Les mystères de la liquidité révélés

Crise mondiale — crise financière


Les Canadiens ont appris le 10 octobre 2008 que le gouvernement canadien a décidé d'acheter aux banques jusqu'à 25 milliards de dollars de prêts hypothécaires, par l'entremise de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). Alors que le gouvernement fédéral peine à trouver quelques millions de dollars supplémentaires pour aider les plus démunis, comment peut-il créer 25 milliards de dollars pour venir en aide à nos ingénieux banquiers, [décrits avec justesse par Léon Courville dans Le Devoir du 10 octobre->15490]? L'objectif du présent article est d'expliquer la mécanique de ce tour de passe-passe.
D'abord, si les «aspects fondamentaux» de nos banques sont si solides, pourquoi la Banque du Canada a-t-elle annoncé des injections de liquidités de 20 milliards, et pourquoi le gouvernement fédéral ajoute-t-il 25 milliards? Les deux opérations ont exactement le même objectif: il s'agit de délester le bilan des banques canadiennes, en enlevant de leurs bilans les actifs moins liquides, c'est-à-dire peu demandés par le public actuellement, en les remplaçant par des actifs extrêmement liquides, c'est-à-dire très demandés par le public parce qu'ils sont des actifs sûrs.
Ces actifs sûrs sont des titres émis par le gouvernement canadien, dont le risque de défaut est pratiquement nul. Ils vont remplacer dans le bilan des banques des actifs moins sûrs, comme les prêts hypothécaires, le papier commercial adossé à des actifs, des obligations municipales, etc., actifs dont le prix risque de fluctuer à la baisse pour les prochaines semaines.
Un problème pour les banques
De plus, les banques font face à un autre problème. Les prêts hypothécaires ou commerciaux de longue durée, à taux fixes, étaient financés par des dépôts à terme de longue durée, et par des titres adossés à des hypothèques. Or, ce marché est en sérieuse difficulté depuis août 2007, tandis que les dépôts à terme de plus de cinq ans ne sont pas assurés par la Société d'assurance-dépôts du Canada, ce qui incite les épargnants à se diriger vers des dépôts à plus court terme.
Ainsi, les banques, qui aiment bien financer des prêts à long terme par des engagements à long terme, ont du mal à trouver une contrepartie adéquate, à un coût raisonnable, ce qui explique que les banques doivent maintenant payer des taux d'intérêt plus élevés sur les dépôts à long terme.
Mais si ce coût s'accroît, il va finir par se répercuter sur les taux hypothécaires. Cela pourrait déclencher une spirale vicieuse. Si ces taux augmentent, davantage de foyers canadiens risquent d'être incapables de faire leurs paiements hypothécaires, étant ainsi forcés de mettre leur maison en vente. Cette offre supplémentaire de maisons sur le marché immobilier pourrait alors conduire à la baisse du prix des habitations, ce qui pourrait contraindre d'autres ménages à vendre leur maison, et ainsi de suite.
Passe-passe
La SCHL va donc acheter pour 25 milliards de dollars de prêts hypothécaires. Comment financera-t-elle cet achat? Par un prêt du gouvernement. Et où le gouvernement va-t-il se procurer l'argent? En émettant des obligations à long terme, que la Banque du Canada achètera. Mais alors, la Banque du Canada va-t-elle créer pour 25 milliards de monnaie? Pas du tout, car celle-ci va simultanément vendre aux banques pour 25 milliards de bons du Trésor, qui sont des titres gouvernementaux à court terme.
Ainsi, à la fin de ce tour de passe-passe, les banques canadiennes auront à leur bilan 25 milliards de prêts hypothécaires illiquides en moins, et 25 milliards de bons du Trésor liquides en plus, ce qui va diminuer leurs besoins en financement à long terme, et donc le coût de ce type de financement. Quant au bilan consolidé du secteur gouvernemental (SCHL et Banque du Canada comprises), il montrera 25 milliards de prêts hypothécaires en plus à son actif et 25 milliards de titres gouvernementaux en plus à son passif.
Le plan de sauvetage américain initialement prévu de 750 milliards est construit sur le même modèle. Les Américains ayant une économie 10 fois plus grande que la nôtre, cela signifie que l'ampleur du plan américain dans le contexte canadien serait d'environ 75 milliards de dollars. Le nôtre est donc trois fois plus petit.
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Marc Lavoie, Professeur titulaire au Département de science économique de l'Université d'Ottawa

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