C’est aujourd’hui, à Paris, qu’aura lieu la première de la pièce de théâtreKanata de Robert Lepage.
On se souvient de la controverse qui avait conduit à l’annulation de sa présentation chez nous.
Une poignée d’Autochtones et leurs sympathisants exigeaient un droit de regard sur l’attribution des rôles et sur le contenu.
C’était une tentative de contrôle, donc de censure, déguisée sous des motifs prétendument vertueux.
Subjectivité
L’affaire était survenue au moment où le spectacle SLAV sur l’esclavage, critiqué par des gens qui ne l’avaient jamais vu, était aussi annulé.
Ces cas se multiplient et prennent souvent une tournure loufoque, comme celui de la chanson de Noël Baby, It’s Cold Outside.
Richard Martineau notait avec raison que les principaux responsables du recul de la liberté sont moins les deux douzaines d’hurluberlus qui protestent que les invertébrés qui abdiquent à la moindre pression.
La question de fond est : pourquoi la censure d’une œuvre d’art est-elle inacceptable, sauf dans des cas rarissimes ?
Une œuvre d’art n’est pas la réalité. C’est une représentation personnelle, donc subjective, de la réalité telle que la ressent l’artiste.
Comme ce n’est pas la réalité, comme il y a forcément une distance entre l’œuvre et la réalité, il devient illogique, insensé de lui reprocher de ne pas refléter fidèlement tel ou tel aspect du réel, ou que la distribution des rôles ne soit pas faite selon des quotas censés correspondre à la « vraie société ».
C’est aussi parce qu’une œuvre d’art n’est jamais un reflet objectif du réel que l’on donne à l’artiste, au nom de cette distance, la liberté, s’il le souhaite, de nous provoquer, de nous choquer, voire de faire scandale.
C’est pour cela que le propos de l’artiste ne saurait être évalué avec les mêmes critères qu’on utilise pour juger un propos qui se prétend objectif, qu’il soit journalistique ou scientifique.
L’artiste a-t-il tous les droits ? Non, il y a déjà deux balises légales amplement suffisantes : l’incitation à la haine raciale ou à la violence.
Doctrine
Est-ce un hasard si Robert Lepage, le plus grand créateur québécois vivant, trouve, en France, la liberté de faire ce qu’il ne peut faire chez nous ?
Non, ce n’est pas un hasard.
En enfermant l’individu dans son ethnie d’origine qu’il consacre officiellement, le multiculturalisme canadien « racialise » les relations sociales.
Il conduit inévitablement à ce que tout soit de plus en plus examiné sous l’angle des considérations raciales.
Si chacun voit tout à travers un prisme ethnique, on encourage le repli communautaire, la rivalité entre les groupes ethniques, et on décourage le dialogue authentique.
Le multiculturalisme canadien est l’institutionnalisation d’un « racialisme », qui sombre parfois dans le racisme, mais avec la particularité étonnante de se justifier au nom de l’antiracisme.
Le plus tragique n’est pas qu’il soit véhiculé par une poignée de jeunes incultes, mais qu’il soit devenu le socle légal de tout l’édifice canadien.