Je me souviendrai toujours de mon été dernier à Montréal. Le Québec était plongé en pleins jeux gais. J'avais l'impression d'arriver dans un Club Med en délire. Le village gai semblait être devenu la capitale politique du Québec. Les députés du Parti québécois et du Bloc n'avaient rien de plus urgent à faire pour aider leurs contribuables que de participer à des compétitions sportives qui n'en étaient pas vraiment. La présidente de l'événement avait été élue personnalité de la semaine par un grand quotidien même si le happening se dirigeait vers un gouffre financier. Pour peu, on lui aurait offert le fauteuil du gouverneur général.
En France, on s'inquiétait de la pauvreté des banlieues. Aux États-Unis, on était aux prises avec une guerre de plus en plus inextricable. L'Allemagne se préoccupait de son indépendance énergétique par rapport à la Russie. La Grande-Bretagne parlait déjà des problèmes d'intégration des minorités musulmanes. Pendant ce temps, le Québec -- ou peut-être faudrait-il dire Montréal ou le Plateau Mont-Royal-- semblait baigner dans une douce euphorie. On s'y gargarisait d'être l'endroit le plus cool, le plus tripant et le plus progressiste du monde. N'étions-nous pas devenus la société la plus «ouverte», cet îlot de l'univers où toutes les minorités de ce beau et vaste monde s'intégraient sans heurts dans notre exceptionnelle diversité, pour le plus grand ravissement des autochtones béats d'admiration?
Et pourtant... Sur une tribune téléphonique, un jeune Québécois de l'extérieur de Montréal exprimait sa colère contre le mariage entre conjoints de même sexe qui, disait-il, ébranlait une institution millénaire sans qu'on lui ait vraiment demandé son avis. Des amis de Joliette me faisaient remarquer en passant que, par snobisme ou à cause de l'immigration, on parlait de plus en plus anglais sur le Plateau Mont-Royal. Ça n'avait rien pour les réjouir. À Québec, des parents s'inquiétaient de la belle pédagogie «progressiste» et «ouverte» qui camouflait l'inculture de l'école de leurs enfants.
L'an dernier, certains historiens n'ont-ils pas prétendu que le Québec était devenu tellement postmoderne et «ouvert sur le monde» qu'il pouvait dorénavant se dispenser d'enseigner à ses enfants ce qu'étaient les plaines d'Abraham et les rébellions de 1837-38? L'histoire, vraiment -- surtout celle des affreux colons blancs --, vous n'y pensez pas! Notre belle société revenue de tout, «ouverte» et tripative, avait dépassé cela depuis longtemps. Pourquoi nous ennuyer avec de tels archaïsmes? Autant demander aux professeurs de se remettre à enseigner le latin! Et cette ineptie n'était pas sortie de la bouche d'un agriculteur de Saint-Élie-de-Caxton mais d'éminents docteurs en éducation!
Vous cherchez la cause de la popularité de Mario Dumont? Eh bien, le Québec est tout simplement en train de redescendre du petit nuage pastel sur lequel il flotte depuis quelques années. Welcome to the world! Il n'y a pas que des explications conjoncturelles à la réapparition dans le paysage politique d'un parti qui cherche sa voie entre le Crédit social et la bonne vieille Union nationale. Certes, la «panne référendaire» explique probablement qu'un certain nombre de nationalistes tournent le dos à un PQ qui a parfois de petits côtés suicidaires. La piètre performance du PLQ et de son chef -- qui est le moins nationaliste que ce parti ait eu -- n'est pas non plus sans expliquer le besoin que ressent la droite québécoise de se regrouper dans un lieu qui lui ressemble.
Remarquez l'ironie grinçante! Pendant que toute la classe médiatique avait les yeux braqués sur la création d'un petit groupe d'ultra-gauche nommé Québec solidaire, un tiers des Québécois envisageait sérieusement de voter pour une bonne vieille droite conservatrice. Et personne, mais vraiment personne, ne l'avait vue venir.
À force d'évacuer un certain nombre de débats essentiels, une certaine gauche cosmopolite paie peut-être aujourd'hui le prix de son inconscience. Petite société, le Québec a tendance à cultiver un consensus malsain pour la démocratie. Je me souviens de m'être étonné devant un juge québécois du caractère expéditif de notre débat sur le mariage homosexuel alors que la discussion se poursuivait en France et aux États-Unis. «Vous avez parfaitement raison, il n'y a pas eu le moindre débat, m'a-t-il rétorqué. Mais personne ne le dit.» Au Québec, la bien-pensance semblait avoir fait taire toute critique.
Même chose en ce qui concerne l'immigration. Le discours officiel qui transforme l'immigrant en icône bienfaitrice est tellement fort au Québec que presque personne n'ose soulever les problèmes réels qu'elle pose dans toutes les sociétés modernes. Si l'immigration pose des problèmes aux États-Unis et en France, pourquoi n'en poserait-elle pas à plus forte raison au Québec, dont la sécurité linguistique et culturelle est plus fragile que partout ailleurs? On se souviendra que c'est la création du Parti québécois par René Lévesque qui avait éloigné du Québec les émeutes ethniques de Saint-Léonard et de «McGill français». À l'heure où ce parti connaît des ratés, il est peut-être normal que ces spectres reviennent nous hanter.
Mais voilà, à force d'excommunier ceux qui ne font que poser des questions et s'interroger, les nouveaux curés du multiethnisme ont en quelque sorte retardé l'échéance et suscité des réactions extrêmes comme celle des citoyens d'Hérouxville. Comment s'étonner qu'une partie de la population se soit reconnue dans ce discours pendant qu'en face une gauche angélique passait son temps à prêcher une sorte de monde imaginaire sans identité nationale, qui n'aurait de cesse de révolutionner la famille et l'école et où chacun serait devenu porteur de sa propre identité?
L'exemple de la France montre bien comment le refus de poser les questions qui fâchent pousse les électeurs vers les extrêmes. Quand un président pourtant de droite comme Jacques Chirac joue à l'adolescent en colère en se contentant de dénoncer la mondialisation sans dire comment l'affronter, le débat politique se dissout et se noie dans le consensus mou.
En ce sens, il faut peut-être se réjouir de l'apparition dans le paysage politique québécois d'une droite qui se revendique comme telle. Peut-être contribuera-t-elle au moins à remettre les pendules de la gauche à l'heure.
crioux@ledevoir.com
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