Il y a un moment où toute une classe professionnelle se donne le mot pour fournir le malaise attendu. Tout a un côté théâtre. La télévision, même celle consacrée à l’information, n’y échappe pas. Quand Bernard Drainville a annoncé sa candidature, un journaliste de Radio-Canada s’est dit témoin, à propos du passage de son collègue, de «l’état de journaliste à celui de souverainiste». En principe, avec les tergiversations de Christine St-Pierre, la même tragédie devrait peser. On assiste, n’est-ce pas, pour parodier la déclaration du journaliste, au passage de «l’état de journaliste à celui de fédéraliste.»
Christine St-Pierre devrait répondre à la meute d’autant plus qu’elle a déjà dérogé à son devoir de neutralité dans le passé en ce qui touche l’Afghanistan. Comment Christine St-Pierre au cours des derniers mois a-t-elle été portée par tout ce qui vient? A-t-elle été assez minutieuse dans l’examen de l’incurie du système fédéral? Était-elle fédéraliste seulement en chemise de nuit? Quand a-t-elle su en son for intime qu’elle pouvait vouloir briguer les suffrages et quand son vouloir fut-il assez clair pour l’obliger moralement à démissionner? En blouse, les manches retroussées, au café parlementaire, dans le taxi, les collègues journalistes devraient se préparer à une prestation égale à celle de la semaine dernière et l’assaillir de questions à ce sujet.
Probablement que cette réaction journalistique n’aura pas lieu. L’actualité est une question d’atmosphère, semble-t-il. De semaine en semaine, le pif c’est de savoir reconnaître les qualités différentes de l’air. Christine St-Pierre avise tout le monde de faire attention : si ce n’est pas décidé, cela peut se passer. Elle, au moins, n’use pas de l’effet de surprise. Elle annonce bien autrement, sa prévision, son temps d’y penser; les journalistes, sûrs de rien, croyant que cela fait une différence exacte avec la candidature de Drainville, oublieront de rejouer le numéro de la semaine dernière.
Dans le paysage électoral, le petit troisième, Mario Dumont, lui, peut très bien prévoir les questions qui lui seront posées. Il dira croire à sa chance. Après tout, à chaque élection, l’Action Démocratique augmente sa part de votes. Le slogan de Mario Dumont pourrait être : «On n'est pas obligé». On n'est pas obligé de rester dans le duel entre fédéralistes et souverainistes. Puis, comme travailleur, on n'est pas obligé de passer par les syndicats pour s’enrichir. On n'est pas obligé d’élire un gouvernement provincial piégé dans une province qui ne choisit pas. On n'est pas obligé d’opter pour la souveraineté non plus.
Selon les statistiques, Mario Dumont gagne une centaine de milliers de votes comme ça, bien simplement, en disant : «On n'est pas obligé». Les analystes s’en aperçoivent davantage car l’ascension de l’Action Démocratique se fait discrètement, sans se traduire en nombre de sièges. D’autres analystes diront que l’Action Démocratique est un parti de droite.
Mario Dumont s’est déjà fait le champion du revenu minimum garanti bien avant Québec Solidaire. L’Action Démocratique souhaite l’objet tangible, le livre des comptes qui profite à tous. Elle veut le capital libéré et une meilleure distribution de la richesse, des travailleurs mieux défendus, une vie meilleure pour tous et pas seulement pour les syndiqués. L’Action Démocratique se défend bien d’avoir du vague à l’âme ou de cacher ses amours.
En matière constitutionnelle, partagée entre le songe et la terre, l’Action Démocratique n’arrive pas à vouloir que le Québec se dote d’un gouvernement national. Pourquoi le voudrait-elle? Elle s’imagine le Québec prochainement paré du pouvoir exclusif de lever des impôts, partageant la souveraineté avec un Fédéral qui, magiquement, passera du rang de maître à celui de grand frère.
Tout ceci est possible : il suffit de mettre ses culottes, dira Dumont. Celui qui est capable de décisions viriles n’a pas à quêter des approbations. Si les souverainistes échouent à pourvoir le Québec d’un meilleur statut, si la gauche échoue à défendre les vrais démunis, il faut se décider pour autre chose. Notre province aura enfin son gouvernement national, avec sa citoyenneté, sa Constitution, dans une meilleure position. Ce sera une position qui dépasse les repères établis par les «vieux partis».
On n'est pas obligé de vouloir pour arriver, selon le beau programme de l’Action Démocratique. On a juste à rompre l’accoutumance, juste à se déloger des places obsédantes, des débats rebattus. On a juste à faire sans s’enquérir du certificat de respectabilité délivré par les vieilles définitions qui séparaient souverainistes et fédéralistes. Pas besoin de cataloguer son action au préalable, sortons juste du catalogisme, dira Dumont.
Avec Dumont, le Fédéral, comme un boa en chômage, se promènera dans les pâquerettes. Un Québec maître de ses institutions ne lui causera pas de problèmes et les autres provinces ne se mêleront pas d’émettre des dénonciations. Ce rêve de l’Action Démocratique, parti neuf répète-t-on, est pris et épris de la même vieille histoire. Il n’y a rien de vivant dans la croyance mécanique de Dumont selon laquelle «on n'est pas obligé». On ne se forge pas de nouveaux cadres à l’intérieur du carcan provincial.
On peut seulement aller chercher morceau par morceau, soumis à la politique mosaïque. L’idée c’est de saisir, attraper par autant de bouts que possible. Et quand on attrape un bout, une compensation fédérale pour un programme national sur lequel le Québec a pris de l’avance, le premier ministre déclare que le système se révèle enfin pour ce qu’il est réellement. Chaque détail compte, on prend tout, dira Jean Charest… ou un autre premier ministre provincial.
Jean Charest aime bien ce terrain circonscrit où l’action n’est pas la sœur du rêve. Quant à Dumont, avec son projet de province nationale maîtresse de ses institutions, il a bien assis le rêve dans un fauteuil.
André Savard
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