«La Syrie va se diviser en plusieurs états suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un Etat allouite chiite ; la région d’Alep, un Etat sunnite ; à Damas, un autre Etat sunnite hostile à son voisin du Nord : les Druzes constitueront leur propre Etat, qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Haourân et en Jordanie du Nord. Cet Etat garantira la paix et la sécurité dans la région à long terme : c’est un objectif qui est dès à présent à notre portée.»
Si vous pensiez lire l’extrait «fuité» d’un briefing entre barbouzes du Pentagone et du Mossad, vous avez tout faux ! Il s’agit en fait d’un morceau choisi d’un article publié en…. 1982, par un ancien fonctionnaire du ministère israélien des Affaires Etrangères, Oded Yinon, et intitulé «Stratégie pour Israël dans les années ‘80». Et vous en conviendrez, la chose n’a pas pris une ride. Pas plus d’ailleurs que dans l’ensemble des propositions qu’il émet en termes de stratégie israélienne vis-à-vis du monde arabe ou de la colonisation (lire ci-contre).
Alors pourquoi exhumer ce parchemin ?
Et bien parce qu’il répond partiellement à une question qui nous titille depuis quelques temps à entrefilets. En effet, comment expliquer l’immense opération de déstabilisation de la Syrie, greffée sur le légitime mouvement de revendications populaire par l’inénarrable couple US-raélien, ses zélateurs et sa machine de propagande (avec bien sûr infiltration de barbouzes, fournitures d’armes, tactiques de guérilla etc…). Opération dont l’objectif final n’est pas l’application des réformes réclamées initialement par la rue, mais la chute pure et simple du régime. Un objectif qui nous apparaissait incompréhensible alors même que le pouvoir de Bachar el-Assad était considéré jusqu’à il y a peu comme un ennemi utile et fiable par Washington et Tel-Aviv, un moindre mal en tout cas au regard des craintes suscitées par une éventuelle prise de pouvoir des islamistes en cas de chute du régime.
Les ratages égyptien et libyen
Sauf que voilà. Totalement dépassé par l’avènement du Printemps arabe, Kasher-Rambo, tête de pont du bloc américano-occidental, tente désespérément de reprendre la main en tentant d’instrumentaliser ce qui peut l’être encore du Printemps qui secoue une région hautement stratégique. Mais la chose s’avère compliquée, très compliquée.
En Egypte par exemple, l’Oncle Sam arrose comme à l’accoutumée tous les partis et groupuscules d’une pluie de dollars en espérant, à termes, s’attirer les faveurs du vainqueur. Sauf que l’indécence de la manœuvre provoque un effet boomerang inattendu, et les indignés de la Place Tahrir veille au grain de leur révolution.
Passons rapidement sur la Libye , où l’OTAN s’enlise dramatiquement dans une guerre construite de toutes pièces cette fois, et où seule la désinformation la plus massive permet de faire croire encore aux esprits les plus humbles que cette sanglante pantalonnade est une révolution populaire sur le point de triompher.
Pour dix ans de faiblesse
Et venons-en donc à la Syrie , où, là encore, il faut tous les trésors d’imagination des salles de rédaction de la Presse-Pravda pour appuyer l’effort de déstabilisation en cours. Mais pourquoi donc vouloir pousser à ce regime-change et s’engouffrer dans un inconnu potentiellement dangereux.
Un diplomate européen en poste à Beyrouth, fin connaisseur de la région donc, nous a résumé la chose ainsi : « Il est vrai que Washington et Tel-Aviv n’ont rien vu venir du Printemps arabe, ni personne d’ailleurs. Mais ils tentent de prendre le train en marche et, dans le cas de la Syrie , ils espèrent qu’en poussant désormais à la chute du régime, le pays va se désagréger. Et l’intérêt du couple américano-israélien est qu’un pays qui implose met au bas mot dix ans à se reconstruire au plan intérieur. Ce sont donc dix ans durant lesquels ce pays est faible, perméable aux ingérences, et surtout faute de moyens dépourvu de toute politique étrangère. Ce sont dix ans de paix garantie pour Israël. Dix ans de possibilités d’ingérences pour les Etats-Unis et leurs multinationales. »
Au fond, pour résumer la chose, Kasher-Rambo essaie de transposer la formule irakienne en Syrie, la guerre totale en moins (la chose étant désormais hors de prix pour un Washington en banqueroute). Et c’est là que notre parchemin de 1982 nous éclaire à nous dire ce que pourrait devenir une Syrie disloquée à la faveur d’une « révolution » téléguidée.
Et notre interlocuteur de préciser que nous verrions alors émerger « un pouvoir central sunnite fonctionnant sur le modèle de celui de Saad Hariri au Liban avant que celui-ci ne soit renversé. C'est-à-dire un pouvoir contrôlé par les capitaux saoudiens et donc, in fine, aux ordres de Washington ».
