L'achat par Hydro-Québec d'Énergie Nouveau-Brunswick, qui produit et distribue l'électricité chez nos voisins de l'Est, est une énorme affaire. Par sa taille: une transaction de 4,75 milliards. Par son caractère inusité: la prise de contrôle d'une société d'État provinciale par celle d'une autre province. Par les remous politiques qu'elle provoquera.
Mais le plus significatif, c'est que cette transaction reflète les profonds changements qui ont ébranlé le monde énergétique. La continentalisation du marché de l'électricité et le réchauffement de la planète ont bousculé les règles du jeu. Un changement de paradigme qui a amené Hydro-Québec à développer des stratégies différentes et qui nous force, collectivement, à voir les choses autrement.
Je ne prétends pas pouvoir décoder une transaction aussi complexe. Mais on pouvait voir que les deux premiers ministres, Jean Charest et Shawn Graham, étaient tout sourire quand ils l'ont annoncée. Hydro obtient un réseau, un marché d'un tiers de million de consommateurs, et surtout, un accès additionnel au marché américain. Le Nouveau-Brunswick se débarrasse d'une société d'État en quasi-faillite, efface la moitié de sa dette, et obtient d'importants avantages tarifaires. Ça ressemble pas mal à une entente gagnant-gagnant.
Mais la logique économique ne suffit pas. Au plan politique, le dossier est délicat. Les deux premiers ministres marchaient manifestement sur des oeufs quand ils ont décrit la transaction comme un «protocole d'entente en matière d'énergie», au lieu de l'appeler par son nom, une prise de contrôle.
On peut comprendre pourquoi. Imaginons nos réactions si Ontario Hydro achetait notre Hydro-Québec. Bien sûr, Énergie Nouveau-Brunswick n'a rien d'un fleuron, et cette institution ne semble pas jouer un rôle identitaire dans la province voisine. Mais il est assez clair que le Nouveau-Brunswick cède le contrôle d'un actif stratégique et d'un outil de développement.
Peu importe les mécanismes prévus, les Néo-Brunswickois ne disposeront plus d'un rapport de forces politiques face à leur fournisseur d'électricité. Il faudra beaucoup de doigté pour rassurer nos voisins, pour s'assurer qu'ils disposent des outils nécessaires pour ne jamais être otages d'un centre de décision extérieur.
Cette transaction a déclenché un autre débat politique, la fureur du premier ministre terreneuvien Danny Williams, qui craint que cette entente isole sa province. Mais il faut situer cette réaction dans son contexte, une manifestation du nationalisme terreneuvien, qui carbure à l'indignation et au sentiment de persécution, pas mal comme une version bien connue du nationalisme québécois. À cette différence près que c'est le Québec qui est l'objet de cette rage.
Mais l'enjeu n'est pas là. Il faut sortir de nos bulles et raser les clochers. L'électricité n'est plus une ressource locale, mais une forme d'énergie qui s'échange et qui s'exporte. Les enjeux environnementaux ne sont pas non plus locaux. Ce n'est pas pour rien que les environnementalistes, notamment Équiterre, ont salué cette entente.
La construction de centrales hydroélectriques a un impact environnemental, mais l'énergie produite est propre, renouvelable, et génère très peu de gaz à effet de serre. L'arrivée d'Hydro-Québec au Nouveau-Brunswick mènera ainsi à la fermeture de deux centrales thermiques fortes productrices de GES, et à terme, à la fermeture des deux autres. Les connexions additionnelles vers les États de la Nouvelle-Angleterre permettront plus d'exportations, et donc le remplacement d'énergie productrice de GES.
Cela nous rappelle qu'une des grandes contributions d'Hydro-Québec, et du Québec tout entier, contre le réchauffement climatique se manifestera à l'extérieur de nos frontières et reposera sur l'exportation de notre électricité, celle que nous produisons, et celle que nous économisons, surtout pour déplacer les centrales thermiques au charbon. Il ne faut pas avoir honte d'exporter notre électricité. Il faut en être fiers.
Les bons tentacules d'Hydro
Il ne faut pas avoir honte d'exporter notre électricité. Il faut en être fiers
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