Pantois, les Occidentaux continuent de regarder les événements du monde arabe comme un train qui passe à grande vitesse, et qu'on n'avait pas vu venir...
On a beaucoup relevé, ces dernières semaines, le caractère moralement honteux et à courte vue de l'appui «stratégique» de Washington et de Paris aux régimes brutaux de cette région du monde.
C'était flagrant dans le cas de la France avec la Tunisie de l'ex-président Ben Ali: un dictateur ami, qui avait l'avantage supposé de nous protéger — «nous Français, nous Occidentaux» — contre la vague islamiste.
La relation entre l'Égypte et les États-Unis reposait sur le même genre d'arrangement tacite et d'appui complaisant: ce Moubarak n'est certes pas un démocrate, mais il jouait bien, du point de vue de Washington, le rôle du «bon Arabe», stratégiquement utile, couvert de subventions, même si son régime écrase l'opposition et pratique la torture... Avec toujours la même idée: contenir la menace islamiste, qu'elle soit réelle ou imaginaire.
Cette alternative maudite — ou bien la dictature politico-militaire pro-occidentale, ou bien les barbus fanatiques — a été cassée par l'irruption du peuple dans la rue. Un peuple animé par une colère, et porté par des mots d'ordre qui n'avaient rien à voir avec la revendication religieuse et la stratégie des islamistes. Ces derniers ont même été complètement surpris de ce qui arrivait: que ce soit Ennahda en Tunisie, ou les Frères musulmans en Égypte...
Les puissances occidentales se retrouvent ainsi en porte-à-faux, face à une vague qu'ils n'avaient pas vue venir, dont au fond ils ne voulaient pas... et devant laquelle ils ne savent pas sur quel pied danser.
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Car il y a un autre aspect — corollaire du précédent — qui éclate aujourd'hui à la vue de tous, et que rendait bien ce titre en «une» du Devoir de samedi: «Washington dépassé par le peuple égyptien.»
Dépassé: tel est bien le mot qui s'impose. Si la France a eu l'air particulièrement impuissante, incompétente, larguée, devant les événements de Tunisie — moralement prise en défaut, mais aussi stratégiquement —, c'est une observation qu'on peut également appliquer, dans une bonne mesure, aux improvisations, balbutiements et contradictions de Washington face à la révolte égyptienne.
Qu'on en juge par la séquence suivante:
- Hillary Clinton, secrétaire d'État, le mardi 25 janvier: «Le gouvernement égyptien est stable.»
- Joe Biden, vice-président, le lundi 31 janvier: «Non, Hosni Moubarak ne devrait pas démissionner.»
- Barack Obama, le mardi 1er février: «La transition en Égypte doit commencer maintenant.» NOTE: depuis le week-end précédent, le mouvement avait pris de l'ampleur, et il était clair, même pour un écolier, que le régime Moubarak semblait vaciller... «Transition», ici, était un mot codé signifiant «le départ d'Hosni Moubarak».
- Robert Gibbs, porte-parole de la Maison-Blanche, interrogé le lendemain sur l'urgence de ladite «transition»: «Maintenant, ça veut dire maintenant!» Ah! les Américains se fâchent. Ils vont appuyer sur un bouton, et Moubarak sera éjecté, murmurent les gérants d'estrade...
- Frank Wisner, ancien ambassadeur, envoyé spécial des États-Unis auprès des autorités égyptiennes, le samedi 5 février à Munich: «Le rôle du président Moubarak est toujours important.» Comment? Mais tiens! Après les violences policières, place Tahrir les 3 et 4 février, le régime paraît soudain un petit peu plus solide... Puis, démenti mou du département d'État: «L'évaluation de M. Wisner ne nous engage pas.»
- Hillary Clinton, hier à Munich: «Il n'y a pas de réponse facile... Wait and see... Tout cela prend du temps, vous savez.»
Sans préjuger de la suite des événements, et tout en admettant que oui, il y a eu — et il y a encore — une CERTAINE influence américaine sur le régime égyptien... que conclure de ces déclarations? Qu'elles trahissent une diplomatie hâtive, improvisée, désemparée, à la remorque des événements et des perceptions médiatiques.
La révolte arabe? Peut-être une pièce de plus à verser au dossier «Le déclin de l'Occident»...
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
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francobrousso@hotmail.com
Les ficelles cassées de l'Occident
que conclure de ces déclarations? Qu'elles trahissent une diplomatie hâtive, improvisée, désemparée, à la remorque des événements et des perceptions médiatiques.
Géopolitique — Proche-Orient
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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