La Cour du Québec vient de freiner les ardeurs du Commissaire au lobbyisme dans une décision qui forcera sans doute l’institution à faire un examen de conscience.
Le juge Claude Leblond a acquitté l’ex-politicien David Cliche et son patron, Bernard Poulin, de sept infractions de lobbyisme illégal, a appris Le Devoir.
Selon l’analyse du juge Lebond, l’interprétation de la loi faite par le Commissaire au lobbyisme est trop restrictive.
L’avocat de MM. Cliche et Poulin, Me Louis Demers, ne cache pas sa satisfaction. « La loi sur le lobbyisme au Québec est l’une des plus contraignantes au Canada, et je dirais même inutilement contraignante. […] On a trop cherché la pureté, on est vraiment dans une société qui est beaucoup trop surveillée », dit-il.
Me Demers estime que le gouvernement Couillard devrait songer à réécrire cette loi, adoptée à la hâte par le gouvernement Landry. « On le voit à la lecture du jugement : cette loi a été mal rédigée », avance-t-il.
Un projet d’éoliennes
L’affaire remonte en 2006 et 2007. L’ancien ministre péquiste David Cliche était alors employé par le Groupe SM International (SMI), une firme de génie-conseil présidée par Bernard Poulin.
M. Cliche a fait des démarches publiques auprès des maires de Stanbridge Station, de Saint-Pierre-de-Véronne-à-Pike-River (aujourd’hui Pike River) et du canton de Bedford, dans le cadre d’un projet d’aménagement de 31 éoliennes sur des terres privées. M. Cliche ne s’est pas inscrit au registre des lobbyistes. Il a rencontré les maires une fois par mois pendant un an, pour obtenir leur appui au projet.
Les démarches « n’ont pas eu lieu en catimini », de l’aveu même du Commissaire au lobbyisme. Les citoyens ont été tenus au courant de l’évolution du dossier, dans le cadre de deux séances publiques d’information.
En 2008, le Commissaire au lobbyisme a déposé six constats d’infraction contre David Cliche et un contre son patron, Bernard Poulin. M. Cliche aurait dû s’inscrire au registre, selon le commissaire. Son patron (qui n’a pas fait de lobbying dans le dossier) aurait dû inscrire son employé.
Lors du procès, les deux hommes ont fait valoir qu’ils n’étaient pas tenus de s’inscrire au registre, en vertu de l’article 5 de la loi.
La loi n’oblige pas l’inscription au registre lorsque les représentations sont faites « dans le cadre de procédures publiques ou connues du public ».
Le juge Leblond donne raison sur toute la ligne à MM. Cliche et Poulin. « Il ne faut pas oublier que l’objet de la loi est que le public puisse savoir qui cherche à exercer une influence auprès de ces institutions », écrit-il.
Puisque les démarches ont été faites en public et qu’elles étaient connues du public, l’esprit de la loi a été respecté, tranche-t-il.
Le juge cite en exemple deux cas de figure. Si l’interprétation du commissaire est exacte, cela revient à dire qu’un conseiller municipal en campagne pourrait visiter les commerçants de son quartier… mais ceux-ci ne pourraient pas lui partager leurs opinions sur des projets de la Ville, à moins de s’inscrire au registre. Un restaurateur ne pourrait pas donner son avis sur un projet de piste cyclable à un maire de passage dans son établissement, à moins de s’inscrire au registre encore une fois.
La Charte « protège la liberté d’expression », rappelle le juge Leblond.
Le juge relève par ailleurs « une réelle ambiguïté de la loi », qui ne dit pas tout à fait la même chose dans la version anglaise et française. « La possibilité que les gens puissent se rencontrer et discuter d’un projet, ça devrait être normal », estime Me Demers.
L’avocat, qui compte des nombreux clients chez les entrepreneurs (dont Tony Accurso à une certaine époque) et des firmes de génie-conseil, invite à la prudence avant de créer « un registre des lobbyistes fort épais et complètement inutile ».
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