En ces temps alarmants, rien n'est plus instructif que de lire la presse étrangère, européenne en premier lieu. Chez nous, nous avons l'impression que la crise actuelle est vécue hors de notre quotidien dans un lieu abstrait, ailleurs, d'une certaine manière. En d'autres termes, nous semblons incapables d'intérioriser cette calamité de dimension planétaire.
Nos responsables politiques, dans un souci de dédramatisation dont on hésite à écrire qu'il est démagogique ou irresponsable, donnent à penser que nous serions relativement à l'abri de ce cataclysme pourtant annoncé. Si bien que les conversations quotidiennes continuent d'être alimentées par les anecdotes qui agrémentent la routine de la vie.
Il n'y a qu'à lire les médias européens pour se rendre compte que nous vivons à des années-lumière d'eux. En effet, sous la gouverne de Nicolas Sarkozy, actuellement président du Conseil européen, les dirigeants du Vieux Continent montrent bien qu'ils ont le sens de l'Histoire pour l'avoir écrite eux-mêmes, dans le sang et la douleur certes, mais aujourd'hui ce passé leur permet de saisir avec plus de lucidité les menaces qui guettent l'avenir de la planète. C'est en Europe qu'on trouve les analyses les plus complètes, les plus éclairantes également par les temps qui courent, sur les maux dont nous sommes accablés, qu'il s'agisse de la récession mondiale, du terrorisme islamique, du réchauffement planétaire ou de la crise alimentaire.
Notre pragmatisme, si utile en période de prospérité et qui permet de gérer le court terme sans subir le poids du passé, devient un obstacle lorsque nous plongeons, comme c'est le cas, dans une crise économique qui nous oblige à remettre en question la philosophie, c'est-à-dire les idées qui sous-tendent notre vision. Ce pragmatisme, dont la définition allégée est de croire que tout s'arrange quand on ne s'embarrasse pas de théories abstraites, devient périmé aujourd'hui. La vision simpliste du «happy ending» si chère à l'Amérique et au Canada ne tient plus la route. À l'instar de nombre de penseurs européens, il faut se résoudre à croire que l'Histoire est tragique. C'est le philosophe parisien Raymond Aron qui nous l'a enseigné au XXe siècle, drapé dans une solitude qui le grandissait. Car son adversaire, Jean-Paul Sartre, porteur de valises du communisme, triomphait dans les salons et les universités. Des dizaines de millions de morts plus tard en URSS et dans ses pays satellites, Sartre s'est si peu amendé.
Parce que l'Histoire est tragique, autrement dit que tout ne finit pas bien et que les grands soirs aussi déchantent, ce que nous sommes en train de vivre est un cycle qui exigerait que ceux qui nous gouvernent soient habités par cette complexité.
Nous sommes un des rares peuples de la terre à avoir échappé en quelque sorte aux grandes tragédies collectives modernes. Le Canada et le Québec n'ont jamais connu de guerres sur leur sols, de génocide, de famine ni même de cataclysme terrestre. Nos drames sont liés à la condition humaine. Nous perdons des êtres chers, nous souffrons de nos angoisses, nous vivons des injustices, des inégalités sociales, nous n'avons pas aboli l'humiliation, le mépris, la haine, la violence, mais notre relative sécurité et les règlements pacifiques de nos conflits internes font l'envie de la terre entière.
Le Canada fait rêver, même si l'affirmer nous range le temps d'une chronique du côté de Jean Chrétien. Notre regard sur le monde fut longtemps plus naïf et notre pragmatisme apparaissait rafraîchissant aux yeux des vieux et douloureux peuples. Mais ce temps est révolu. La naïveté ne peut plus nous servir de carte de visite. Nous avons partie liée avec les conflits du bout du monde, l'Afghanistan au premier chef. Nous ne pouvons traiter le terrorisme mondial comme une affaire qui ne nous concerne pas, nous les gentils qui n'avons jamais fait de mal à ceux qui attaquent, pas plus que nous devons croire qu'un Canada vert échapperait à la pollution planétaire.
La crise économique et la récession qui en suit n'ont pas de solutions canadienne ou québécoise. Les chefs d'État européens qui ont cru momentanément, comme l'Allemande Angela Merkel, qu'ils pouvaient seuls tirer leurs marrons du feu se sont vite rangés derrière Nicolas Sarkozy, dont l'énergie à mobiliser ses partenaires et convaincre les États-Unis à se réunir oblige à lui reconnaître enfin la stature de chef d'État de l'Europe.
Parce que l'Histoire est tragique, il faut aussi appréhender les jours qui précèdent l'élection américaine du 4 novembre. Les États-Unis, responsables de la tourmente actuelle, sont sur le point de comprendre qu'ils ne sont pas et ne seront plus les maîtres du monde en votant pour Barack Obama. Le pays au passé tragique, à l'histoire construite sur la violence et l'esclavage d'une part et l'espoir et le triomphe d'autre part, saura-t-il contenir le fou aveuglé de haine, tapi quelque part et qui nous plongerait tous dans l'apocalypse en assassinant le porteur de rêve qu'est Obama? Notre avenir à tous repose aussi sur cette élection.
Le sens de l'Histoire
Nos responsables politiques, dans un souci de dédramatisation dont on hésite à écrire qu'il est démagogique ou irresponsable, donnent à penser que nous serions relativement à l'abri de ce cataclysme pourtant annoncé.
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