Il y a peut-être quelque chose de changé dans les rapports Flandre/Wallonie avec la fermeture de l’usine Opel-Anvers annoncée le 22 janvier dernier. L’usine flamande a été sacrifiée par la direction européenne du groupe (s'adressant en anglais près de l'aéroport de Bruxelles!), en dépit du fait qu’elle faisait des bénéfices et que sa main d’oeuvre y était flexible, performante. C’est 2.600 emplois perdus sans compter les sous-traitants. On parle alors de 5000 emplois détruits, voire même de dizaines de milliers. Opel est en danger également en Allemagne, mais le gouvernement allemand et les Länder allemands ont décidé d’investir des sommes colossales dans l’entreprise pour la sauver. La Flandre payerait le prix de sa petite taille : en tant que région de 6 millions d’habitants, elle ne ferait pas le poids face à la République fédérale allemande. Mais le gouvernement flamand ne se tient pas pour battu. Il estime que les règles édictées par l’Union européenne n’ont pas été respectées et il compte bien se battre pour faire valoir ses intérêts et ses droits, ainsi que ceux des travailleurs, dans le cadre de l’Union européenne. Charles Picqué et Rudy Demotte , les ministres-présidents des deux autres Régions belges, Bruxelles et la Wallonie ont immédiatement exprimé leur solidarité avec la Flandre.
La Flandre dépasse la Wallonie au moment où l'Etat unitaire belge se défait...
Au milieu des années 60, la Flandre a rattrapé la Wallonie en termes de PIB par habitant pour finir par la dépasser dans les années 70. Dès le début des années 80 la Flandre lançait l’idée que, dans le domaine de la redistribution du produit des impôts ou des cotisations sociales (la Sécurité sociale demeure une matière fédérale), d’importants transferts d’argent s’opéraient de la Flandre à la Wallonie, empêchant la première de parvenir à des buts économiques encore plus accomplis. Les peuples latins comme celui de Wallonie pâtissent généralement du préjugé selon lequel ils sont moins « travailleurs » que les peuples germaniques (j’avais un professeur de sociologie à Louvain qui nous expliquait que les Français s’attribuent en premier la qualité de peuple « intelligent » et attribuent aux Allemands, en premier, la qualité de «travailleurs», les Allemands faisant juste la même chose, se considérant d’abord comme des «travailleurs» et les Français comme d’abord «intelligents»). Mon instituteur nous assénait l’idée que les Flamands étaient plus travailleurs que les Wallons et l’idée est fort répandue dans les consciences wallonnes. Du coup, le retard pris par la Wallonie sur la Flandre a été mal vécu par les Wallons (dans un contexte de culpabilisation), certains y voyant une vraie catastrophe. L’histoire politique belge en a été marquée depuis un demi-siècle.
...pourtant c'est la Wallonie qui avait voulu rompre avec la Belgique unitaire
Or contrairement à une idée répandue à tort (et que les historiens flamands, très honnêtement, sont les premiers à contester), politiquement et démographiquement, la Flandre a toujours dominé la Belgique entière. Avant 1960, les forces politiques tirant leur force du corps électoral wallon (sauf les homologues wallons des catholiques flamands, soit les catholiques wallons), ont été écartées de la direction des affaires du pays. Phénomène qui explique que ce sont les Wallons qui ont réclamé le plus durement le fédéralisme et l’autonomie. Ce fait historique n’empêche cependant pas les Wallons de croire généralement que ce sont les Flamands qui ont mis en cause l’unité de la Belgique. Et aussi d’être les plus nombreux à vouloir revenir à l’Etat unitaire qui coïncida (mais par hasard), avec leur prospérité (par hasard puisque politiquement, ils n’avaient rien à y dire). Ce sentiment que tout qui a visité la Belgique comprend assez vite est renforcé par le fait que la population francophone de la capitale (1 million d’habitants), est la population la plus opposée aux réformes de l’Etat, un Etat fédéral belge qui a d’ailleurs – fait unique au monde selon le bon spécialiste qu’est Charles-Etienne Lagasse - des traits de confédéralisme (dès qu’une compétence est attribuée à un Etat fédéré celui-ci en devient le maître absolu, y compris sur le plan international). Il est vrai que les Flamands ont mis en avant la qualité de leur main d’œuvre, le fait que, contrairement à la classe ouvrière wallonne, cette main d'oeuvre flamande était moins « syndicale » et, implicitement, que la Flandre en devenant prospère ne faisait que recueillir les résultats logiques de ses meilleures performances et de son mérite moral. La fermeture d’Opel-Anvers dément cela d’une certaine façon. Car, pour le moment, c’est la Wallonie qui résiste le mieux à la crise et c'est chez elle que le chômage progresse le moins, ce que l’on explique parfois par le fait que malgré la désindustrialisation qu’elle a subie, la Wallonie aurait une économie plus autocentrée ou plus diversifiée. L’explication date de février 2009. Elle se vérifie. Mais il faut voir si cela va se confirmer.
Le rapport Flandre/Wallonie en train de changer
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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4 commentaires
François Collette Répondre
5 février 2010Merci à Jacques Noël pour la référence à mon article sur "Je suis belge mais je me soigne".
