L'Annuaire du Québec 2008

Le Québec vire-t-il à droite?

Climat politique au Québec



Nous publions un extrait de L'Annuaire du Québec 2008, une publication de l'INM éditée depuis 1996 par les Éditions Fides. Le livre est lancé aujourd'hui. Michel Venne en signe l'introduction.
La population tourne-t-elle le dos à la social-démocratie emblématique de la Révolution tranquille des années 1960 et 1970 en accordant un appui sans précédent à l'Action démocratique du Québec aux élections du 26 mars 2007? Assiste-t-on à une forme de régression conservatrice et de repli sur soi, symbolisée par la vague de protestations contre les accommodements raisonnables?
Nous avons cherché à faire la part des choses. Nos conclusions sont nuancées. Si les élections du 26 mars [...] ouvrent la possibilité d'un réalignement dans l'univers partisan, elles ne témoignent pas en soi d'une dérive conservatrice. En fait, l'équilibre des forces partisanes entre la gauche et la droite n'a pas changé substantiellement entre 2003 et 2007.
Pendant qu'un demi-million d'électeurs de plus qu'en 2003 choisissaient l'ADQ de Mario Dumont, et ce, largement au détriment du Parti libéral de Jean Charest, un quart de million plaçaient leur confiance dans deux partis situés à gauche du PQ: Québec solidaire de Françoise David et Amir Khadir et le Parti vert de Scott McKay.
En outre, plusieurs enquêtes d'opinion indiquent que les Québécois soutiennent de façon très majoritaire une présence forte du gouvernement dans les services aux citoyens, la distribution de la richesse et l'encadrement de l'économie. Cette opinion est encore plus marquée chez les jeunes [...], ce qui donne une indication des tendances futures.
Les citoyens, par contre, sont déçus de l'action de leurs dirigeants politiques. 30 % des électeurs ne se sont pas prévalus de leur droit de vote en 2007. La conjoncture témoigne davantage d'une déception à l'endroit de la performance de l'État providence, qui s'essouffle dans sa forme historique, que d'un virage à droite.
Il est toutefois vrai que les préférences des citoyens évoluent au fur et à mesure que le niveau de vie augmente au Québec. En outre, les écarts de richesse s'accentuent. Les riches sont plus riches et ont plus de moyens d'exprimer leurs volontés que les petits salariés qui gagnent tout juste de quoi vivre, tandis que les syndicats, qui demeurent les organisations les plus puissantes de la gauche, sont largement discrédités dans l'opinion publique.
De son côté, la droite intellectuelle s'est donné au cours de la dernière décennie des organisations, des publications et des porte-parole omniprésents dans l'espace public, ce qui crée l'impression d'un virage à droite.
Enfin, cette bataille idéologique se déroule dans un contexte international propice à une demande croissante de sécurité, reléguant au second plan l'appétit pour les grands projets de société. À l'échelle nationale, le débat gauche-droite a repris le dessus sur la question nationale qui, toutefois, demeure beaucoup plus structurante de l'univers politique qu'on veut bien l'admettre en certains quartiers et explique d'ailleurs en partie les succès récents de l'ADQ.
Le Québec est-il de gauche?
Avant d'examiner si la société québécoise vire à droite, il faut voir jusqu'à quel point elle était à gauche. Le Québec est une société foncièrement libérale. Le socialisme n'y a jamais pris solidement racine, sauf dans des milieux restreints et durant une brève période. La gauche n'a jamais fait de percée significative dans le champ électoral.
Longtemps, l'Union nationale de Maurice Duplessis a dominé le Québec politique. Les conservateurs de Brian Mulroney ont triomphé au niveau fédéral pendant neuf ans, de 1984 à 1993. Depuis ce temps, deux anciens ministres de ces gouvernements conservateurs, Lucien Bouchard et Jean Charest, ont ensuite gouverné le Québec pendant près de dix ans.
La relative pauvreté du Québec par rapport au reste de l'Amérique du Nord et des francophones par rapport aux anglophones ici même au Québec a incité les Québécois à se serrer les coudes, cela est vrai. La Révolution tranquille fut largement inspirée par une volonté de rattrapage à cet égard, par la création d'un système d'éducation digne de ce nom, l'adhésion au principe d'un système public d'assurance maladie, le développement d'une fonction publique professionnelle et la prise en main de notre économie.
