Un médecin peut-il à la fois suivre 1500 patients et être député à plein temps ? Peut-il conjuguer les deux tâches adéquatement et mériter ses deux salaires ?
Voilà ce qui m’intrigue dans cette affaire de prime de 215 000 $ touchée par le libéral Yves Bolduc lorsqu’il était député de l’opposition, sous le règne péquiste.
Jusqu’à maintenant, les gens se sont dits offusqués pour quatre différentes raisons, essentiellement. D’abord, certains sont scandalisés par le simple montant de la prime, qui équivaut à cinq fois le salaire annuel moyen au Québec. D’autres parce que cette prime s’ajoutait à son salaire de médecin (150 000 $) et de député (90 000 $).
Il y a aussi ceux qui trouvent inadmissible que le Dr Bolduc ait touché une prime pour accepter des patients en quête d’un médecin de famille alors que le député pouvait raisonnablement s’attendre à devoir les abandonner quelques mois plus tard, compte tenu du statut minoritaire du gouvernement péquiste.
Enfin, certains dénoncent le fait qu’il ait profité d’une prime dont le règlement a été adopté alors qu’il était lui-même ministre de la Santé.
Pour ma part, je m’interroge surtout sur la capacité de l’homme à pouvoir bien faire ses deux tâches et donc à mériter sa rémunération. Bien sûr, son salaire global est important, mais Yves Bolduc n’est pas emballeur dans un supermarché Metro, il est médecin et il cumule deux jobs.
Bien que trop généreuse, la prime versée aux médecins a fonctionné, puisque le tiers des deux millions de patients en quête d’un médecin en a trouvé un.
Entre novembre 2011 et juin 2013, cette prime était de 208 $ pour la prise en charge de chaque nouveau patient vulnérable (cardiaque, diabétique, etc.) et de 100 $ pour chacun des autres. Elle a coûté 26 millions à l’État, deux fois plus que prévu, et a donc été révisée. Elle est passée à 40 $ et à 25 $, respectivement, et le nombre de nouveaux patients que peut prendre un médecin a été plafonné à 150.
Dans le milieu, on estime qu’un médecin consacre une heure et demie par an à chacun de ses patients vulnérables et environ une demi-heure pour les autres. Comme Yves Bolduc avait 40 % de patients vulnérables, il devait donc travailler environ 1350 heures par année en tant que médecin. Ce temps de travail exclut l’administration, les heures de garde et d’urgence.
En somme, Yves Bolduc aurait consacré 27 heures par semaine à sa tâche de médecin tout en étant député.
Sous le règne péquiste, deux autres députés ont continué d’occuper leur fonction de médecin : Amir Khadir, de Québec solidaire, et Hélène Daneault, de la Coalition avenir Québec.
Amir Khadir travaille une demi-journée par semaine comme médecin et voit environ 250 patients par an. « C’est sûr qu’on ne peut pas faire les deux à temps plein. Avec 1500 patients pour Yves Bolduc, c’est ahurissant. J’espère qu’il dormait », dit M. Khadir, qui estime consacrer de 50 à 70 heures par semaine à son travail de député.
Je n’ai pu parler à Hélène Daneault, mais ceux qui la connaissent savent qu’elle a trouvé exténuante la combinaison des deux tâches. Elle ne s’est d’ailleurs pas représentée aux dernières élections.
Un autre ex-député à qui j’ai parlé s’est dit surpris de l’imposant horaire de travail d’un député (70 heures), ce qui contredit la croyance populaire. En plus de siéger en chambre, le député doit rencontrer de nombreux groupes d’intérêt, lire et analyser ses dossiers, assister aux commissions parlementaires et voir aux activités de sa circonscription.
Même député, il dit avoir pu continuer à gérer son entreprise à temps partiel, tel que les règles l’autorisent s’il n’y a pas de conflit d’intérêts. « Mais c’était pratiquement impossible. Je ne voulais pas conduire entre Québec et Montréal, tellement j’étais fatigué. Si j’avais été réélu, j’aurais vendu les actions de mon entreprise », nous dit-il.
Yves Bolduc, qui est maintenant ministre de l’Éducation, est considéré comme un bourreau de travail, ce dont les électeurs québécois ont bien besoin. Et avant de devenir ministre, il avait l’avantage de pratiquer la médecine à Québec, près de la colline parlementaire.
Il est tout de même étonnant qu’il ait pu conjuguer deux tâches aussi prenantes. Qui donc peut vraiment travailler de 90 à 95 heures par semaine, en plus de dormir, manger et se déplacer ? Qui peut réaliser un tel exploit en faisant bien le travail pour lequel il est payé ?
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