Archives de Vigile Répondre
1 février 2010Avez-vous suivi la saga de Miss Belgium (c'est comme ca qu'on dit)? Une gamine de 18 ans qui a piétiné le drapeau national.
http://francoisquinqua.blog.lemonde.fr/2010/01/20/la-nouvelle-miss-belgique-pietine-le-drapeau-belge-en-couverture-dun-magazine-flamand/
«La nouvelle Miss Belgique piétine le drapeau belge en couverture d’un magazine flamand
Vous n’en croyez pas vos yeux ? Et pourtant…
La toute souriante et flamande Miss Belgium (en anglais pour faire court à Belgiê-Belgique) foule au pied le drapeau national pendant que le sémillant Bart De Wever, président du parti séparatiste N-VA, fait mine de couper son écharpe.
Bart Simpson De Wever aurait eu carte blanche pour composer cette scabreuse mise en scène. Je traduis son aphorisme (en haut sur la photo) : la Belgique est le pays le plus raté au monde. Quant à la belle écervelée, elle aurait déclaré être contre cette photo mais avoir cédé à l’insistance de la rédaction. Comme quoi on peut être miss nationale avec un petit pois à la place du cerveau.
P Magazine est un hebdo flamand people de très bas étage peuplé de starlettes plutôt déshabillées. Ce n’est donc pas un magazine sérieux d’actualité mais il est tout de même tiré à 75.000 exemplaires (360.000 lecteurs en moyenne), ce qui n’est pas rien. La majorité des lecteurs aurait moins de 35 ans. L’avenir de la Flandre.
La N-VA du très médiatique De Wever a le vent en poupe puisqu’il se situerait – baromètre LLB de décembre 2009 - en troisième position avec 15 pc des intentions de vote derrière les chrétiens-démocrates du CD&V (22 pc)) et le parti d’extrême-droite Vlaams Belang (17 pc) et donc bien avant les socialistes et les libéraux.
Au-delà de la gêne que l’on peut ressentir à la vue de ce cliché (fouler un drapeau est une infamie), une question me revient sans cesse : quand les autruches francophones relèveront-elles la tête ?»
Archives de Vigile Répondre
30 janvier 2010Vous exposez vraiment très bien (et mieux que je ne l'aurais fait), les conséquences ou les effets du phénomène dont parlait ce Professeur. La manière dont on est jugé (dont on se juge...), ou dont on ne l'est pas, à tort ou à raison, finit par modifier les choses réellement ou, comme dans votre exemple, finit par désorienter. Les échelles des valeurs des peuples sont différentes ce qui finit par les transformer et les différencier en profondeur, rendant ainsi l'humanité très diversifiée quoique n'appartenant qu'à une seule espèce. Mais, culturellement, là où nous nous différencions les uns des autres en tant qu'êtres humains (tout en restant membre d'une seule humanité), il me semble que les Wallons sont des cousins des Québécois, des Français, des Africains francophones, des Haïtiens... On ne le cultive pas assez. Or le cousinage comme les amitiés ne tiennent que si on les entretient. Merci de m'avoir lu!
Archives de Vigile Répondre
30 janvier 2010Monsieur Fontaine,
Certes les questions de déplacements des productions industrielles sont certes intéressantes et importantes, mais ce que je trouve le plus intéressant dans votre article est resté au niveau d'affirmation de ce qui pourrait constituer seulement des préjugés ou des racontars : les allemands plus «travailleurs»et les français plus «intelligent» C'est quelque chose qu'on entend depuis des décennies.
Alors, pour le bénéfice des lecteurs, je souhaite signaler que le premier verbe qu'on enseigne à conjuguer en français est le verbe « aimer » alors qu'en allemand le premier verbe qu'on enseigne à conjuguer c'est « travailler ».
Donc, pour les tout petits qui font leurs débuts à l'école, cela a un effet psychique puissant, que ce soit pour aimer et être aimé, ou... pour travailler.
Il y a donc un certain fondement à caractère psycho-social dans la différentiation que les gens observent. Ce n'est peut-être pas seulement un racontar.
Maintenant pour l'intelligence...
Objectivement, il n'y a aucune différence génétique possible.
Par contre, on peut constater que la créativité joue beaucoup dans les communications, dans les arts, dans la réflexion sur la société, dans la recherche théorique. Ceux qui travaillent beaucoup dans l'univers du connu sont moins susceptibles d'exercer de la créativité, alors que ceux qui travaillent moins dans l'univers du connu exploiteront plus leur potentiel de créativité.
Les manifestations de créativité exceptionnelles peuvent facilement passer pour de l'intelligence supérieure alors qu'objectivement il n'y a aucune différence génétique. Il y a donc des résultats psycho-sociaux, ou culturels différents qui résultent de l'éducation qui est donnée aux enfants dès qu'ils entrent à l'école, ou même avant.
L'école propage et transmet non seulement des savoirs mais aussi une culture, une manière d'appréhender la réalité, une manière d'agir en société une manière de se percevoir au sein de la société.
On le voit bien au Québec avec l'échec scandaleux de l'école publique dans les milieux défavorisés. Pendant 30 ans, un courant idéologique a exercé une emprise sur l'éducation primaire et secondaire pour empêcher toute mesure objective des savoirs acquis.
Il fallait éviter à tout prix de mesurer pour que les enfants réussissant moins bien se sentent dévalorisés. Pendant 30 ans dans l'école publique québécoise il était mal vu de demander à l'élève de travailler, plus ou mieux.
Il fallait que l'élève puisse s'exprimer. Lorsqu'on met toutes les opinions au même niveau avec comme seule valeur, le droit d'exprimer son opinion, alors l'école forme des sots. On a créé deux générations de gens qui expriment des sottises.