Ce rattrapage a pu être réalisé grâce à une alliance entre les classes sociales et entre les générations qui reste tout à fait possible aujourd'hui si le leadership politique en faisait une priorité. Le Québec copiait alors bien davantage le Royaume-Uni et la France, tout en composant avec son voisin américain, que des pays du bloc communiste. La social-démocratie québécoise n'est même jamais arrivée à la hauteur de celle pratiquée dans les pays scandinaves. Nos programmes sociaux sont encore aujourd'hui beaucoup moins généreux que ceux du Danemark ou de la Suède.
Les Québécois sont partisans du libre-échange et d'une mondialisation bien maîtrisée. Notre appui aux causes environnementales est plus que mitigé, comme vient de le démontrer François Cardinal dans son livre Le Mythe du Québec vert (Éditions Voix parallèles).
Et puis, nous nous comportons encore, et c'est normal, comme une société minoritaire dans un continent parfois hostile à notre identité particulière, ce qui induit des attitudes défensives. Les Québécois ont peut-être le coeur à gauche, mais ils gardent le portefeuille à droite.
Le résultat des élections
On ne peut pas parler d'un virage conservateur au niveau fédéral. Les progrès du Parti conservateur au Québec aux élections fédérales de janvier 2006 ont bien davantage été le résultat du rejet du Parti libéral de Paul Martin dans la foulée du scandale des commandites. Ils peuvent aussi être imputés à la volonté de nombreux électeurs de voter pour des candidats qui participeraient au pouvoir, contrairement à ceux du Bloc québécois, condamnés à l'opposition.
En outre, la participation électorale était demeurée faible, à 64 %. Le Bloc québécois, toujours dirigé par l'ancien syndicaliste Gilles Duceppe, était demeuré premier en pourcentage du vote et en nombre de sièges tandis que le NPD gagnait 100 000 votes, et le Parti vert, 38 000.
Aux élections partielles de septembre dernier, le Bloc a conservé un siège, le Parti conservateur en a arraché un au Bloc, grâce à une candidature locale forte, et le NPD a ravi un château fort au libéraux. Il faut analyser les élections provinciales du 26 mars 2007 avec la même circonspection.
En nombre de sièges, l'ADQ a connu une progression fulgurante, emportant 41 sièges, contre quatre en 2003. Ces gains ont été réalisés principalement au détriment du Parti libéral de Jean Charest. Nous restons majoritairement dans la même famille idéologique. Au tableau des sièges, l'ADQ fait un saut de 1000 % en multipliant par dix le nombre d'élus. Mais ce parti n'a obtenu l'appui que d'un électeur inscrit sur cinq! Ceux qui ont parlé d'un tsunami adéquiste ne savent pas compter.
À l'opposé, aucun des deux tiers partis situés à la gauche du PQ, Québec solidaire et le Parti vert, n'est représenté à l'Assemblée nationale. Le chiffre zéro apparaît à côté de leurs noms au tableau des élus. Pourtant, 300 000 personnes ont voté pour eux, soit près de 8 % de l'électorat.
Avec un mode de scrutin proportionnel, une des nouvelles de la soirée électorale aurait été l'entrée au Parlement des premiers députés verts de l'histoire du Québec tandis que Françoise David et Amir Khadir croiseraient le fer avec les autres chefs de parti au Salon bleu chaque jour. Les résultats électoraux ne traduisent pas parfaitement l'humeur et les choix idéologiques des électeurs.
L'équilibre gauche-droite n'est pas modifié
La distribution des sièges à l'Assemblée nationale et le pourcentage de votes obtenu aux élections montrent la supériorité des partis situés à la droite du centre de l'échiquier politique. Pour les fins de l'analyse, je place le Parti libéral de Jean Charest et l'ADQ de Mario Dumont dans ce groupe. Le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti vert sont mis à la gauche du centre.
