Ainsi donc, M. Macron se veut un spectateur engagé et a tenu à faire part de ses analyses à The Economist. Selon lui, l’OTAN est en état de mort cérébrale et l’Europe au bord du gouffre. La Turquie, membre de l’OTAN, intervient en Syrie contre les alliés kurdes d’autres membres de l’organisation et les États-Unis, qui depuis Obama se tournent davantage vers le Pacifique, laissent faire. Montreraient-ils encore leur solidarité pour protéger l’Europe ? Celle-ci est déchirée entre le Nord et le Sud sur la politique économique, et entre l’Est et l’Ouest sur les migrations, elle se réfère à des critères budgétaires dépassés et continue à vouloir s’élargir quand elle devrait s’approfondir. L’Europe doit être une puissance plus qu’un marché, construire une souveraineté militaire et technologique. Enfin, il faut renouer avec cette pauvre Russie : c’est l’intérêt réciproque de l’Europe et de la Russie. Bref, tous les autres se trompent….
Si on résume, il commence par dire qu’il veut comprendre le monde, et montre ensuite que, seul parmi tous les chefs d’État à l’avoir compris, il souhaiterait que les autres s’alignent. Cette condescendance, involontaire tellement elle est inséparable du personnage, l’amène à juger Poutine : celui-ci a choisi un « projet politique conservateur orthodoxe », « donc, ça ne marche pas ». Le président russe a été heureux de l’apprendre ! Compte tenu du territoire, il devait ouvrir les vannes de l’immigration… et sans doute, aussi, du communautarisme progressiste, les deux connaissant, bien sûr, une réussite exemplaire chez nous…
Cette incroyable suffisance d’un dirigeant qui tient mal la barre de son pays depuis deux ans face à celui qui redresse le sien depuis vingt ans dans un océan de difficultés dévoile le personnage. Il y a, d’abord, les « impensés » du technocrate. La souveraineté est un objectif. Un haut fonctionnaire voit à peu près ce que cela signifie, pour un État, d’être maître de ses décisions, mais l’identité, il ne connaît pas. Il parle des peuples, mais sans penser que ce qui fait le peuple, ce n’est pas son territoire mais son identité. Ce n’est pas étonnant qu’il ait du mal à comprendre les Polonais et qu’il ose proposer aux Russes de se laisser envahir pour se développer ! » Compte tenu de la grandeur du territoire, il aurait pu y avoir un levier de croissance formidable avec une politique migratoire. » Tel est le conseil qu’il donne à Vladimir Poutine ! Mais fondé sur quoi ?
Sur une vague idéologie binaire : le progressisme, c’est bien, le conservatisme, c’est mal ! « L’Europe des Lumières, l’économie de marché, les libertés des individus et le progrès des classes moyennes », avec une pincée d’humanisme pour la décoration, tel est l’idéal qui doit fédérer l’Europe ! Les deux adversaires sont renvoyés dos à dos : les régimes autoritaires et l’islam politique radical. Il considère que la première solution est insoutenable en raison des tensions que cela crée dans le peuple. Sans doute n’a-t-il pas remarqué de tensions au sein du peuple français. Mais il a perçu les signes avant-coureurs, en Hongrie, de la fragilité des pays qui tournent le dos à la démocratie libérale. Dans cet entretien, il voulait être lucide…
Quant à l’islamisme politique radical, ce n’est manifestement pas l’ennemi principal et il ne semble pas voir le rapport entre cet ennemi et la plupart des conservatismes identitaires (l’horreur à ses yeux) qui se développent, face à l’immigration des musulmans, en Europe, mais aussi en Inde, en Chine et en Russie en raison de la présence de minorités musulmanes. De même, son regard si sagace semble ignorer que les leçons ainsi distribuées en vue d’une Europe plus politique, plus souveraine et plus puissante, venant d’un pays dont les résultats ne sont guère exemplaires, ne peuvent qu’agacer et lui susciter peu d’adhésion. Il veut aussi que l’Europe soit plus démocratique, mais avec une plus grande place donnée à la majorité qualifiée des États…
L’Europe n’est pas qu’une carte dont on peut effacer les frontières construites par l’Histoire : elle est constituée de peuples qui perdent leur souveraineté si on les confond en un seul. La souveraineté est inséparable de l’identité : voilà ce que les Russes et beaucoup d’autres ont compris ! Lui, non…