Aujourd’hui, il végète et hésite à embrasser la seule option qui lui reste: un indépendantisme résolument nationaliste.
À Ottawa, le Bloc qui s’était imposé depuis la crise constitutionnelle du début des années 1990 comme le principal parti québécois a connu l’effondrement en 2011. En 2015, il est parvenu à se reconstruire minimalement, sans parvenir toutefois à reconstituer un groupe parlementaire à la Chambre des communes.
Pourtant, en 2019, il pourrait tirer son épingle du jeu.
Actuellement, la situation se présente ainsi.
Le Parti libéral de Justin Trudeau demeure en première place dans les sondages (enfin, pas de tous les sondages, pour être exact), mais il ne les domine pas. On le sent en position de faiblesse. Depuis son voyage en Inde, où il s’est ridiculisé, plus personne ne croit à l’invincibilité électorale de Justin Trudeau. Et depuis la crise entourant SNC, la grande majorité a fini par comprendre que Justin Trudeau n’était pas vraiment doué pour gouverner en situation difficile. S’il pleure avec talent et sur commande, il ne semble finalement pas fait pour les situations difficiles, quand la politique passe de la représentation symbolique à la décision. C’est une chose de montrer ses chaussettes au monde entier. C’en est une autre de mettre son poing sur la table quand il le faut.
Il y a donc un créneau anti-Trudeau à occuper au Québec.
Théoriquement, les conservateurs pourraient s’en emparer. Ils le font partiellement d’ailleurs. Mais plus que jamais, ils semblent représenter le parti historique du Canada anglais, et plus particulièrement, de l’Ouest canadien, dont les intérêts recoupent bien peu ceux du Québec. La question pétrolière incarne aujourd’hui cette tension fondamentale. Les conservateurs attirent au Québec des candidats de valeur, mais ils peinent à formuler une vision spécifiquement québécoise de l’avenir de leur parti et du Québec dans la fédération. Ont-ils quelque chose de particulier à offrir au Québec, sinon le respect de ses compétences constitutionnelles? Appelons-ça une offre politique minimaliste. On ajoutera que leur chef, Andrew Scheer, ne se distingue pas par un charisme époustouflant.
Je me contente de dire un mot des néo-démocrates au Québec. Ils renouent avec l’insignifiance politique et le gauchisme groupusculaire. Ils conserveront quelques députés, mais ne seront plus une force politique significative.
Retour au Bloc. Peut-il occuper le créneau de l’anti-trudeauisme? Il pourrait profiter du renouveau nationaliste associé à l’élection de la CAQ. Yves-François Blanchet cherche à positionner son parti ainsi, d’ailleurs, en se présentant comme le gardien de nos intérêts nationaux, sans renier, naturellement, la quête de l’indépendance. En se présentant comme le défenseur de l’identité québécoise et en se montrant intransigeant dans le refus des mauvaises idées qui veut nous imposer le Canada anglais, le Bloc pourrait occuper un espace politique assez vaste. Il parviendrait ainsi à reconstituer, sur la scène fédérale, le courant indépendantiste. La vie politique n'est pas sans paradoxes.
Surtout, plusieurs Québécois pourraient en venir à la conclusion que le vrai pouvoir se trouve moins dans leur participation à un gouvernement fédéral qui leur est fondamentalement étranger qu’en détenant la balance du pouvoir, ce que permettrait l’élection d’un contingent significatif de députés bloquistes. Si le Bloc obtient une vingtaine de députés, il pourrait devenir un acteur central aux Communes.
Il devra toutefois résister à la tentation du politiquement correct, toujours aussi forte chez les souverainistes. Le Bloc aurait tout avantage, par exemple, à prendre au sérieux la question de l’immigration, et même de l’immigration illégale en dénonçant l’inaction fédérale dans le dossier du chemin Roxham. Il ne devrait pas hésiter non plus à dénoncer le multiculturalisme canadien sans la moindre hésitation, sans se sentir obligé, pour donner des gages au système médiatique, d'embrasser cette version tiédasse du multiculturalisme qu'est l'interculturalisme.
Quoi qu'il en soit, Yves-François Blanchet joue bien ses cartes et il a remis son parti sur la carte.
Il se pourrait bien que le Bloc nous surprenne en octobre prochain.