Il est vrai que cette division gauche-droite des partis politiques n'est pas parfaite, les partis n'étant pas des blocs monolithiques. Mais elle permet de constater que l'équilibre qui existait en 2003 n'a pas été modifié par les élections de 2007. Il suffit d'additionner les votes obtenus par le PLQ et par l'ADQ, d'un côté, et ceux récoltés par les trois autres partis, de l'autre, pour voir que la progression de l'appui à droite n'est pas plus remarquable que la progression des appuis à gauche.
Globalement, la droite recueille les deux tiers des votes, et la gauche, un tiers. Mais c'était déjà le cas en 2003. Au-delà des mouvements dans la répartition des sièges, l'équilibre idéologique de la société n'a pas foncièrement changé en quatre ans.
Les positions idéologiques des partis
Pour enrichir l'analyse, il faut examiner de plus près les raisons qui ont conduit les électeurs à se comporter comme ils l'ont fait. Les deux faits déterminants de la campagne sont l'effondrement électoral des libéraux et l'échec cuisant d'André Boisclair à relancer son parti après la débâcle de 2003. Le PQ avait perdu un demi-million de votes en 2003.
Les libéraux ont terminé troisièmes chez les francophones et perdu de nombreux votes chez les non-francophones, notamment au profit du Parti vert. L'insatisfaction de la population à l'endroit de ce gouvernement était manifeste. Quant à André Boisclair, son inexpérience, son manque de jugement, le sketch Brokeback Mountain, sa consommation de cocaïne lorsqu'il était ministre, son incapacité à recruter l'équipe de rêve qu'il avait promise et son ambiguïté quant au programme du parti, notamment en ce qui a trait à la tenue d'un référendum, ont miné sa capacité de convaincre les électeurs perdus en 2003 de revenir au bercail en 2007. Les jeunes qui l'avaient appuyé pendant la course au leadership se sont volatilisés.
Mario Dumont a profité de la conjoncture. Pour y arriver, il a toutefois dû ajuster considérablement son discours. Aux élections de 2003, la popularité de son parti atteignait les 40 % dans les sondages quelques mois avant le vote. Il a finalement récolté 18 % des suffrages. Le dégonflement de l'appui adéquiste a été le fait saillant de cette campagne. Les électeurs avaient rejeté l'approche conservatrice de l'ADQ pour lui préférer celle des libéraux qui avaient mené leur campagne en promettant de réinvestir dans la santé et en brandissant les valeurs sociales libérales colligées dans un livre par le défunt Claude Ryan.
Quatre ans plus tard, le programme adéquiste a été passablement recentré. Si le parti proposait l'abolition des commissions scolaires, il ne proposait plus la privatisation du financement des écoles par des bons d'études. Il avait abandonné l'idée du taux unique d'imposition. Son programme comportait même des réinvestissements publics pour la culture et pour l'éducation. Il s'engageait à ne pas augmenter les impôts, mais pas à les diminuer. L'ADQ de 2007 demeurait populiste mais était revenue du conservatisme primaire. Il y avait moins de risques à voter pour lui.
L'identité et la question nationale
En 2003, Mario Dumont avait donné l'impression d'abandonner le combat national des Québécois. Il avait prononcé un discours à Toronto dans lequel il se mettait à genoux devant le reste du pays, promettant de mettre fin à l'ère des sempiternelles revendications du Québec. Tous l'avaient vu, photographié devant un immense drapeau du Canada en faisant des clins d'oeil aux pontes de Bay Street.
Entre les deux élections, Mario Dumont a changé son fusil d'épaule. Son programme prônait désormais formellement la création de l'État autonome du Québec au sein de la fédération canadienne. Le statut proposé est une quasi-souveraineté, le siège à l'ONU en moins. Et encore!
Plusieurs députés adéquistes ne cachent d'ailleurs pas le maintien de leur appui à l'idée de la souveraineté du Québec. La controverse sur les accommodements raisonnables a contribué à consolider la position de Mario Dumont comme le défenseur de la société distincte francophone non seulement contre Ottawa mais contre les intégristes islamistes. Le tout en évitant un référendum à court terme. [...]
***
Michel Venne, Directeur général de l'Institut du Nouveau Monde (INM)
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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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