Pari hasardeux
Sauf que, là encore, le pari est également hasardeux. Bachar el-Assad a en effet le soutien des Alaouites bien sûr, mais aussi de diverses minorités du pays qui, si elles ne sont pas choyées par son régime, semblent préférer le statuquo et les réformes promises à une éventuelle prise de pouvoir des islamistes. De plus, il a encore le soutien d’une large bourgeoisie sunnite qu’il a pris soin de laisser prospérer sous son règne, sans parler de soutiens internationaux comme ceux de la Russie , de la Chine ou de l’Iran. Enfin, les revendications légitimes de l’opposition «originelle» sont pour la plupart en passe d’être réalisées, puisque des réformes majeures ont désormais été mises en chantier.
Il n’est donc pas du tout certain que l’opération de regime change engagée aboutisse, et la stratégie d’US-raël pour les années 2010 en Syrie risque fort de s’en trouver contrariée avec, à termes, de jolies négociations secrètes pour rouvrir le dialogue.
Ce qui est certain en revanche, c’est que cette opération de déstabilisation aura une fois de plus fait couler des flots de sang en pure perte.
« Pour la bonne cause ! Pour la liberté ! », éructeront tous les BHL du bloc américano-occidental, autoproclamé « communauté internationale ».
Certes.
De fait, pour les idéologues hystériques du Système, faire couler le sang des autres n’est jamais un problème.
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Stratégie pour Israël dans les années 80
En 1982, La Revue d’Etudes Palestiniennes avait publié un article d’Oded Yinon, intitulé : « [I]Stratégie pour Israël dans les années 80 », qui lui avait été adressé, avec une courte préface, par le regretté professeurIsraël Shahak, ancien président de la Ligue israélienne des droits de l’homme. Dans sa préface, Israël Shahak avait attiré l’attention des lecteurs sur la proximité entre cette « stratégie pour Israël » et la pensée néo-conservatrice américaine, la même qui présidera à la politique étrangère des Etats-Unis depuis l’accession de George W. Bush au pouvoir. L’éclatement de l’Irak, les tensions communautaires dans la plupart des pays arabes, l’annexion aussi de Jérusalem et d’une bonne partie de la Cisjordanie dotent l’article d’Oded Yinon, vingt-cinq ans après sa publication, d’une funeste actualité.
Stratégie pour Israël dans les années 80
(...) Le mythe de l’Egypte, homme fort du monde arabe, ébranlé en 1956, n’a pas survécu à 1967 ; mais notre politique et la restitution du Sinaï ont fait d’un mythe un « fait ». Mais sur le plan réel, la puissance égyptienne, comparée à celle d’Israël seul, et à celle du monde arabe, a diminué de 50 % depuis 1967. L’Egypte n’est plus la première puissance politique du monde arabe, et elle est à la veille d’une crise économique. Sans aide extérieure, la crise va se produire incessamment. A court terme, grâce à la reprise du Sinaï, l’Egypte va marquer quelques points, mais seulement jusqu’en 1982 ; et cela ne modifiera pas à son avantage le rapport de forces mais pourrait même entraîner sa ruine. L’Egypte, dans sa configuration intérieure actuelle est déjà moribonde, et plus encore si nous prenons en compte la rupture entre Chrétiens et musulmans qui va croissant. Démanteler l’Egypte, amener sa décomposition en unités géographiques séparées : tel est l’objectif politique d’Israël sur son front occidental, dans les années 1980. L’Egypte est effectivement déchirée. L’autorité n’y est pas une mais multiple. Si l’Egypte se désagrège, des pays tels que la Lybie , le Soudan et même des Etats plus éloignés ne pourront pas survivre sous leur forme actuelle et accompagneront l’Egypte dans sa chute et sa dissolution.On aura alors un état chrétien copte en Haute Egypte, et un certain nombre d’Etats faibles, au pouvoir très circonscrit, au lieu du gouvernement centralisé actuel ; c’est le développement historique logique et inévitable à long terme, retardé seulement par l’accord de paix de 1979.
Le front ouest qui, à première vue, semble poser plus de problèmes, est en fait plus simple que le front est, théâtre récent des évènements les plus retentissants. La décomposition du Liban en cinq provinces préfigure le sort qui attend le monde arabe tout entier, y compris l’Egypte, la Syrie , l’Irak et toute la péninsule arabe ; au Liban, c’est déjà un fait accompli. La désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël, à long terme, sur son front est ; à court terme, l’objectif est la dissolution militaire de ces Etats. La Syrie va se diviser en plusieurs états suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un Etat allouite chiite ; la région d’Alep, un Etat sunnite ; à Damas, un autre Etat sunnite hostile à son voisin du Nord : les Druzes constitueront leur propre Etat, qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Haourân et en Jordanie du Nord. Cet Etat garantira la paix et la sécurité dans la région, à long terme : c’est un objectif qui est dès à présent à notre portée.
