Le respect du français

La vague qu'a provoquée le cafouillage dans la nomination de Randy Cunneyworth a tout de même quelque chose d'un peu rassurant. Nous sommes encore sensibles. Nous sommes encore vivants. Et le français aussi. Pour le moment.

Crise linguistique au Québec 2012


Ça s'appelle le respect. R-E-S-P-E-C-T comme l'épelle Aretha Franklin dans sa chanson. Ça tombe bien, c'est le même mot en français et en anglais, alors tout le monde devrait le comprendre.
Quand la direction de l'équipe de hockey de la plus grande ville francophone d'Amérique nomme un nouvel entraîneur, elle s'assure que cet individu saura exprimer ses sentiments dans la langue de la majorité des gens qui encouragent ce club depuis plus de 100 ans.
Parler ne devrait jamais être un acte égoïste. Parler, quand on a de la considération pour ceux qui nous écoutent, c'est vouloir être compris. Parler, c'est provoquer un échange.
Si Paul McCartney qui passe en coup de vent à Montréal prend la peine, entre deux chansons, de parler français pour établir un contact sympathique avec son public au Centre Bell, comment se fait-il que le club de hockey Canadien, résidant permanent de la métropole, n'ait pas jugé bon de faire preuve de la même politesse envers ses partisans?
Si, à la conférence de presse annonçant sa nomination, Randy Cunneyworth avait simplement dit: «Je suis fier d'être le nouvel entraîneur du Canadien de Montréal», on aurait salué son effort. On lui aurait donné sa chance.
Ce ne fut pas le cas. Tout s'est passé en anglais seulement.
Depuis, il faut l'avouer, quand le Canadien gagne, Cunneyworth, dans un élan de joie, prononce quelques mots dans la langue de René Lecavalier. Mais c'est trop peu, trop tard. D'abord, fiche du Tricolore oblige, ça ne lui arrive pas souvent. Et puis le geste est forcé. On doute de sa sincérité. On se sent comme une femme qui a été obligée de demander à son chum de lui dire «je t'aime». Quand il finit par le lui dire, ça ne la séduit pas autant.
Dans cet épisode de manque de respect, il ne faut pas seulement lancer la pierre au Canadien, il faut nous la lancer à nous-mêmes. Parce que le respect, ça s'impose. Et ça fait trop longtemps que nous ne l'imposons plus en acceptant au quotidien d'être servis, divertis ou commandés dans une autre langue que la nôtre.
Ainsi, plusieurs francophones ne sont pas du tout froissés devant l'incapacité de l'entraîneur du Canadien d'exprimer sa pensée en français. Pour eux, l'important, ce n'est pas que le coach parle français. L'important, c'est de gagner. Un coup parti, l'important, ce n'est pas que le commis parle français, c'est que le produit coûte moins cher. L'important, ce n'est pas que l'hôtesse parle français, c'est que l'avion ne s'écrase pas. L'important, ce n'est pas que l'infirmière parle français, c'est qu'elle nous donne de bons soins. L'important, ce n'est pas que le boss parle français, c'est qu'il nous paie bien. Bref, l'important, ce n'est pas de parler français, c'est d'être riche.
Quand comprendrons-nous que les gens qui s'appartiennent sont plus riches que ceux qui se vendent?
Il fut un temps où, pour les Québécois, l'important, c'était de gagner en français. De gagner dans le respect de leur différence. Maintenant, plusieurs d'entre nous acceptent que notre langue soit bafouée pour arriver à leurs fins. Et on va y arriver, à notre fin. Plus vite qu'on pense. Au rythme de notre indifférence, dans 50 ans, il n'y a pas que le coach du Canadien qui parlera uniquement anglais. Tous les partisans aussi. No more controverse.
On gagnera peut-être quelques matchs de hockey, mais on aura perdu notre identité.
Une langue, ce n'est pas seulement un ensemble de sons et de symboles qui permettent de parler au cellulaire et d'envoyer des textos. Une langue, c'est l'empreinte du coeur de ceux qui la parlent. C'est le répertoire des réflexions, des émotions, des expériences et des rêves partagés par une communauté. Notre langue n'est pas meilleure que celle des autres, mais c'est la nôtre. C'est notre vécu. C'est à nous qu'elle parle. Bien au-delà des mots. Nos rires, nos pleurs, nos soupirs sonnent français. Et si on est fier de ce qu'on est, on est fier de la langue qui nous a permis de devenir ce que nous sommes. Notre réalité, c'est en français que nous l'avons nommée. Que nous nous la sommes appropriée.
On peut sous-titrer les propos du coach unilingue, mais la passion va se perdre dans la traduction. Pour établir un contact direct, il faut regarder les yeux de celui qui nous parle, pas le texte en bas de l'écran. Le hockey est trop rassembleur au Québec pour que le chef d'orchestre ne puisse interagir avec nous. Nous aussi, nous faisons partie de l'équipe. Nous aussi, nous voulons jouer notre partition. Nous voulons voir notre leader de face. Pas de dos.
Et c'est ainsi pour le coach du Canadien comme pour tous ceux qui ont un rôle public ici, chez nous, avec nous.
Nous respecter, c'est nous permettre de comprendre.
L'union vient de la compréhension.
La vague qu'a provoquée le cafouillage dans la nomination de Randy Cunneyworth a tout de même quelque chose d'un peu rassurant.
Nous sommes encore sensibles. Nous sommes encore vivants. Et le français aussi. Pour le moment.
Une équipe de hockey le sait bien: pour gagner, il faut se faire respecter.


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