Les créateurs, le plus souvent, sont des lunatiques à lubies folichonnes. Qu’importe, c’est ce qui nous anime. Rêver. Croire un peu, un certain temps, qu’on a du génie et puis accepter que le réel nous claque la gueule de plein fouet. Se coucher et puis se redresser et, de nouveau, se jeter dans la quête enthousiaste d’un autre projet. C’est le destin des artistes.
Je les aime mes frères, les fous de l’art, les insensés du monde culturel, oui, je nous aime. Je ne suis pas loin de croire que nous formons une sorte de rempart insolite dans le monde quotidien des plates réalités. Une cohorte d’anges, déplumés pas mal, aux ailes naines, rognées, et qui volons, bien ou mal, en rase-mottes souvent, avec nos ridicules moignons sur le dos. On se prend pour des oiseaux de paradis, très beaux, tellement doués. Il faut bien nous imaginer plus grands et plus forts que nature.
Les occasions de nous faire plonger le nez dans le caca de nos échecs, de nos demi-succès, vont fondre sur nous régulièrement. L’important est de retrouver sans cesse… quoi donc ? Un état de grâce qui fait que nous recommençons cent fois l’essai de planer très haut. Sisyphes indomptables, pauvres Icares en tous genres, la figure barbouillée de sang, nos pauvres carapaces couvertes de lésions, nous regrimpons l’échelle de l’espérance et là-haut, les yeux pétillants d’idéal fou, nous acceptons encore de replonger dans le vide.
Singulier destin des créateurs, destin qui, malgré tout, nous rend heureux mais aussi perpétuellement malades. Peu contagieux, hélas !, mais malades inguérissables, pitoyables et infatigables quêteurs, les mains tendues vers un monde affairé, celui des «sérieux» n’est-ce pas ?, qui circule autour de nos ouvrages et à toute vitesse, «les graves», ils moquent bien fort ces hurluberlus en deltaplanes de pauvre papier.
Faux : le ridicule ne tue pas. Pas nous. Il nous ravigote.
Montand jadis chantait les mots du poète : «Ils ont des poids ronds et carrés, des cerceaux, des tambours dorés… l’ours et le singe les suivent, quêtant des sous sur leur passage» et Aznavour, lui : «Viens voir les comédiens…». Le cirque sans cesse, le cirque capable désormais d’effets visuels inouïs ! Quelques voltigeurs imaginatifs, certains clowns, triomphent parfois. Mais tant d’autres attendent aux pénibles portiques des aspirants. Elle — ou il— écrit dans sa chambre sur une table bancale. Elle y croit, son théâtre, son scénario est unique, c’est tout entendu…, l’autre s’en va à une audition aux trop nombreux concurrents.
Une — ou un — autre encore fait des signaux d’une vitalité folle avec des encres, des pigments, colorés «le tableau de sa vie». Personne pour vouloir se le procurer ! Tous, jeune et vieux, nous continuons, tous, nous nous imaginons pondeurs d’essentielles images, mots ou sons. Laissez-les rêver, ces fous sont le sel de la vie, non ? Jeunes, ils mangent mal, se vêtent de guingois, pourtant les entendez-vous rire ? Des inconscients ?
Personne ne leur a demandé ces ouvrages inédits. Personne, ces jeunesses continuent quand même; c’est plus fort que tout. Bizarres hasards, circonstances incontrôlables, voilà soudain qu’une chanson gagne la faveur du monde et mille autres chansons s’étouffent en solitude. Quoi donc pousse ainsi ces encore anonymes chercheurs en art ? Quoi répondre ?
Comment dire aux chanceux du sort, aux nantis, à tous ces bourgeois distraits que, sans ces saltimbanques, l’existence ne serait plus que triste lierre. Écoute-moi petit — ou grand — Crésus de la loterie-vie : réserve des billets à ce théâtre nouveau. Chanceux du destin humain, lis le bouquin du nouveau venu. Avantagé du sort, cours ce risque pas si chérant, écoute la musique, la chanson du trouvère de 2007. Privilégié parfois sans grand mérite, donne sa chance à cette danse innovatrice. Est-ce facile d’imaginer un monde sans art aucun ? Ne serait-ce pas un désert invivable ?
Claude Jasmin
Auteur et écrivain
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