L’attention générale s’est concentrée ces derniers jours sur la gaffe du premier ministre Couillard qui, lors d’une intervention publique en Islande, a tout simplement oublié qu’il était le premier ministre d’un État dont la langue officielle est le français, et s’est adressé à son auditoire exclusivement en anglais, une erreur que ne fait même pas le premier ministre Harper.
On a également beaucoup glosé sur l’intention exprimée par le gouvernement fédéral de baptiser du nom de Maurice Richard la nouvelle structure qui doit remplacer le Pont Champlain, et l’indifférence avec laquelle il a d’abord accueilli la nouvelle, allant même jusqu’à suggérer « Pourquoi pas ? ».
Ces erreurs sont évidemment impardonnables, et même Lysiane Gagnon, chroniqueuse au très fédéraliste et libéral quotidien La Presse, exprime toute son incrédulité dans son billet d’aujourd’hui devant tant d’insensibilité politique. J’en retiens ces deux extraits particulièrement incriminants pour Philippe Couillard :
Quel étrange personnage que Philippe Couillard! Son absence de réflexes, sur des questions sensibles, est ahurissante. La langue, l'histoire, voilà pourtant des sujets sur lesquels cet homme cultivé devrait être parfaitement à son aise.
Sa réaction initiale à l'idée que le pont Champlain serait désormais consacré à Maurice Richard a été au-dessous de tout.
Il la trouvait acceptable, cette idée stupide et démagogique, et s'en remettait entièrement au jugement d'Ottawa ! De cette première intervention sur un sujet qui a pris des milliers de Québécois aux tripes, indépendamment de leurs allégeances partisanes, suintait l'indifférence envers l'histoire de ce peuple dont il est le principal représentant.
[...] En voyage officiel en Islande, ce dernier n'a pas dit un mot de français sous prétexte qu'il voulait être compris par son auditoire anglophone et que «tout le monde sait» que le Québec est francophone.
[...] Encore ici, c'est un problème qui relève d'un manque de sensibilité politique étonnant, d'une espèce de distraction congénitale, ou peut-être de l'absence de ce qu'on appelle l'intelligence émotionnelle, une carence qui peut frapper les êtres les plus intelligents. [...]
L’attention concentrée sur ces deux bavures a cependant occulté un fait beaucoup plus grave, le motif principal des deux premiers voyages que faisait Philippe Couillard à l’étranger. Et si ces deux visites officielles n’avaient pas été si rapprochées, je crois bien que le lien entre les deux m’aurait échappé.
Six mois à peine après son élection, Philippe Couillard s’est donc rendu en Chine, à la tête d’une importante délégation de gens d’affaires, officiellement pour y faire la promotion des intérêts du Québec et du Plan Nord. Comme par « hasard », son prédécesseur Jean Charest faisait partie de cette délégation, de quoi piquer la curiosité de tout observateur attentif de la scène politique québécoise.
Le rôle joué par Jean Charest dans la promotion du Plan Nord lorsqu’il était premier ministre et l’intérêt qu’il représente pour l’Empire Desmarais sont bien connus. Dès juillet 2011, je les avais décrits ici-même sur Vigile dans un texte intitulé « L’appétit vorace de l’Oncle Paul ».
Il faut aussi savoir que Paul Desmarais père fut le président fondateur du Conseil d’affaires Canada-Chine, qu’André Desmarais en est toujours le président honoraire après l’avoir présidé pendant une dizaine d’années, que le président actuel du Conseil est Peter Kruyt, vice-président de Power Corporation, et que l’ancien ministre fédéral Martin Cauchon, un proche de la famille Desmarais, en est le vice-président.
Ajoutez à cela que le Conseil tenait son assemblée générale et son banquet annuels en Chine au moment de la visite de la délégation québécoise, qu’il y a été beaucoup question du Plan Nord à cause des intérêts de Power Corporation dans la société China Asset Management Co. Ltd et le très gros conglomérat chinois Citic Limited, deux entreprises très actives dans le secteur des mines et richesses naturelles, et vous comprendrez comment Philippe Couillard, après son prédécesseur Jean Charest, se prête à la stratégie de l’Empire Desmarais pour développer ses affaires.
Et vous le comprendrez d’autant mieux si en plus vous jetez un coup d’oeil au site du Forum Économique International des Amériques, un événement annuel créé à l’initiative de l’Empire Desmarais, largement financé par Power Corporation, doté d’un bureau des gouverneurs présidé par Paul Desmarais fils, auquel siégent entre autres Michel Audet, le sous-ministre des Relations internationales du Québec; Guy Breton, le recteur de l’Université de Montréal; Hélène Desmarais, la conjointe de Paul fils, et présidente du conseil d’administration de HEC Montréal, présidente aussi du conseil et chef de la direction du Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal (CEIM), et présidente enfin (ouf !) du conseil consultatif et d’orientation stratégique de la Conférence de Montréal, l’événement phare du Forum; Gérard Mestrallet, le président-directeur général de GDF SUEZ dans laquelle Power Corporation détient une importante participation; Michael Sabia, le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec; et Thierry Vandal, le président-directeur général d'Hydro-Québec.