L’Irak, pays à la fois riche en pétrole, et en proie à de graves dissensions internes, est un terrain de choix pour l’action d’Israël. Le démantèlement de ce pays nous importe plus encore que celui de la Syrie. L ’Irak est plus fort que la Syrie ; à court terme, le pouvoir irakien est celui qui menace le plus la sécurité Israël. Une guerre entre l’Irak et la Syrie ou entre l’Irak et l’Iran désintègrera l’Etat irakien avant même qu’il ne puisse se préparer à une lutte contre nous. Tout conflit à l’intérieur du monde arabe nous est bénéfique à court terme et précipite le moment où l’Irak se divisera en fonction de ses communautés religieuses, comme la Syrie et le Liban. En Irak, une distribution en provinces, selon les ethnies et les religions, peut se faire de la même manière qu’en Syrie du temps de la domination ottomane. Trois Etats -ou davantage- se constitueront autour des trois villes principales : Bassorah, Bagdad et Mossoul ; et les régions chiites du sud se sépareront des sunnites et des kurdes du Nord. L’actuel conflit irano-irakien peut radicaliser cette polarisation.
(...) La Jordanie ne peut plus survivre longtemps dans la structure actuelle et, la tactique d’Israël soit militaire, soit diplomatique, doit viser à liquider le régime jordanien et à transférer le pouvoir à la majorité palestinienne. Ce changement de régime en Jordanie résoudra le problème des territoires cisjordaniens à forte population arabe ; par la guerre ou par les conditions de paix, il devra y avoir déportation des populations de ces territoires, et un strict contrôle économique et démographique - seuls garants d’une complète transformation de la Cisjordanie comme de la Transjordanie. A nous de tout faire pour accélérer ce processus et le faire aboutir dans un proche avenir. Il faut rejeter le plan d’autonomie et toute proposition de compromis, de partage des territoires ; étant donné les projets de l’OLP et des arabes israéliens eux-mêmes (voir le plan de Shefar’ham) il n’est plus possible de laisser se perpétuer ici la situation actuelle sans séparer les deux nations : les Arabes en Jordanie et les juifs en Cisjordanie. Il n’y aura de véritables coexistence pacifique dans ce pays que lorsque les arabes auront compris qu’ils ne connaîtront ni existence ni sécurité qu’une fois établie la domination juive du Jourdain jusqu’à la mer.Ils n’auront une nation propre et la sécurité qu’en Jordanie.
En ce qui concerne Israël, la distinction entre les régions acquises en 1967 et les territoires qui les prolongent, ou les zones acquises en 1948, n’a jamais eu aucun sens pour les arabes, et s’est maintenant effacée pour nous aussi. Il faut voir le problème dans son ensemble, sur la base de la situation depuis 1967. Quelle que soit la situation politique ou la situation militaire dans l’avenir, il faut qu’il soit clair que le problème des Arabes autochtones ne recevra de solution que lorsqu’ils reconnaîtront que la présence d’Israël dans les zones de sécurité jusqu’au Jourdain indirectement et au-delà constitue pour nous une nécessité vitale, dans l’ère nucléaire que nous allons vivre maintenant. Nous ne pouvons plus vivre avec trois-quart de la population juive concentrée dans une zone côtière, particulièrement vulnérable à l’âge nucléaire.
Il faut désormais disperser les populations, c’est un impératif stratégique. Faute de cela, nous ne pouvons survivre, quelles que soient les frontières. La Judée , la Samarie , la Galilée sont nos seules garanties d’existence nationale et si nous ne nous implantons pas de façon à être majoritaires dans les zones montagneuses, nous ne gouverneront pas le pays ; nous y vivrons comme les croisés, qui perdirent ce pays - un pays d’ailleurs qui n’était pas le leur, dans lequel ils étaient des étrangers. Notre but premier, le plus essentiel aujourd’hui est de rééquilibrer le pays sous le triple aspect démographique, stratégique et économique. Il faut coloniser tout le versant de la montagne qui s’étend depuis Birsheba jusqu’en Haute Galilée ; c’est un objectif essentiel de notre stratégie nationale : coloniser la montagne qui jusqu’à présent est vide de juifs.
Odeh Yinon est journaliste et ancien fonctionnaire du ministère israélien des Affaires Etrangères. Cet article, envoyé à la Revue d’Etude Palestiniennes par Israël Shahak, est paru dans Kivunim (Orientations), n° 14, février 1982 (Revue publiée par le Département de l’Organisation Sioniste mondiale, Jérusalem).
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