Tenue en juin dernier, la dernière conférence de Montréal avait un programme établi sur mesure pour répondre aux besoins du plan stratégique de développement des affaires de Power Corporation, comme vous pourrez en juger vous-même en consultant le site.
Vous verrez ainsi comment Philippe Couillard s’est trouvé embrigadé au service des intérêts Desmarais, comment l’Empire l’a converti à sa thèse néo-libérale en y invitant John Micklethwait, le rédacteur en chef du magazine The Economist et co-auteur d’un ouvrage intitulé The Fourth Revolution dont le premier ministre lui-même nous a révélé récemment qu’il était devenu son livre de chevet et la bible de son gouvernement.
Vous verrez dans le choix des sujets, des conférences et des invités tout l’intérêt que l’Empire Desmarais porte aux enjeux énergétiques et à l’énergie sous toutes ses formes, notamment l’électricité, et plus particulièrement celle du Québec.
Enfin, vous aurez la surprise de découvrir que l’un des conférenciers invités de la dernière conférence de Montréal était nul autre que Ólafur Ragnar Grímsson, le président de la République d’Islande, le pays que Philippe Couillard visitait justement la semaine dernière, et où il s’est illustré en faisant fi de son obligation d’illustrer et promouvoir l’identité française du Québec.
Chose certaine, Paul Desmarais fils devait juger la présence du président Grimson à la Conférence de Montréal de la première importance pour le développement des affaires de l’Empire car il a pris la peine de le remercier lui-même après sa prestation, comme vous pourrez le constater de visu sur le site du Forum Économique International des Amériques. Allez vous surprendre ensuite du voyage de Couillard en Islande ! Comme dit l’autre, c’était tout arrangé avec le gars des vues.
Voilà comment le Gouvernement du Québec est systématiquement mis à contribution pour le développement des affaires de l’Empire Desmarais, et il ne se trouve pas un seul des responsables québécois identifiés ici pour dénoncer cette situation absolument scabreuse et totalement contraire aux règles les plus élémentaires de l’éthique qui exigent d’éviter tout geste de nature à créer une apparence de conflit d’intérêts, sans parler des règles sur le lobbying pour lesquelles l’Empire Desmarais affiche un mépris souverain.
Dans un régime démocratique normal, il existe des contre-pouvoirs pour empêcher que ne se développent et fleurissent des situations aussi manifestement grotesques. Parmi ceux-ci, les médias. L’ennui, c’est que les Desmarais contrôlent la plupart des grands médias directement ou indirectement, et que chez les rares qu’ils ne contrôlent pas, les journalistes sont soit plongés dans une profonde léthargie, soit tétanisés à la perspective d’encourir leurs foudres. On s’étonnera ensuite de voir notre démocratie réduite à l’état de peau de chagrin.
Une preuve ? Mes sources me confirment que se tiendra samedi à Montréal une réunion de la Commission Trilatérale , un événement tout de même peu banal et certainement d'intérêt médiatique.
Pour mémoire, la Commission Trilatérale fut
« ... créée en 1973 à l'initiative des principaux dirigeants du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations, parmi lesquels David Rockefeller, Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski. Regroupant 300 à 400 personnalités parmi les plus remarquées et influentes – hommes d’affaires, hommes politiques, décideurs, « intellectuels » – de l’Europe occidentale, de l’Amérique du Nord et de l'Asie Pacifique (États dont la plupart sont également membres de l'OCDE), son but est de promouvoir et construire une coopération politique et économique entre ces trois zones clés du monde, pôles de la Triade. À l'instar du groupe Bilderberg [dont André Desmarais fait également partie], il s'agit d'un groupe partisan de la doctrine mondialiste, auquel certains attribuent, au moins en partie, l'orchestration de la mondialisation économique. »[Mes caractères gras]
Or André Desmarais est membre du groupe nord-américain de la Commission Trilatérale depuis plusieurs années, et il en aurait atteint les échelons les plus élevés.
Selon mes informations, la réunion doit se tenir au Musée des Beaux-Arts dont les mesures de sécurité sont déjà très élevées, et l’accès de l’institution sera donc limité pour l’occasion. On m’informe même que l’organisation a retenu les services d’une escouade de chiens renifleurs pour ... détecter la présence d’engins explosifs.
Les journalistes n'ont-ils donc plus de sources d'information ? L'Empire Desmarais serait-il off-limits ? Pourquoi ? Sur ordre de qui ?
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1 commentaire
william Jung Répondre
7 décembre 2017Je ne sais pas si vous connaissez ce documentaire au Québec, mais chez nous il a fait un tabac, il explique la corruption de la classe journalistique,
Docu : Les Nouveaux Chiens de garde
https://www.crashdebug.fr/loisirss/72-cinema/14171-docu-les-nouveaux-chiens-de-garde
Amicalement,
f.